Tome IV - La Psychologie

Chapitre 5 - Pour un Jihad Intégral

par Anthony Ghelfo 2016

Introduction


Pour éviter que l'indécence conduise à la fin des temps, l'humanité, et les différentes civilisations en général, vont devoir maintenir un certain ordre moral et social. Car les affaires du monde terrestre, et sur Terre en particulier, dépendent essentiellement du comportement des hommes.

L'être humain est le pilier de la société. Selon l'islam, les hommes sont sensés être les souverains successeurs et représentants de Dieu sur la Terre. Autrement dit, nous devons être à l'image de Dieu, soit essayer de nous comporter en déployant les mêmes attributs que Lui, soit s'inscrire à l'intérieur de la dynamique des noms divins qui viennent inonder la création. Si Dieu est Beau, il faut que la société reflète de la beauté ; si Dieu est Juste, il faut qu'il y règne de la justice, si Dieu est Miséricordieux, la société doit présenter les vertus de la Miséricorde. Or, comme nous l'avons rappeler dans notre second livre, Dieu n'a pas besoin de faire d'effort pour être Juste, Beau et Miséricordieux. Il est dans son essence même, le plus Beau, le plus Juste et le plus Miséricordieux. Dans l'islam, Allah ne peut être autrement. Quant à l'homme, contrairement à Dieu, son être n'est jamais dans cette infinie perfection. Son âme peut être belle et juste, tout comme elle peut très bien devenir injuste et laide. L'être humain va donc devoir lutter toute sa vie pour tendre vers les attributs de perfection incarnés par Dieu.

( Ô les croyants ! Craignez Allah, cherchez le moyen de vous rapprocher de Lui et luttez pour Sa cause. Peut-être serez-vous de ceux qui réussissent ! )371

Au fur et à mesure que l'histoire des hommes progresse, la tendance de l'humanité à l'effort disparaît par le péché, le confort, et la tentation aux perversions qui se répandent publiquement dans nos sociétés.

Nous avons vu dans notre chapitre précédent que la télévision ne permettait pas de propager des valeurs d'efforts. Et cela va jusqu'à dénaturer les mots en vue de faire taire la réflexion du peuple, qui lui permettrait de comprendre la nécessité d'une lutte sociale, ou du moins, d'un engagement. Car c'est avec les mots que surgissent les pensées, et non pas l'inverse. En islam, la lutte ou l'effort se traduit par le mot "jihad". Dans le contexte médiatique actuel, pour la plupart des gens, ce mot fait référence à la guerre sainte. Même s'il n'existe pas de guerre sainte en islam, il est vrai que le jihad peut prendre la forme d'une lutte armée, mais ne doit pas excéder certaines conditions, que nous traiterons entièrement dans un autre livre.372

{ Il a été rapporté que Anas a dit : « Le Messager d'Allah (P  ) a dit : « Faites des efforts dans le Jihad avec vos mains, vos langues et votre richesse. » }373

En ayant dit cela, vous devriez comprendre que le jihad peut prendre plusieurs formes. Mais dans toutes ses manifestations, quelle qu'elles soient, l'effort tel qu'il est compris dans la tradition islamique reste le meilleur moyen de lutter contre le mal terrestre et les penchants maléfiques de nos âmes.

Pour commencer ce nouveau chapitre, nous reviendrons sur la définition du mot jihad en islam, et nous verrons ce qu'il implique, avec ses différentes formes, ainsi que des notions clés qui lui sont liées. Puis, nous verrons qu'il existe une dualité transcendante, qui explique la légitimité de cette lutte tout le long de la vie d'un homme. Pour finir, nous essaierons de montrer comment lutter mentalement contre les passions de son âme (Nafs), en liant cette problématique à celle des archétypes.

Définir le jihad ?


Depuis le début de notre œuvre, nous avons insisté sur la définition des mots. Car un mot mal défini, fini par être mal compris, puis mal appliqué. Et en islam, appliquer un terme de manière biaisée, aura un impact négatif dans l'adoration de Dieu sur terre chez le musulman, qui se répercutera sur son Jugement dans l'au-delà. L'exemple le plus concret étant celui du jihad. Comme nous l'avons dit en introduction, la notion de jihad, en arabe, signifie faire un effort, lutter, s'efforcer de, persévérer. Or, si l'on écoute le système médiatique aujourd'hui, le jihad est très souvent, pour ne pas dire tout le temps, associé à la guerre sainte. Et cela, en raison de l’appellation de « jihadistes », notamment des membres de Daesh, qui proclament haut et fort une guerre contre l'occident. Autrement dit, dans l'inconscient collectif, le jihad serait une sorte de croisade musulmane à l'encontre des pays occidentaux. Or, nous allons voir qu'il en est rien.

On distingue généralement le grand jihad (dit aussi majeur ou intérieur) et le petit jihad (mineur ou extérieur), même si cette classification n'a rien d'officielle374. Celui qui va nous intéresser principalement est le grand jihad, mais c'est aussi le plus important dans la vie du croyant. Le grand jihad, est une lutte intérieure, spirituelle, contre l'ego, contre les mauvais penchants de nos âmes. On parle alors du Jihad an-nafs.375

{ Raconté par Fadalah ibn 'Ubaid : Que le Messager d'Allah (P  ) a dit : « Les actions de tous ceux qui meurt sont scellés. Sauf pour celui qui meurt en ayant garder la frontière contre l'ennemi, dans la cause d'Allah. Car en effet, ses actions sont augmentées pour lui jusqu'au Jour du Jugement, et il est protégé de la tribulation de la tombe. » Et j'ai entendu le Messager d'Allah (P  ) dire : « Le Mujahid est celui qui lutte contre sa propre âme. » }376
( Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos sentiers, Allah est en vérité avec les bienfaisants. )377

Le grand jihad est le plus important, car il doit être accompli également lors du petit jihad, qui lui n'est pas obligatoire. Le jihad mineur consisterait à combattre militairement. Ici, le combat n'est plus intérieur, mais bel et bien sur le champ de bataille, avec des armes, en vue de repousser une oppression. Or, même durant une guerre, le jihad an-nafs (la lutte contre l'ego) doit avoir lieu. Pour illustrer cela, nous avons l'exemple de l'imam 'Alî, quatrième calife de l'islam :

« Lors de la bataille de Uhud, un combattant polythéiste, Abû Sa'd ibn Abî Talha, défia 'Alî en duel. 'Alî se battit vaillamment contre lui et le frappa de son sabre, le projetant à terre. Tandis que son adversaire se tordait de douleur, 'Alî se prépara à l'achever. Mais, en se tordant, l'homme découvrit sa nudité. Alors 'Alî baissa rapidement ses paupières, détourna le regard et rejoignit les rangs des musulmans. ― Pourquoi ne l'as-tu pas achevé ? lui demanda-t-on. ― La pudeur m'en a empêché, répondit-il. »378

[Une autre version de cette histoire, dit que l'homme à terre cracha sur le visage de 'Alî. Et ce dernier, en conséquence, rangea son sabre. On lui demanda alors pourquoi ne l'avait-il pas achevé ? 'Alî aurait répondu qu'il était sous l'emprise de la colère, et que s'il l'avait tué dans cet état d'âme, il ne l'aurait pas tué dans le sentier de Dieu.]

Cette histoire montre que même dans la lutte armée, il faut continuer à être dans la voie de Dieu, et lutter contre ses passions qui peuvent surgir dans le combat, comme la colère, l'injustice, la honte, la lâcheté, la perversion ou le déshonneur. Même sur le champ de bataille, le musulman doit être dans l'adoration de Dieu. Se faire exploser à la manière du kamikaze, au nom de Dieu, est antinomique avec le sentier de Dieu. Le but du jihad est de préserver l'islam, à l'intérieur de soi comme à l'extérieur. Contrairement, à ce que l'on trouve sur internet, l'expression jihad fî sabîl-illâh, n'est pas une forme de jihad particulière, c'est simplement pour dire que l'on fait les choses dans la voie de Dieu, dépourvu d'intérêts terrestres, et donc, le Jihad an-nafs peut très bien être fî sabîl-illâh.379

Le jihad est parfois considéré comme le sixième pilier de l'islam, mais de notre point de vue, appliquer les cinq piliers de l'islam, est déjà une forme du jihad an-nafs. C'est un effort que fait le croyant pour préserver l'islam à l'intérieur de lui.

( Les vrais croyants sont seulement ceux qui croient en Allah et en Son messager, qui par la suite ne doutent point et qui luttent avec leurs biens et leurs personnes dans le chemin d'Allah. Ceux-là sont les véridiques. )380

« Lutter avec ses biens et sa personne » ne signifie pas forcément combattre sur le champ de bataille comme de nombreuses mauvaises interprétations le suggèrent381. Lorsque le musulman s'acquitte de la zakât (l'aumône obligatoire, l'un des piliers de l'islam), il lutte avec ses biens contre son ego, ou lorsqu'il jeûne, il lutte avec sa personne, et travaille sur son âme.

