Introduction
Ce chapitre sera un exposé assez condensé qui aura pour rôle de jouer un grand rappel sur des notions qui ne sont pas forcément claires, même au sein de la communauté musulmane. En partant du constat quʼil pouvait y avoir encore des confusions chez certains musulmans se revendiquant salafi, notamment sur ce que pourrait signifier l’expression « à Dieu Seul appartient le Jugement [le Pouvoir, l’Autorité Suprême] », nous avons été obligé de revenir sur les bases épistémologiques des sciences en islam. Ce qui va nous permettre de comprendre la hiérarchie, la relation et lʼarticulation des différents niveaux de « lois » dans lʼislam. Avant de commencer, nous aimerions rappeler la transcendance de Dieu dans lʼislam. « Transcendance » qui signifie que Dieu est au-dessus de toute chose, de tout ce quʼon peut imaginer et de ce quʼon peut Lui associer comme images, concepts, idoles, etc (Coran 16:3). Si Dieu est au-dessus de toute chose, il est aussi objectivement au-dessus de la République. Or, dire cela, peut inquiéter le non-musulman qui peut se poser la question légitime de lʼautorité des institutions républicaines sur le musulman. La « Loi » de Dieu, est-elle au-dessus des lois républicaines ? Pour le musulman que nous sommes, effectivement elle lʼest, mais encore faut-il bien comprendre ce que recouvre la notion de « Loi » de Dieu. La République ne constitue en rien une entrave à lʼislam. Elle nʼa aucun moyen dʼintercéder dans la foi du croyant, si ce nʼest en bafouant sa signification première : la res publica, la chose publique. Nous rappelons également, comme nous lʼavions vu dans la première partie, que Dieu a suggéré au prophète Yûsuf un moyen de retenir son jeune frère en toute légalité, afin que ce dernier ne transgresse pas les lois du roi. Il y a un enseignement ici, que les savants ont souligné, permettant de dire quʼil est du devoir des musulmans de respecter les lois républicaines, au-delà du fait quʼelles soient en accord ou non avec les principes islamiques.
Dieu est-Il le Seul Législateur ? Quelles sont les preuves ? Que signifie Législateur ? Législateur de quoi exactement ?
Pour comprendre tout cela, il va falloir complexifier un peu notre compréhension en intégrant les différents niveaux et degrés de législation. Ainsi, on distinguera la Loi divine, la Loi islamique et la loi musulmane (humaine). Nous procéderons à notre développement dans cet ordre précis, partant du pouvoir dʼen haut vers le bas.
Le mouvement salafiste se réclame dʼun islam authentique, souvent austère, et prétend rester fidèle aux compréhensions des premières générations de compagnons du Prophète (ﷺ).
Dieu est sans direction. « Au-dessus » ici serait synonyme de « supérieur, au-delà ». Si lʼon y réfléchit de plus près, les modèles géo-sphériques de la terre sont compatibles avec cette vision, contrairement aux modèles platistes. Une terre plate implique une direction à Dieu, alors que les savants de lʼislam ont toujours précisé que Dieu était sans corps, sans lieu ni temps, et sans direction.
Il y a toujours possibilité de recourir à la désobéissance civile, à manifester son désaccord et militer contre certaines lois, ou en dernier recours, de migrer vers une autre nation.
La Loi divine, le Jugement de Dieu
Nous aimerions déjà vous faire remarquer, la proximité quʼil existe entre le terme « Hukm », et les noms divins suivants : al-Hakim (l’Infiniment Sage), al-Hakam (le Juge Suprême, lʼArbitre Infaillible), et également al-Hakk (la Vérité). Dans lʼislam, il y a donc cette idée, que le jugement doit être lié à la justice, à la sagesse, mais aussi quʼil doit chercher à exposer la vérité. Il tranche entre le vrai et le faux. Cʼest pourquoi, le Jugement (Hukm) de Dieu, est un Jugement Parfait, dʼune Sagesse Infinie, qui met La Vérité au grand jour. Telle est la « Loi » de Dieu. Le Hukm de Dieu fait dʼabord référence au Jour du Jugement Dernier, ou Jour de la Rétribution.
« Au Jour de la Résurrection, Nous dresserons des balances d’une extrême sensibilité, de manière à ce que nul ne soit lésé, fût-ce du poids d’un grain de sénevé, car tout entrera en compte, et les comptes que Nous établissons sont infaillibles. »
Ce sera une Justice dʼune perfection qui ne relève pas dʼune dimension humaine, car elle ne lésera ni ne délaissera personne. Selon le Coran, tous nos actes sont comptabilisés dans cette vie, et aucun péché nʼest oublié. Si bien, que le jour de la Résurrection, les comptes entre nos actes justes et injustes seront pesés sur la balance de la Justice divine, et nous apparaîtra clairement sous nos yeux, sans que nous nʼayons plus aucun moyen de changer ce résultat. Nous nʼaurons dʼautres choix que de nous en prendre à nous-mêmes en constatant nos actes dʼinjustices. Maintenant, pourquoi est-il souvent rappelé le caractère autoritaire du Jugement de Dieu dans les sciences islamiques ?