{ Mu'àdh ibn Jabal rapporte: « J'ai demandé une fois: « Ô Messager de Dieu ! Indique-moi une œuvre qui me fasse entrer au Paradis et qui m'éloigne du Feu ». Il dit : « Tu viens d'interroger sur une très grosse affaire qui est pourtant aisée pour qui Dieu l'a rendue aisée. Tu adores Dieu sans rien lui associer et tu fais correctement la prière. Tu t'acquittes de l'aumône légale. Tu jeûnes le mois de Ramadan. Tu fais le pèlerinage si tu en as les moyens ». Puis il ajouta : « Veux-tu que je t'indique les portes du bien ? Le jeûne est un bouclier (contre le feu de l'Enfer). L'aumône éteint le péché comme l'eau éteint le feu. La prière au cœur de la nuit », Puis il récita le verset suivant : ( (16)Leurs côtés fuient les lits. Ils invoquent leurs Seigneur par crainte et par convoitise et dépensent de ce que Nous leur avons octroyé. (17) Aucun être ne sait ce qu'on a caché pour eux comme sources de sérénité profonde en récompense de ce qu'ils faisaient ). (Sourate 32). Puis il dit : « Veux-tu que je t'indique la tête de toute chose, son pilier et son plus haut sommet ? » Je dis : « Bien sûr que oui, Ô Messager de Dieu ! ». Il dit : « La tête de toute chose est l'Islam. Son pilier est la prière. Son plus haut sommet est le Jihad ». Puis il dit : « Veux-tu que je t'indique l'élément essentiel de tout cela ? » Je dis : « Bien sûr que oui, Ô Messager de Dieu ! » Il saisit sa langue et dit : « Mets un frein à celle-ci ». Je dis : « Ô Messager de Dieu ! Sommes-nous donc punis pour de simples paroles que nous disons ? » Il dit : « Que ta mère te perde ! Les gens sont-ils jetés sur leur visage dans le feu de l'Enfer pour autre chose que pour les récoltes de leurs langues ? » }382

Ce qu'il faut donc comprendre, c'est que du Jihad an-nafs jusqu'au champ de bataille, il existe un large éventail de lutte possible.

Une autre classification du jihad, plus traditionnelle, nous informe plus clairement des différentes manières possibles de lutter dans le sentier d'Allah.

{ Il est rapporté sous l'autorité 'Abdullah ibn Mas'ud que le Messager d'Allah (P  ) a observé : « Jamais un Prophète n'a été envoyé avant moi par Allah envers sa nation sans qu'il n'est parmi son peuple, des disciples et des compagnons qui ont suivi leurs voies et obéit à leurs commandements. Ensuite, sont venus après eux leurs successeurs qui leur ont dit ce qu'ils ne fallait pas pratiquer, et pratiquaient ce qu'ils ne leur a pas été commandé de faire. Celui qui luttait contre eux avec sa main était un croyant, celui qui luttait contre eux avec sa langue était un croyant, et celui qui luttait contre eux avec son cœur était un croyant et en dehors de cela il n'y a pas la foi, même dans la mesure d'une graine de moutarde. [...]. » }383

Le premier degré de lutte est avec le cœur. Ici, il faut comprendre avec la bonne intention, à savoir celle de vouloir agir sincèrement dans le sentier de Dieu, même si l'on n'en possède pas les moyens, ni les dispositions pour le faire. Le cœur, correspond, aussi au siège de l'ego, mais aussi de la volonté, raison pour laquelle, le jihad an-nafs fait partie de la lutte avec le cœur. La lutte avec le cœur est le degré minimum de la foi, car le Prophète a dit qu'il n'y avait pas de foi en dehors de celle-ci. Toutes les autres luttes doivent donc prendre pour base la lutte du cœur.

Le second degré, est la lutte avec la langue. Ici, il faut comprendre avec la parole, la pensée, la réflexion, l'argumentation, le débat, mais aussi avec une première forme d'engagement. Ce second degré de lutte n'est pas valide sans l'application du premier degré. Il faut toujours être dans la bonne intention du cœur.

( N'obéis donc pas aux infidèles ; et avec ceci (le Coran), lutte contre eux vigoureusement. )384

Lutter avec le Coran, revient à argumenter, démontrer les contradictions, les erreurs, soit tout ce qui fait obstacle à la Vérité. Combattre avec la langue est une première forme de lutte extériorisée, mais reste pacifique. Elle sert à résister contre l'oppression des mensonges. La Vérité ne doit pas céder de terrain au mensonge, sinon cela se répercutera dans la société. Et cela peut commencer donc par remettre la définition des mots à l'endroit. Ainsi, cet article est une forme de jihad avec la langue.

{ Rapporté par Abû Sa'id al-Khudrî: Le Prophète (P  ) a dit : Le meilleur des combat (jihad) dans le sentier d'Allah est le fait de prononcer une parole de vérité en présence d'un gouverneur oppresseur. }385

Le meilleur des jihad, selon les propos du Prophète, est d'adresser une parole de vérité, à un gouverneur oppresseur, ce qui demande énormément de courage. Car pour le dirigeant qui fonde son pouvoir sur le mensonge, son vice devient sa corde sensible, et la Vérité, l'arme avec laquelle mettre fin à son pouvoir oppresseur et despotique. On sait aujourd'hui, que celui qui dérange le système n'est pas celui qui emploie les méthodes les plus violentes, ni celui qui est dans la menace. On voit beaucoup de gens du peuple élever la voix face aux élus, mais leur discours étant insipides, les politiques leur rient au nez. Ils ne sont nullement impressionnés et continuent de les prendre de haut. En revanche, des propos apaisés qui viennent mettre en lumière l'illégitimité du pouvoir d'une personne, les rendent hystériques et font resurgir leurs passions tyranniques. C'est ainsi que les conteurs de vérité et les lanceurs d'alerte, ont toujours eu des problèmes dans l'histoire, car les dirigeants ont souvent abusé de leur pouvoir pour les faire taire.

( Et dis : « La Vérité (l'islam) est venue et l'Erreur a disparu. Car l'Erreur est destinée à disparaître ». )386
( Ou bien ils disent il a inventé un mensonge contre Allah. Or, si Allah voulait, Il scellerait ton cœur. Par Ses Paroles cependant, Allah efface le faux et confirme le vrai. Il connaît parfaitement le contenu des poitrines. )387

Allah, au travers de Sa Parole efface le mensonge, parce qu'elle est la Vérité. Le mensonge n'est qu'une illusion qui a pris la place vide d'un manque de Vérité. Lorsque l'homme répand la Vérité, il répand l'islam de fait, et cela revient à répandre de la lumière dans l'esprit obscurci des gens. Celui qui mène le Jihad par la langue est capable de réveiller le Rouh (L'Esprit) des hommes, pris au piège par la matrice mentale, en assainissant leur Nafs.

Parmi le jihad de la langue, l'on pourrait mettre également l'ijtihad, l'effort de réflexion, d'exégèse à l'encontre du corpus musulman. L'ijtihad doit être mené à chaque époque, pour rénover l'islam afin de relever les défis contemporains des musulmans. Celui fait office de jihad, en dénonçant les innovations théologiques possibles dans une époque donnée, mais aussi, mettre en lumière un aspect de l'islam dont l'application est la plus importante dans un contexte donné, comme questionné l'islam face à la science, et face aux priorités de la communauté.

Le troisième degré de lutte est avec la main. Ici, il faut comprendre avec un engagement physique, qui peut être un engagement militaire, sociale, politique, morale, ou tout simplement tous les champs d'application du bon vivre ensemble d'une société. Au travers de n'importe qu'elle métier, on peut contribuer avec la main à résister face à l’oppression. On peut mener le jihad en étant professeur, pompier, boulanger, électricien, policier, cordonnier, banquier, garagiste, militaire, artisan, artiste, etc. Toute profession indispensable au fonctionnement correct de notre société, peut lutter par son savoir-faire. Encore une fois, nous insistons sur le fait, qu'il n'est pas utile d'utiliser du vocabulaire islamique, pour mener un jihad social ou politique. Préserver l'islam, cela peut simplement vouloir dire préserver la Paix sociale, la Justice, ou plus simplement, repousser le désordre et le chaos. Il n'y a pas de jihad armé en France contre qui que ce soit. Celui-ci doit prendre la forme d'un engagement dans le corps militaire de l'armé française, si telle est l'inspiration du musulman, en vue de protéger la population française, et la paisibilité de son territoire, car cela est l'intérêt premier de l'islam, pour un musulman de citoyenneté française. Si tel est le cas, il doit toujours garder à l'esprit pourquoi il se bat, et se poser la question si sa mission va dans l'intérêt de l'islam, et du bien commun.

{ Raconté par 'Abdullah ibn 'Amr :Un homme est venu au Prophète (P  ) demandant la permission de prendre part au Jihad. Le Prophète (P  ) lui demanda : « Tes parents sont-ils toujours en vie ? » Il a répondu par l'affirmative. Le Prophète (P  ) lui dit : « Alors, mets-toi à leur service. » }388

À l'époque du prophète, il y a eu un jihad armé que l'on retrouve beaucoup dans les recueils de ahadith. Cependant, le jihad par la voie militaire n'a aucune obligation religieuse.

( Légers ou lourds, lancez-vous au combat, et luttez avec vos biens et vos personnes dans le sentier d'Allah. Cela est meilleur pour vous, si vous saviez. )389

Ce verset fait partie de ceux dont nous avons un sérieux doute sur la traduction. Le mot « combat » présent n'est aucunement présent dans la verset original. « Légers ou lourds, allez de l'avant » aurait été une traduction un peu plus fidèle. Et le terme « lutter » ici est une forme dérivée du mot « jihad ». Dans ce verset, on voit clairement l'absence d'élitisme requis pour lutter dans le sentier d'Allah. « Léger » ou « lourd », en d'autres termes, expert ou non dans un domaine, « léger ou lourd » en connaissance, en biens, faible ou fort mentalement, intellectuellement ou physiquement, il faut contribuer à faire des efforts.

Concernant les femmes, selon les propos du Prophète, le meilleur des jihad pour elles, est de faire le Hajj, c'est-à-dire d'accomplir le Pèlerinage selon la tradition prophétique.

{ La Mère des Croyants, 'Aishah, a dit : « J'ai dit : « Ô Messager d'Allah, ne devons-nous pas aller combattre dans le jihad avec vous, car je ne pense pas qu'il y ait un acte dans le Coran qui est mieux que le jihad. » Il a dit : « Non le meilleur et le plus beau (type) du jihad est le Hajj Al-Mabrur. » }390

Parmi les plus valeureux mujahidin (pluriel de mujahid, signifie « militant », « résistant », « ceux qui luttent contre leur propre âme » selon les mots du Prophète) sont les martyrs.

{ Selon 'Abdullàh Ibn 'Amr Ibn Al 'As, le Messager de Dieu a dit : « Celui qui est tué en défendant ses biens est un martyr. » }391
( Ceux qui croient en Allah et au Jour dernier ne te demandent pas permission quand il s'agit de mener combat avec leurs biens et leurs personnes. Et Allah connaît bien les pieux. )392

La philosophie du martyr est intimement liée au jihad. Mais encore une fois, la notion de martyr doit être bien comprise, sans quoi, cela pourrait conduire vers des dérives dénuées de sens, et contre-productives pour les musulmans.

{ Raconté par Abu Huraira : J'ai entendu le Messager d'Allah (P  ) dire : « L'exemple d'un Mujahid dans la Cause d'Allah ― et Allah sait mieux qui lutte vraiment pour sa cause ― est comme une personne qui jeûne et prie en permanence. Allah garantit qu'il admettra le Mudjahid, fidèle à sa Cause, au Paradis s'il est tué, sinon Il le ramènera à son domicile en toute sécurité avec des récompenses et un butin de guerre. » }393
( Ne sont pas égaux ceux des croyants qui restent chez eux - sauf ceux qui ont quelques infirmité - et ceux qui luttent corps et biens dans le sentier d'Allah. Allah donne à ceux qui luttent corps et biens un grade d'excellence sur ceux qui restent chez eux. Et à chacun Allah a promis la meilleure récompense; et Allah a mis les combattants au-dessus des non combattants en leur accordant une rétribution immense ; )394

Contrairement à la propagande ambiante, si l'on dé-contextualise les versets du Coran de leur période historique, on remarque qu'il y a peu de référence à la guerre, mais seulement au combat et à la lutte. Ce qu'il faut retenir avant tout ici, c'est que ne sont pas égaux ceux qui font l'effort, et ceux qui ne le font pas alors qu'ils disposent les moyens de le faire.

( Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement envers Allah. Certain d'entre eux ont atteint leur fin, et d'autres attendent encore ; et ils n'ont varié aucunement (dans leur engagement) ; )395

Le martyr est le plus sincère, mais il est avant tout inébranlable, sa volonté est incorruptible. Il est impossible de le sortir du sentier de Dieu. Il est patient et endurant dans sa lutte. Il ne recherche pas la mort par intérêt, mais parce que c'est un moyen de triompher sur ses adversaires et d'être récompensé de ses efforts.

{ D'après `Abdoullah Ibn 'Abî 'Awfâ (que Dieu l'agrée), Abou An-Nadr rapporte qu'un homme de la tribu de 'Aslam, `Abdoullah Ibn 'Abî 'Awfâ, écrivit à `Umar Ibn `Ubayd-Dieu au moment où ce dernier allait partir contre Al-Harûriyya, (une des sectes des Kharidjites), lui disant : Lors l'une de ses batailles menées contre l'ennemi, l'Envoyé de Dieu (paix et bénédiction de Dieu sur lui) se leva, lors du déclin du soleil, au milieu des musulmans et leur dit : « Ô gens, ne souhaitez pas la rencontre de l'ennemi et demandez plutôt à Dieu la paix ; mais, si vous le rencontrez, montrez de l'endurance et sachez que le Paradis est à l'ombre des sabres ». Puis il ajouta : « Ô mon Seigneur! Toi qui as révélé le Livre Saint, qui as fait courir les nuages au ciel, qui as mis les Coalisés en déroute, mets l'ennemi en déroute et apporte-nous la victoire sur eux ! » }396
{ Rapporté par Salim Abu-An-Nadr : `Abdullah bin Abi` Awfa a écrit et j'ai lu ce qu'il avait écrit que le Messager d'Allah (P  ) a dit : « Quand vous leur faite face (à vos ennemis) alors soyez patients. }397

Ce n'est pas seulement la mort qui fait le martyr, mais le prix très fort de l'engagement physique ou psychologique dans sa lutte, qui est le poids de la souffrance, et qui peut conduire à la mort. Le martyr a plus de ressource mentale ou physique que la plupart des croyants. Une nouvelle fois, nous rappelons que le martyr ne tombe pas forcément sur un champ de bataille, il peut être mort par épuisement, dans une lutte sociale, politique, à condition toujours d'être dans le sentier de Dieu. Sa souffrance peut donc être mentale, comme physique.

Durant la période mecquoise de la Révélation, le simple fait d'affirmer son appartenance à l'islam, mettait la personne en danger de mort. Durant cette période, sont nés les premiers martyrs musulmans, hommes et femmes. Remarquez bien qu'il n'était pas des combattants au sens militaire du terme.

Donc le jihad est toujours un combat subi, une oppression contre laquelle résister. Le martyr est aussi celui qui trouve la mort, en essayant de se défendre.

{ Sa'id Ibn Noufeyl (l'un des dix à qui le Prophète a promis le Paradis) a dit : « J'ai entendu dire le Messager de Dieu : « Celui qui est tué en défendant ses biens est un martyr. Celui qui est tué en défendant sa vie est un martyr. Celui qui est tué en défendant sa foi est un martyr. Celui qui est tué en défendant son honneur est un martyr ». }398
{ Abou Houraira rapporte : « Quelqu'un vint dire au Messager de Dieu : « Ô Messager de Dieu ! Que dois-je faire si quelqu'un venait me prendre mon argent ? » Il dit : « Ne lui donne pas ton argent ». Il dit : « Et s'il me combat pour le prendre ? » Il dit : « Combats-le ». Il dit : « Et s'il me tue ? » Il dit : « Tu es alors un martyr ». Il dit : « Et si je le tue ? » Il dit : « II est alors dans l'Enfer ». }399

Néanmoins, l'objet contre lequel se défendre pour être martyre, n'est pas toujours des hommes. Par exemple, le fait de mourir d'une maladie grave dont nous ne sommes pas responsables, est considéré comme tomber en martyr selon les propos du Prophète :

{ Le Prophète (P  ) a dit : « La peste est la cause du martyre de chaque musulman (qui meurt à cause de cela). }400
{ Selon Abou Houraira, le Messager de Dieu a dit: « Les martyrs sont cinq: — Celui qui meurt dans une épidémie de peste. — Celui qui meurt à la suite d'une entérite (choléra ou autre). — Celui qui meurt noyé. — Celui qui meurt sous les décombres. — Celui qui meurt tué au service de Dieu. }401
{ Selon lui encore, le Messager de Dieu a dit : « Quels sont ceux que vous comptez parmi vous comme martyrs ? » Ils dirent : « Ô Messager de Dieu ! Celui qui est tué au service de Dieu est un martyr ». Il dit : « Dans ces conditions le nombre de martyrs de ma communauté serait bien faible ». Ils dirent : « Qui sont alors les martyrs ? Ô Messager de Dieu ! » Il dit : « Celui qui a été tué au service de Dieu est un martyr. Celui qui meurt (par accident ou de mort naturelle) au service de Dieu est un martyr. Celui qui meurt d'une entérite (choléra ou autre) est un martyr. Celui qui meurt noyé est un martyr ». }402

Car ici, il est surtout question de la souffrance endurer par celui qui résiste à la maladie douloureuse pour le corps et l'esprit.

L'objet de la lutte du jihad peut être divers, et n'est donc pas une lutte uniquement contre les mécréants, dans une optique simplifiée de guerre aveugle, puisque nous rappelons que le Prophète nous a dit que la rencontre avec l'ennemi n'était pas souhaitée. Car la confrontation avec celui-ci, accroît forcément les tensions, et peut faire des morts et des blessés inutilement. Or, l'objectif de l'islam n'est pas de faire des martyrs, mais de faire régner la Paix et la Justice, pour éviter justement qu'il y en ait, dans un camp ou dans l'autre.

Le sentier de Dieu : une lutte transcendante ?


En affirmant l'Unicité Divine, l'islam reconnaît une seule et unique humanité indivisible. Pourtant, si le jihad est une lutte perpétuelle, c'est forcément qu'il existe une dualité contre laquelle nous sommes condamnés à nous battre toute notre vie. Celui-ci ne doit pas excéder le sentier de Dieu. Cette partie de l'humanité qui forme l'autre dualité ne correspond pas aux non-musulmans contrairement à ce qu'une mauvaise compréhension pourrait le suggérer. Avant d'expliquer cette dualité particulière, nous allons présenter quelques concepts.

Nous avons dit que le jihad était une lutte contre son ego (Nafs) avant toute chose. Or dans l'histoire de l'islam, ceux qui ont le plus développé cette pensée sont les soufis. Le Soufisme (tassawuf) est venu palier les manques des théologiens de la civilisation islamique qui ont hypertrophié l'importance de la jurisprudence musulmane. Le Coran n'est pas un texte de loi. Moins de 5% des versets du Coran sont destinés à la jurisprudence, et même ceux-là, peuvent être utilisés pour d'autres sciences islamiques. Le but du Coran est avant tout de tirer des enseignements, et non pas, d'appliquer mécaniquement un verset, que l'on pense avoir compris.

( Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos sentiers, Allah est en vérité avec les bienfaisants. )403

Savoir tirer des enseignements du Coran demande un travail actif du lecteur. D'après le verset 69 de la sourate intitulée l'Araignée, celui qui fait un effort, Allah le guide dans Son sentier. En d'autres termes, celui qui fait le jihad se rapproche de Dieu, et donc, sa compréhension de l'islam devient meilleure. Ainsi, le musulman progresse dans son islamité, ou plutôt, dans sa spiritualité404.

Le soufisme est la voie intérieure de l'islam. En réalité, cette appellation n'existe que par une déviation vers le tout exotérique des musulmans. Les premières générations de musulmans comprenaient aussi bien l'intérieur que l'extérieur de l'islam. Au-delà des propos du Prophète lui-même, il suffit de lire La Voie de l’Éloquence, par exemple, de l'imam 'Alî ibn Abû Tâlib pour en être persuadé. Les compagnons avaient une spiritualité qui s'est perdue, et dont ceux qui se réclament des salafs aujourd'hui, ont totalement délaissé.

Les soufis ont conceptualisé cet effort spirituel dans le sentier de Dieu au travers de trois termes que sont la Charia, la Tariqa, et la Haqiqa.

La Charia signifie littéralement « la voie qui mène à la source ». Selon les soufis, elle est la grande voie qui permet de poser les limites de l'islam. C'est-à-dire celle qui définit ce qui est musulman et ce qui ne l'est pas. Elle correspond à la voie extérieure la plus large. Elle se compose uniquement de ce qui est unanime et fait consensus. La Charia telle qu'elle est pensée par la jurisprudence est différente. On remarquera tout de même que les soufis ont préservé le sens initial, alors que les politiques du monde musulman, ont fait de ce mot autre chose qu'il ne l'était à l'origine.

La Tariqa est un concept que l'on trouve uniquement dans le soufisme, mais qui a tout de même des fondements coraniques. La Tariqa est la petite voie. Elle est plus étroite que la Charia, car c'est un procédé plus intime. C'est le travail intérieur que chacun doit faire à son échelle.

( Et s'ils se maintenaient dans la bonne direction, Nous les aurions abreuvés, certes d'une eau abondante, )405

La Haqiqa, est un terme qui vient de l'attribut d'Allah, al-Haqq (Le Vrai, Le Réel). Il est le résultat du travail fait dans la Tariqa, ce qui permettrait à l'homme d'obtenir un accès à la réalité tel qu'elle est vraiment. C'est la source à laquelle fait référence la Charia. C'est au travers de ce terme que l'on trouve parfois des confréries soufies très élitistes, prétendant que l'on pourrait être si proche du Vrai que l'homme serait capable de fusionner avec Dieu, ou encore, que celui-ci pourrait atteindre des degrés d'infaillibilité. Et pour couronner le tout, toujours selon certaines d'entre elles, ce travail sur soi ne serait pas accessible à tous, mais à quelques saints élus. Ce sont des choses sur lesquels nous ne sommes pas d'accord, comme la majorité des musulmans sunnites. En revanche, ce qui a été accepté même par les plus littéralistes, est l'extinction en Allah (fanâ'). C'est la capacité de l'homme de trouver sa propre unicité, et en conséquence, d'être en pure harmonie avec l'Unicité divine.

Il existe en réalité une quatrième notion intitulé Marifat, qui surpasse la Haqiqa. C'est l’acquisition d'une connaissance divine, mystique. C'est l'accès à une partie de l'omniscience de Dieu. Nous la mettons de côté, car elle correspond à une exception, du fait qu'elle n'est pas accessible par l'effort humain. C'est une science qui vient de Dieu. Pourtant, celle-ci se distingue d'une Révélation (wahy). Al-Khidr dans le Coran en est un exemple (Coran 18:65406). Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le savoir acquis par ces personnes n'est pas un savoir universel. Mais seulement nécessaire pour atteindre un but précis dans le Plan divin. D'ailleurs, on voit que les connaissances d'Al-Khidr sont très concrètes, et reposent sur des faits quotidiens. Comme pour nous rappeler que la connaissance ne doit pas rester uniquement dans le domaine de l'abstrait et du théorique, mais qu'un retour au réel, à la proximité avec les gens est nécessaire, ce que certaines élites soufies ont tendance à oublier, par ce que nous avons dénoncé comme un ascétisme exagéré. Car se détacher du monde terrestre ne signifie pas délaisser les affaires terrestres.

Le passage de la Charia à la Haqiqa, c'est ce que nous avons évoqué dans le premier chapitre de notre premier livre, c'est-à-dire, faire en sorte que les connaissances théoriques acquises deviennent un savoir pratique. Tellement pratique, que cela en devient une certitude. On ne peut pas passer directement de la Haqiqa sans passer par la Charia. Une fois que ce savoir pratique n'a plus besoin d'effort pour être acquis, alors la personne s'est rapprochée de Dieu, et elle devrait commencer à percevoir une réalité autre, mais une réalité plus proche du Réel. Cette relation Charia/Haqiqa, est souvent décrite par les soufis comme l'écorce et le noyau, l'arbre et ses fruits, ou encore l'exotérisme et l'ésotérisme.

Par exemple, savoir que le Prophète Muhammad savait maîtriser sa colère, est au début une connaissance théorique. Le musulman devant le prendre pour modèle, il se doit d'améliorer son comportement en prenant exemple et en travaillant sur soi. Pour certain, ce sera plus facile que pour d'autre, et inversement selon les prédispositions de chacun. Ainsi, celui qui maîtrise sa colère sans plus aucun effort, et capable d'une miséricorde beaucoup plus importante que celui qui la laisse encore éclaté. Et être capable de maîtriser sa colère dans des moments critiques, permet d'avoir l'esprit plus lucide et serein dans l'instant présent, par rapport à celui qui obéit encore aux passions de son âme, passions qui peuvent lui distordre la réalité.

Le terme de Tarika peut faire référence également aux différentes confréries soufies, raison pour laquelle cette notion est parfois controversée. Si la Charia est une roue et la Haqiqa le centre, la Tariqa serait le rayon (cf. infra schéma). De notre point de vue, l'homme est initié par l'expérience de la vie, les épreuves et les rencontres que Dieu met sur son chemin. La plupart des gens n'ont pas besoin de passer par une confrérie pour atteindre Haqiqa. Seule une poignée de soufis élitiste peuvent le penser. Passer par une confrérie n'est qu'une accélération de l'initiation pour se rapprocher d'Al-Haqq. Les soufis parlent de stations et d'états spirituels407 (Coran 37:164). Les états spirituel sont les états intérieurs que l'homme ressent dans certaines conditions liées à la vie terrestre. Cela peut être de la tristesse, de la colère, de la frustration. En règle générale, c'est un état éprouvant qu'il faut dépasser. Sortir victorieux d'un état spirituel, de notre point de vue, c'est acquérir une station.

( Nous avons créé, au-dessus de vous, sept cieux. Et Nous ne sommes pas inattentifs à la création. )408

Dans la langue originale du Coran, les « sept cieux » sont, dans ce passage en particulier, en réalité sept voies. Des voies intérieures, dont le chiffre sept ici n'indique qu'un nombre de perfection. Ce sont des cheminements spirituels qui mènent à Al-Haqq, au Réel, au Vrai. Cela rejoint ce que nous avions dit concernant la polysémie du mot « ciel » dans notre troisième ouvrage409. Retenez la fin du verset : « Et Nous ne sommes pas inattentifs à la création », nous reviendrons dessus dans le prochain article pour expliquer le lien qui existe entre l'attention, la vigilance, la conscience intérieure et spirituelle, et enfin, l'Amour de Dieu pour Ses créatures.

Cette petite voie (tariqa) tournée vers l'intérieur est équivalente au jihad an-nafs. Tout le monde peut y accéder. Lutter dans le sentier de Dieu, c'est se rapprocher de Dieu. Se rapprocher de Dieu, c'est se rapprocher de La Vérité (Al-Haqq). Se rapprocher de La Vérité, c'est s'élever. Et s'élever, c'est transcender. Donc, lutter dans le sentier de Dieu, c'est chercher à transcender sa condition humaine.

{ Raconté par Abu Musa : Un homme est venu au Prophète (P  ) et demanda : « Un homme se bat pour un butin de guerre, un autre combat pour la gloire et un troisième combat pour se montrer (se vanter). Lequel d'entre eux se bat pour la cause d'Allah ? » Le Prophète (P  ) a dit : « C’est celui qui combat pour que la Parole de Dieu soit la plus haute qui est dans le Sentier de Dieu. » }410

Faire de la Parole de Dieu la plus haute ne signifie ici, ni sa propagation, ni son imposition, ni faire plus de bruit que les autres religions. Même si l'islam est bien une religion prosélyte, cela ne se fait pas par la voie du jihad, mais au travers de la da'wah, une invitation et une sensibilisation à l'islam. Ici, il faut comprendre « haute » comme « transcendante », c'est-à-dire, faire de la Parole d'Allah, une Parole profonde et universelle. Les littéralistes comprendront ce hadith dans le sens de faire régner les lois d'Allah sur la terre. Même si cela n'est pas entièrement faux, si on laisse de côté les moyens pour y parvenir, ces derniers n'ont saisi que la partie matérielle des propos du Prophète de l'islam, quand les soufis en ont saisi l'intégralité. Faire de la Parole d'Allah la plus haute, c'est élever la compréhension du Coran par les hommes, en fonction des défis du temps, et des avancées de la connaissance des hommes sur la Création. C'est d'une certaine façon synchroniser la Révélation et le monde réel, par l'ijtihad (effort de réflexion) perpétuel. Réactualiser nos interprétations pour faire du Coran un livre universel dans l'espace et dans le temps. Élever la Parole d'Allah, c'est aussi rendre l'islam intelligible et présenter cette religion dans sa meilleure des formes aux yeux du monde, dans les moments clés de l'humanité. Car jusqu'à preuve du contraire, le Coran ne pense pas à la place des hommes, et la Révélation n'est pas parvenue aux musulmans pour se substituer à la réflexion de l'humanité, mais au contraire, pour la stimuler et inciter à son utilisation.

La Charia est l'espace vital des musulmans. Tant que la France permet aux musulmans d’exprimer librement leurs opinions, d'exercer librement leur culte et leur foi, d'exercer leur droit à la vie, à la dignité et à la propriété, alors, l'esprit de la Charia est présent. Car c'est tout ce dont a besoin le musulman pour se réaliser et vivre pleinement sa foi. La Charia est la voie la plus extérieure. Tout musulman est à l'intérieur de la Charia, même si ses comportements peuvent parfois être en dehors. Et inversement chez les non-musulmans, certains ont des comportements qui se situent dans la Charia, mais leur être est en dehors, n'étant pas musulmans (soumis). La clé pour entrer ontologiquement dans la Charia est la shahada, l'attestation de foi qui fait rentrer dans l'islam, avec toutes les conditions que cela requiert411. Selon un consensus des savants, la shahada est le plus petit dénominateur commun entre les musulmans.

La Charia étant la voie exotérique, elle fait donc référence au monde terrestre, au monde sensible, au monde des causes, et dans la tradition, on l'appelle également le monde du Témoignage ('âlam al-shahâda)412. Il s'oppose au monde invisible, au monde des Cieux, et de ce qui est caché, que la tradition appelle le monde du Mystère ('âlam al-ghayb). Ghayb signifie littéralement ce qui est absent de la vue.

Le cheminement dans la Tariqa se fait individuellement. Cela va donc consister à essayer de comprendre la réalité des mystères de ce monde. La première des étapes va consister à acquérir cette conscience intérieure de l'être, que nous avions évoqué dans notre deuxième ouvrage, concernant la complémentarité de l’œil interne et l’œil externe413. Personne ne peut vous ouvrir les portes de l'invisible à votre place. Il existe alors différents moyens, différentes voies, consistant à faire de la Parole de Dieu la plus haute, « autant qu'il y a de fils d'Adam » selon une tradition soufie.

Puisque ces efforts dans la Tariqa concernent l'invisible, ils se préoccupent également de la partie invisible de l'être humain, à savoir le travail sur sa propre âme, contre ses propres excès. La recherche et la maîtrise des nobles caractères contre l'ego siégeant dans le cœur. Cet ego attire l'homme dans les infra-mondes, à ne percevoir que ce qui est matière, apparence. Il recouvre le cœur de voiles qui empêchent l'être humain de voir la réalité telle qu'elle est.

( Tu restais indifférent à cela. Et bien, Nous ôtons ton voile ; ta vue est perçante aujourd'hui. )414

L'éducation de l'âme, pour faire allusion au titre d'un célèbre ouvrage d'Abû Hâmid al-Ghazali, cela consiste à gommer le faux pour ne laisser se manifester que le vrai. « La vue perçante » pourrait faire référence également à « l’œil de certitude » (Coran 102:7), conséquence lorsque les voiles sont retirés. L’œil interne perçoit la réalité avec une clarté infinie. Lorsque l'âme (Nafs) est en phase avec l'Esprit (Rouh), l'individu obtient la certitude de la Haqiqa. On parle également d'éclatement de la Vérité, car cette certitude jaillit comme une source d'eau. L'individu qui atteint ce stade est en harmonie, non seulement avec la nature, mais aussi avec le Créateur.

Nous rappelons qu'une mauvaise fréquentation dépeint sur l'âme. Ainsi, un entourage néfaste maintient les voiles sur les cœurs, et peuvent même en rajouter. Puisqu'il existe des formes d'initiations à des pratiques pécheresses, qui permettent à l'âme de basculer totalement de l'autre côté. Des voiles qui deviennent des handicapes, des cadenas qui scellent les cœurs dans l'égarement. Le dialogue est quasiment impossible entre celui qui a des aspirations angéliques et celui qui a des aspirations démoniaques. Mais le premier surpasse incontestablement le second, qui lui, ne peut dialoguer parce qu'il ne comprend plus rien. Il est en disharmonie avec le réel.

{ D'après Ibn Mas'oud (qu'Allah l'agrée), le Prophète (que la prière d'Allah et son salut soient sur lui) a dit : « Certes la véracité mène vers la piété et certes la piété mène au paradis. Un homme ne cesse d'être véridique jusqu'à ce qu'il soit écrit comme étant un véridique. Certes le mensonge mène vers la perversion et certes la perversion mène vers l'enfer. Un homme ne cesse de mentir jusqu'à ce qu'il soit écrit comme étant un menteur ». }415

Ces aspirations vont automatiquement se refléter au travers des corps, et en conséquence sur les mœurs de la société des hommes. C'est pourquoi, changer le monde, ou changer de monde, doit commencer par le travail sur soi. Tout commence là. Nous avons la société que nous méritons, à la hauteur de nos efforts sur nos âmes.

Or dans le système occidental actuel, la lutte est déplacée vers l'autre, et les musulmans jihadistes modernes de Daesh font de même. Ils copient l'idéologie occidentale qu'ils transposent sur l'islam. Pensant que la vie serait une compétition et qu'il faudrait triompher de l'autre, soit s'extasier de l'échec de nos semblables. Pour un musulman égaré, combattant du pseudo état islamique, cela se traduit par son souhait de voir des êtres humains finir en enfer (échec de l'autre), ou alors forcer tout le monde à se convertir à l'islam (succès de son propre groupe sur les autres, comme si l'islam était une multinationale monopolisante).

« La morale collective actuelle nous fait croire que l’important c’est de l’emporter sur les autres, de lutter, de gagner. Nous sommes dans une société de compétition mais un gagnant est un fabricant de perdants. Il faut rebâtir une société humaine où la compétition sera éliminée. Je n’ai pas à être plus fort que l’autre, je dois être plus fort que moi… grâce à l’autre. » — Albert Jacquard

Les soufis sont les plus lucides, les plus sages de la communauté musulmane. Ce sont ceux qui sont les plus préoccupés par la recherche de l'excellence (ihsan). Ce sont des êtres réalisés, les rapprochés de Dieu. Car ils ne sont pas seulement savants, au sens purement scientifique ou purement théologique. Mais savants en terme de Science, de vérités, de connaissances que l'on ne trouve dans aucun livre. C'est pourquoi certaines confréries ne transmettent leur savoir que par communication orale, et stipulent que l'initiation d'un élève ne pourrait se faire que par ce moyen de transmission.

Les soufis sont conscients de la dégénérescence de ce monde plus que n'importe qui. Ils sont ceux qui sont les plus investis dans l'effort, et contribuent au développement de méthodes pour retourner dans l'état de pureté qu'est la fitra, la saine nature (des méthodes comme le dhikr, l'ascèse, la retraite spirituelle, etc.). Ils savent que l'humanité se salie avec le temps et, comme pour l'âme humaine, elle passe des stations irréversibles. Rester dans le droit chemin est de plus en plus difficile, quand les chants des sirènes de la publicité, de la télévision et du marketing nous poussent à jeter l'éponge, et à ce laisser-aller dans le désir libidinal mortifère.

{ Raconté Abu Sa`īd Al-Khoudri : Quelqu'un demanda : « Ô Messager d'Allah (P  ) ! Qui est le meilleur parmi les gens ? » Le Messager d'Allah (P  ) a répondu : « Un croyant qui cherche de son mieux pour la cause d'Allah avec sa vie et la propriété. » Ils ont demandé : « Qui est le suivant ? » Il répondit : « Un croyant qui reste dans l'un des chemins de montagne adorer Allah et en laissant le peuple à l’abri de son mal. » }416

Si cette lutte semble individuelle, elle n'est en rien individualiste. Lutter contre ses défauts, c'est protéger les autres des aspirations maléfiques de son âme. Il existe donc bien une dimension altruiste et un rapport aux autres dans le grand jihad. De plus, lutter dans le sentier de Dieu, c'est aussi gagner batailles sur batailles (intérieures). Et on finit toujours par gagner la guerre (intérieure), pour se rendre contre qu'une nouvelle nous attend. De cette façon, le musulman s'améliore et se rapproche de la Vérité. Or, Allah est La Vérité, mais Il est aussi Celui qui transcende toute chose. Ainsi, lorsque l'homme se rapproche de La Vérité, il se rapproche donc de Dieu, et il transcende également sa condition humaine matérielle.

Dans cet article, nous avons pour la première fois abordé la spiritualité en tant que telle, et c'est au lecteur d'essayer de connecter les informations ici présentes avec les différents articles dispersés au sein de notre œuvre, pour se faire une vision plus global sur le travail sur soi. C'est ce qui manque à la communauté musulmane qui elle aussi, appartenant à l'humanité, dérive vers le tout exotérique, ne comprenant que l'apparent, la matière de ce monde, ainsi que la lettre du Coran, et délaissant l'esprit de la Révélation, ses mystères, et ce qui échappe à la vue sensible. C'est pourquoi vous voyez aujourd'hui des musulmans ultra-littéralistes, pensant détenir la Vérité sur l'islam, sans même se rendre compte qu'ils commettent péchés sur péchés à chaque discours qu'ils prononcent, souvent situées en dehors de l'éthique de la Charia.

Lutter mentalement contre ses propres archétypes, ou comment détacher son cœur du monde terrestre ?


( Et quiconque lutte, ne lutte que pour lui-même )417

Au premier abord, la lutte individuelle semble peu efficace pour la vie d'ici-bas. En conséquence, certains vont développer des théories selon lesquelles la foi qui est dans le cœur est plus importante que les actes. En d'autres termes, ils délaissent les efforts sur eux-mêmes, et leur cœur se voile en raison de leur passion et leur attachement à ce monde, plus qu'à l'au-delà.

En réalité, nous l'avons dit précédemment, s'efforcer d'améliorer son comportement, est équivalent à préserver l'autre de tout mal qui pourrait provenir de soi. Mais cela va plus loin. Lorsque l'on atteint la station de la haqiqa, une parcelle de la Vérité divine nous est dévoilée. C'est l'attribut Al-Haqq qui se manifeste dans la Création à travers l'homme grâce à son Esprit (Rouh), une partie du souffle divin prêt à accueillir La Lumière divine. Sauf que, ce savoir acquis est objectif, dogmatique, on perçoit la Réalité telle qu'elle est, non pas en image ni en pensée, mais en être, en ne faisant plus qu'un avec cette science parfaite. Cet accès à la Vérité acquise par le jihad contre l'âme se transforme automatiquement en lutte collective. Car contrairement à l'idéologue, qui fonde sa vie sur le mensonge et les réseaux humains, la Vérité, elle, forme une sorte de réseau métaphysique, non pas naturel, mais réel. Un réseau auquel chacun peut se connecter. C'est aussi la raison pour laquelle on observe des phénomènes de synchronicité dans l'évolution humaine, et ce phénomène est d'autant plus visible de nos jours grâce à internet.418

Mais nous n'avons toujours pas expliqué comment lutter contre son ego. Nous vous renvoyons à notre article sur le fait de sentir sa volonté par l'arrogance et l'humilité419, car il est une étape à saisir. Sentir sa volonté, c'est commencer à pouvoir agir sur sa mentalité. La mentalité est le produit de ce qui se trouve dans le cœur des gens, et qui se manifeste à travers leurs comportements. Avant d'approfondir cela, nous aimerions, revenir sur une chose importante.

( Ô les croyants ! Quiconque parmi vous apostasie de sa religion… Allah va faire venir un peuple qu'Il aime et qui L'aime, modeste envers les croyants et fier et puissant envers les mécréants, qui lutte dans le sentier d'Allah, ne craignant le blâme d'aucun blâmeur. Telle est la grâce d'Allah. Il la donne à qui Il veut. Allah est Immense et Omniscient. )420

Le combat pour la Vérité n'appartient pas à un groupe prédisposé génétiquement. Elle est l'affaire des croyants dans sa signification la plus large. Un non-musulman peut très bien se battre dans le sentier d'Allah, tout comme nous avons vu qu'il y avait des musulmans qui commettaient des actes en dehors de ce qui est permis par l'islam. L'effort dans la recherche de la Vérité n'est pas exclusif aux musulmans. Naître dans une famille musulmane ne dispense pas de cet effort. Il y a toujours eu cette catégorie de gens qui pensent que l'on ne peut pas changer sa propre mentalité, y compris chez les musulmans. Ils se suffisent de la croyance en Dieu, et pensent automatiquement aller au Paradis.

( - Dis : « Si l'Ultime demeure auprès d'Allah est pour vous seuls, à l'exclusion des autres gens, souhaitez donc la mort [immédiate] si vous êtes véridiques ! » )421

On retrouve cela dans toutes les religions. Penser que nos actes terrestres sont moins importants que la foi qui existe dans notre cœur. Or, c'est avec les actions d'ici-bas que l'on construit son Au-delà. La foi sans bonnes actions ne pèse absolument rien dans la Balance de la Justice divine. Et nous parlons là des actes extérieurs comme intérieurs. Cette mentalité déviante résulte d'un attachement du cœur aux illusions terrestres. Elle va conduire l'homme à l'aveuglement intérieur, et, au lieu de se changer lui-même, va essayer de changer les autres. Prétendre devoir changer les autres, c'est se prendre pour la Vérité, pour un modèle, une référence à laquelle les autres devraient ressembler et se soumettre. C'est de l'arrogance et de l’égocentrisme. Même si l'on ne peut pas lire dans les poitrines, les actions extérieures trahissent souvent les actions intérieures, ou plutôt, l'inaction intérieure.

« Nous sommes terriblement conscients des choses extérieures, mais intérieurement nous sommes aveugles. » — Jiddu Krishanmurti422

C'est de cela qu'il s'agit lorsque nous parlons de perception interne et externe, d'ésotérisme et d’exotérisme. L'exotérisme seul est de l'aveuglement pur. D'ailleurs, en Occident, et en France par exemple, cet aveuglement a atteint un tel point que nous pensons que les mentalités émanent de ce qu'il y a dans nos têtes, alors que celles-ci sont la manifestation de ce qu'il y a dans nos cœurs. Car au final, les mentalités sont liées à nos actes et nos caractères, et non pas directement de nos idées. Or, si nous sommes aveugles intérieurement, comment pouvons-nous connaître les attaches de notre cœur à ce monde ?

Ce qui va nous intéresser ici, ce sont les avertissements de l'islam contre l'exotérique pure, par l'interprétation (ta'wil) de la Parole Prophétique. Et nous allons le faire au travers de la figure du Dajjâl, reprenant ce que nous a transmis le Sheikh Imran Hosein au travers de ses ouvrages423. Ad-Dajjâl (signifiant le Trompeur, ou l'Imposteur) est l'équivalent de l'Antichrist dans la tradition chrétienne.

{ Il a été rapporté que Hudhaifah a dit : Le Messager d'Allah (P  ) a dit : « Je suis plus au courant de ses artifices que lui [ad-Dajjâl] : il aura avec lui deux rivières qui couleront ; l’une étant en apparence une eau blanche, et l’autre en apparence un feu ardent. Celui d’entre vous qui le voit, qu’il choisisse la rivière qui lui semble être de feu, qu’il ferme les yeux, baisse la tête et boive car en réalité c’est une eau fraîche. Son œil est fermé, recouvert d’une membrane épaisse. Il est écrit mécréant (kafir) entre ses yeux, tout croyant (mo'min) pourra le déchiffrer qu’il sache lire ou non. » }424

Ce qu'il est important de savoir sur ad-Dajjal, tel qu'il est décrit dans la tradition musulmane, c'est qu'il prendra le mensonge pour vrai, et la vérité pour faux. Et il présentera les choses de cette façon au gens. Il embellira le mensonge, et créera des illusions, pour que nous choisissions le faux. Le Dajjâl est un illusionniste qui fait de la propagande au service du diable, pour égarer les hommes. Il est celui qui joue avec la dualité transcendante dont nous avons parler précédemment.

{ Ibn ‘Umar a rapporté que le Messager d'Allah (P  ) a fait mention du Dajjal en présence des gens, et dit : Allah n'est pas borgne, et voici que Dajjal est aveugle de l'œil droit et son œil serait comme un raisin flottant. }425
{ Ibn ‘Umar rapporte : « Le Messager d’Allah (P  ) se leva devant les gens, il loua Allah comme il se doit, puis parla du Faux Messie en disant : « Je vous mets en garde contre lui, et tout prophète a mis en garde contre lui, et Nûh a averti son peuple contre lui. Mais je vais vous dire une chose qu’aucun prophète n’a dit à son peuple : le Faux Messie est borgne et Allah n’est pas borgne. }426

Il est aussi dépeint physiquement comme étant borgne, aveugle de l’œil droit, et cet œil serait similaire à un raisin « flottant » ou « protubérant ». Entre ses yeux est écrit le mot « mécréant » (kafir), et toute personne croyante, serait en mesure de le lire qu'elle soit lettrée ou illettrée. C'est ce que dit la tradition musulmane, sachant qu'il s'agit d'une entité eschatologique, c'est-à-dire, qui surgira à la fin des temps.

Une fois que l'on a dit cela, pour beaucoup de gens cela ne fait pas sens. Qu'elle serait l'intérêt de nous révéler son apparence physique ? Faut-il se méfier des hommes borgnes ? Ou alors, y a-t-il une subtilité derrière cette description.

Selon notre compréhension des choses, la figure du Dajjâl est un archétype, tout comme les figures de Gog et Magog. La description physique du Dajjâl est en réalité à l'image de sa mentalité. L’œil droit symbolise la droiture, la spiritualité. Ad-Dajjâl est aveugle spirituellement parlant. Il ne voit qu'au travers de son œil gauche, qui symbolise la perception visuelle matérielle. Il est donc à l'image de celui qui ne jure que par la matière, le monde sensible, et la perception de ses sens. Il est celui qui veut déconnecter les gens de la réalité immatérielle, et donc de notre relation avec Le Très-Haut. Le raisin peut symboliser l'ivresse, en raison de l'alcool que l'on en sort.. Cela signifierait que cet œil droit, tout comme le vin, lui voile complètement la raison.

Si vous reprenez le tableau que nous vous avions fait dans le premier chapitre de ce livre427, le Dajjâl ne serait capable de voir que la colonne de droite, car son œil gauche ne peut voir que les stimuli extérieurs. Il serait incapable de comprendre la colonne gauche, car son œil droit, sensé lui faire comprendre la vérité intérieure, est corrompu. Nous avions fait la même remarque avec le physicalisme, et tout ce qui a trait au matérialisme. Vous comprenez alors que la philosophie et la science occidentale est sous l'emprise de la mentalité de l'Antéchrist.

Quant à Gog et Magog, ce sont deux peuples puissants que l'on retrouve également dans le message de l'islam, et qui, selon le Coran, vont semer le trouble sur terre. De notre point de vue, ceux-là sont des archétypes et ils symbolisent la dualité immanente. Ce sont deux peuples opposés qui sont destinés à rentrer en conflit. Comme le Dajjâl, ce sont des mentalités, des archétypes. L'un serait à l'Ouest et actif, quand l'autre à l'Est, et passif. Mais les deux sont bloqués dans l'immanence, dans cette dualité qu'ils n'arrivent pas à transcender. Comme s'ils se nourrissaient l'un et l'autre. Parmi les nombreuses caractéristiques soulevées par le Sheikh Imran Hosein, ce seraient deux peuples gaspilleurs, car selon les ahadith, ils consommeront une quantité d'eau excessive428. Pour continuer dans la logique du Sheikh Imran Hosein, le fait qu'il s'agisse de gaspillage d'eau, cette matière avec laquelle Dieu a créé toute chose vivante (Coran 21:30), on peut supposer alors que ce sont deux peuples qui ont peu de respect pour la vie, dans toutes ses formes. On remarque que le Prophète insiste sur la mentalité de Gog et Magog pour pouvoir les reconnaître.

Comme tout archétype, il n'est pas impossible qu'un jour, ces mentalités s'incarnent totalement dans les cœurs des êtres humains (et donc ad-Dajjâl dans un seul cœur humain, soit le Masih ad-Dajjâl, le Faux Messie, selon la tradition Prophétique). Les plus touchés seront les plus vaniteux. Certainement ces élites dirigeantes, oligarchiques, marchandes d'armes, assoiffées de pouvoir et d'une reconnaissance terrestre, dont le cœur est plus que quiconque attaché à cette vie. Et souvenez-vous qu'une mentalité d'élite se répercute dans celle des masses, car leur pouvoir d'influence est plus important. L'idéologie dominante a plus de poids dans l'inconscient collectif (et cela dans les pays concernés : selon l'hypothèse du Sheikh Imran Hosein, Gog serait l'axe occidental Angleterre/États-Unis/OTAN/Israël versus l'axe oriental Russie/Chine/Iran). Ce n'est qu'une hypothèse faite par le Sheikh Imran Hosein, en fonction des données géostratégiques de notre époque. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que chacun de ces axes ne forment pas forcément des pays alliés entre eux, mais ils forment des vecteurs de mentalités communes. Ils ont au sein de chaque axe respectif, des populations aux inconscients collectifs proches et partagés.

Pour essayer d'étayer tout ce que nous venons de dire, le hadith se termine en disant que la reconnaissance de Dajjâl se fera par le mot « kafir », « incroyant », inscrit entre ses yeux.

Sauf que, le Prophète nous enseigne que mêmes les personnes illettrées pourront le lire, à la seule condition tout de même qu'elles soient croyantes (mo'min). Relevez-bien que le Prophète n'a pas dit muslim (musulman), mais mo'min (croyant). Donc ce n'est pas une question d'appartenir à l'islam, mais d'être dans un combat de vérité. Et le fait que même les croyants illettrés pourront lire le mot « kafir », prouve d'une part que ce n'est pas une question de haute éducation, ni d'intelligence, mais d'abord d'intention et de sincérité. Et d'autre part, que le mot « kafir » ne sera pas écrit avec des lettres physiques sur la tête du Dajjâl, mais c'est sa mentalité de mécréant qui se manifestera et qui pourra être perçue à travers ses actes par les croyants. Cela se verra « comme le nez au milieu de la figure » pour le croyant.

Alors comment en arrive-t-on a de telles interprétations ? Le Prophète savait-il tout ce que nous disons-là ? Ainsi que ses compagnons ? Où est-ce de la libre interprétation déviante ?

Avant de répondre, nous allons revenir sur une expérience personnelle. Nous nous souvenons que lorsque nous étions lycéen, nous faisions des commentaires de textes en cours de français. Lors des premiers cours, en début d'année, un élève a posé une question pertinente sur un texte, en demandant au professeur, si l'auteur de l'œuvre que nous étions en train d'étudier en classe, avait pensé à tout ce que nous étions en train de disserter, au moment où il l'a écrite. Nous nous souvenons également que le professeur avait dit que chaque année, cette même question lui était posée par un élève. Nous ne nous souvenons plus de la réponse donnée, mais ce n'est pas le plus important. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que lorsque le texte à une certaine cohérence, et que l'image, à laquelle l'écrivain veut nous faire parvenir, a été soigneusement travaillée, polie, et qu'il y a mis de lui-même dans son art, alors, des vérités inconscientes se glissent dans les agencements du textes, lui donnant plus de profondeurs et de vérité. Essayer dans faire l'expérience en écrivant un poème que vous travaillerez sur plusieurs mois, et sur n'importe quel sujet. Mettez-y de votre passion, de l'engagement, de la volonté. Une fois terminé, et satisfait, mettez-le de côté et lisez-le quelques années plus tard. Vous aurez l'impression de redécouvrir ce poème avec un œil nouveau, des vérités nouvelles vous apparaissent dans ce texte, des constructions et des réflexions qui semblent bien agencées alors que vous ne l'aviez pas travaillé dans ce sens-là, au moment où vous l'aviez écrit. Et si entre temps vous avez cheminé spirituellement, vous y verrez également vos naïvetés passées.

Dans le Coran et la Sunnah, on peut appliquer le même procédé, excepté que pour la Révélation, Allah ne nous a rien transmis par inconscience, car Dieu n'est pas et n'est jamais inconscient. Au contraire, c'est l'homme qui est inconscient des subtilités et des messages cachés du Coran. Alors qu'Allah nous les a transmis en toute conscience, par Son Omniscience, même s'Il savait que nous ne pourrions pas tout déchiffrer au premier coup d’œil. Ce que nous disons, tout musulman qui lit régulièrement le Coran l'a déjà expérimenté. La seconde lecture n'est jamais identique à la première. On a l'impression que de nouvelles choses se sont glissées dans le texte. En réalité, c'est parce que nous n'avons pas été assez vigilants lors de notre première lecture, que des détails nous ont échappé. Et de nouveaux éléments apparaissent à chaque nouvelle lecture du Coran. Car plus nous avons de science, plus nous sommes conscients et vigilants d'une partie plus importante de la Réalité. Bien évidemment, ce phénomène n'arrive qu'à ceux qui lisent le Coran en le méditant, et non pas en le lisant rapidement, comme le Prophète Muhammad nous a fortement déconseillé de le faire. Et cela fonctionne également pour les ahadith comme nous l'avons fait plus haut.

Comment fait-on pour voir tout cela ? Certain parle d'initiation pour l’ésotérisme. Jiddu Krishnamurti, dans le Vol de l'Aigle, parle de vigilance. Faire preuve de vigilance, c'est être conscient de tout ce qui nous entoure. Faire preuve d'attention à l'encontre de soi et de ce monde, pour comprendre que nous sommes le monde. Qu'il n'y a qu'une distinction matérielle entre les deux. L'attention n'est pas la concentration. La concentration consiste à se focaliser sur une chose, et donc, à exclure tout l'environnement de notre esprit. L'attention, selon Jiddu Khrisnamurti, consiste à comprendre tout d'abord qu'il n'y a pas de différence entre le penseur et la pensée intérieure. La pensée est le penseur. Une fois que l'on comprend cela, normalement, nous sommes dans un état d'éveil, de vigilance, d'attention, d'observation, d'écoute, constant sur notre monde. En détruisant la dualité entre le penseur et la pensée, on retrouve notre fitra, l'unicité originelle (monisme). Le but va être d'annihiler tous les conflits intérieurs causés par les dualités créées par la pensée qui fractionne la réalité.

Pour prendre l'image d'un puzzle, la pensée ne s'intéresse qu'au contour des pièces et à leur agencement. L'attention, elle, consiste à regarder la réalité directement, les motifs sur les pièces, pour, en finalité, voir l'image du puzzle dans son intégralité. En utilisant l'attention, on peut savoir a peu prêt dans quelle zone se situe une pièce par rapport à l'image du puzzle final, ce que la logique (l'étude des contours) ne serait faire. C'est pour cela d'ailleurs, qu'un puzzle d'une couleur unie est beaucoup plus difficile, que le puzzle avec des motifs et des irrégularités de couleurs.

La deuxième des choses, pour méditer et travailler sur soi, il faut être véritablement libre. Cela consiste à ne pas dépendre de nos préconçus, nos préjugés, ne pas avoir peur de remettre en cause notre manière de voir, ne pas juger, ne pas convoiter, ne pas désirer. Mais pour cela, il faut se voir soi-même, nos propres conditionnements, nos propres réactions, nos propres excès, nos propres défauts, nos propres angoisses, nos propres désirs. Le manque de liberté intérieur existe par cette peur de changer les fondements déviants de notre mentalité, nos habitudes, nos routines, qui nous empêchent de voir les choses telles qu'elles sont en réalité. Voir les choses en réalité, c'est se défaire de leur image, de l'illusion que la matière perçue par nos sens nous fait parvenir dans nos souvenirs. Ce n'est que par cette méthode que nous pouvons être en harmonie avec la Réalité. Tout cela est un résumé théorique de l'exercice qui consiste à détacher son cœur du monde terrestre, afin qu'il ne soit pas imprégné d'illusions et de voiles, créer par les ombres de ce monde.

Tout cela pour dire que lutter mentalement, c'est finalement lutter contre son âme. Le combat intérieur n'est pas un combat d'idées, ni de pensées, mais se fait par l'action directement. C'est un acte de volonté dirigé vers soi. Chercher la bonne intention, la sincérité, l'humilité, l'endurance, tout cela, ce sont des actions avant d'être des caractères, des idées. Ils ne deviennent réalité que lorsqu'on les fait vivre à l'intérieur de nous-même. On ne peut pas agir par les idées, par le discours, par la théorie. La théorie n'est pas la pratique. On peut lire tous les livres de guérisons de l'esprit du monde, si l'on reste passif face à ses lectures, on ne peut pas guérir. Mais si on lit en exerçant chaque phrase, en la faisant notre, en agissant intérieurement, et en ayant toujours un regard critique, alors il est possible de guérir tous les maux de l'âme. Il faut être capable de voir les choses telles qu'elles sont en réalité, et non pas, les analysées par le discours uniquement, comme le fait la simple logique. L'intellect n'est qu'un outil d'analyse d'idée, et donc, il n'analyse que l'apparence, ce qui se voit ou ce qui appartient au monde terrestre, physique, naturel.

« Et seul celui qui a combattu ces ennemis intérieurs pourra combattre les ennemis manifestes. Quiconque triomphe de ses ennemis [intérieurs] triomphera de ses ennemis [manifestes], et quiconque est vaincu par ses ennemis [intérieurs] sera vaincu par ses ennemis [manifestes]. » — ibn Qayyim al Jawziyya

Et c'est là qu'interviennent les métaphores, les paraboles, des analogies qui permettent de décrire des réalités non-matérielles, mais surtout auxquels il n'y a pas de mot capable d'associer ces réalités. Nous en avions déjà parlé à la fin de notre livre précédent429. Ces paroles avec des figures de styles particulières permettent de synthétiser plusieurs connaissances, plusieurs informations, mais surtout des réalités intemporelles. Ce type de message, nous en avons pour chaque verset dans le Coran.

Tout ce que nous avons décrit se situe toujours dans le Jihad an-nafs, de l'effort spirituel, en vue de voir les choses tels qu'elles sont. Mais pour y arriver, il faut que notre cœur soit pur, dénué de toute trace et attache de ce monde, y compris de toutes images mentales.

Quelle est la finalité ? À quoi sert ce jihad an-nafs, cet effort spirituel, qui nous promettrait de voir les choses tels qu'elles sont, en délivrant notre cœur de toute impureté, dénué de toute trace et attache mentale à ce monde ? La finalité est la recherche d'équilibre intérieur.

Dire de quelqu'un qu'il est équilibré, c'est une autre manière pour dire qu'il est sain d'esprit. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que le « chemin de la droiture » est décrit dans la tradition islamique comme étant extrêmement fin. Ceux qui le traversent, sont en équilibre sur celui-ci, comme le funambule. Ceux qui se sont exercés à la voie droite pourront traverser ce chemin plus facilement. Mais l'esprit équilibré n'est pas le contraire du déséquilibré. Le déséquilibre, c'est tendre, voire même tomber, d'un côté ou de l'autre du fil. Les deux côtés s'opposent (dualité), quand le droit chemin transcende (monisme).

( Qui, lorsqu'ils dépensent, ne sont ni prodigues ni avares mais se tiennent au juste milieu. )430

Par exemple, si Gog donnerait trop, et Magog ne donnerait rien, il serait tous les deux dans une dualité immanente, contraire et opposée, faite d'excès. L'équilibre consiste à transcender cette dualité, à la surpasser, à la voir à vol d'oiseau (ou à vol d'aigle). Tant que l'on est dans un excès, nous ne voyons pas l'autre. Nous sommes comme le Dajjâl, aveugle intérieurement. Jiddu Krishnamurti parle de cages dans lesquelles il faut sortir. Il faut visualiser toutes les cages pour les transcender. Et on finit toujours par se retrouver dans une nouvelle cage un peu plus grande, qu'il va falloir transcender de nouveau pour résoudre ce conflit.

Et si nous reprochons à certains littéralistes d'aller vers le tout exotérique, on peut reprocher à certains soufis la recherche du tout ésotérique. Or l'islam est la religion du juste milieu, entre le terrestre et le céleste, le matériel et le spirituel. Nous ne sommes pas des anges, mais nous ne sommes pas non plus pire que les bêtes sauvages. Tout comme pour ses biens matériels, le croyant ne doit pas s'adonner purement aux affaires terrestres, comme il ne doit pas y avoir son cœur attaché.

Tome IV - La Psychologie | Chapitre 5 - Pour un Jihad Intégral

Tome IV - La Psychologie | Chapitre 5 - Pour un Jihad Intégral