« En vérité, le pouvoir (l-hukʼmu) n’appartient qu’à Dieu qui a prescrit de n’adorer que Lui. »
Remarquez que ce verset se trouve dans la sourate Yûsuf et que lʼon a ici une prescription qui est dʼordre cultuel, et non pas politique, ni juridique : lʼexclusivité du culte rendu à Dieu (Allah).
Lorsquʼil est précisé que le pouvoir, la législation, le jugement ou la décision « nʼappartient quʼà Dieu », il faut bien comprendre que si cette chose Lui appartient, alors c’est qu’elle ne nous appartient pas, à nous être humain, y compris les musulmans.
Cette Législation de nature purement divine ne nous est pas accessible. Ainsi, lorsque ce verset est rappelé, il vient apporter lʼhumilité du croyant qui sait que sa parole et son jugement ne sont quʼhumains, et nʼatteindront certainement pas la perfection divine. Comprendre lʼinaccessibilité du Jugement de Dieu, cela revient à comprendre sa juste place dans son rapport à Dieu.
Mais comment justifie-t-on cette inaccessibilité ? Tout dʼabord, par lʼOmniscience de Dieu. Il sait ce que nous ne savons pas, comme Il le rappelle aux anges dans le passage suivant :
« Le Seigneur leur répondit : « Ce que je sais dépasse votre entendement. »
Mais aussi par le caractère infini de Sa Science que ne peut entièrement contenir lʼesprit dʼun être humain.
« Mais, au-dessus de tout savant, il y a Celui dont la science n’a point de limite. »
Le Jugement de Dieu découle dʼune science illimitée. Cʼest en ce sens quʼelle nʼest pas sujette à la théorisation par lʼhomme. Nous verrons plus loin que ce quʼon nous avons appelé ici Loi de Dieu ne peut aucunement être confondue avec la Charia qui, elle, est dʼun ordre inférieur à la première, puisquʼelle aura des limites.
Autre caractéristique de la Loi de Dieu, cʼest quʼelle est immuable :
« […] rien ne peut modifier les paroles du Seigneur »
Cʼest une référence que lʼon peut retrouver assez facilement dans la Bible.
« Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. »
Propos attribué à Jésus-Christ, d’après les chrétiens, et décrit le caractère immuable de Sa Parole, soit de l’Évangile, selon notre compréhension propre.
Un verset du Coran résume assez bien tout ce que nous venons de dire :
« Telle est la Parole de ton Seigneur, qui s’est accomplie en toute vérité et en toute justice, car Ses Paroles sont immuables. Dieu entend tout et Sa science n’a point de limite. »
Et ce verset apporte une autre information fondamentale sur la Parole de Dieu. Cʼest quʼelle se réalise et s’accomplit indépendamment de la volonté des hommes. Rejoignant le fait que non seulement lʼhomme ne peut la théoriser en tant quʼobjet, mais surtout, que ce nʼest pas à lʼhomme de lutter pour mettre en place cette Législation de nature divine, immuable et inaltérable. Cʼest une Loi déjà établie régissant lʼunivers, nʼen déplaise aux non-croyants. Elle est toujours présente, en tout temps et en tout lieu, et ne dépend pas des actions de lʼhomme. Ainsi, tous les gouvernements de la planète sont soumis à la Loi de Dieu, toute la Création y est soumise. En réalité, vous ne pouvez pas y échapper.
Et donc, cʼest à ce premier niveau, dʼun Ordre purement divin, que lʼon peut effectivement dire que Dieu est le Seul Législateur (avec un grand L). Il est le Seul qui possède toutes les qualités divines que lʼon vient dʼénumérer. Le musulman, quant à lui, nʼest en droit dʼassocier aucune de ces qualités à autre que Dieu.
Toute personne qui prétendrait détenir dans sa science ou son jugement, ne serait-ce que lʼun de ces attributs de perfection, se retrouverait à commettre un acte de shirk, car cela revient à se prendre pour Dieu sur terre.
Il existe dʼautres preuves importantes dans la tradition musulmane venant appuyer ce que nous venons de dire.
« […] Et si tu assièges les gens dʼune place fortifiée et quʼils te demandent de les déposer selon le jugement de Dieu, ne les dépose pas selon le jugement de Dieu, mais dépose-les selon ton jugement, car tu ne sais pas si tu atteindras le jugement de Dieu à leur sujet ou non. »
Ce qui est à souligner dans ce hadith, cʼest que le Prophète de lʼislam précise à son compagnon « tu ne sais pas si tu atteindras le jugement de Dieu ». Quel que soit le jugement dʼun homme, il ne peut jamais véritablement savoir sʼil se rapproche ou non du Jugement de Dieu. Il ne pourra le savoir que dans lʼau-delà. Mais ne pas atteindre le Jugement de Dieu nʼest pas forcément un mal en soi. En effet, celui qui sʼefforce de rendre un jugement selon le savoir quʼil dispose, sera récompensé, et il le sera doublement, si sont avis est conforme à la Justice.
‘Amr ibn Al-‘As a entendu le messager de Dieu (ﷺ) dire : « Lorsque le juge sʼefforce de rendre un jugement qui se montre conforme à la justice, il aura deux récompenses ; mais sʼil se trompe, il lui sera attribué, tout de même, une part de récompense. »
Lʼenseignement à tirer en conséquence, cʼest que personne sur terre ne peut prétendre détenir le Jugement de Dieu, excepté le Prophète durant son vivant, qui était en relation avec le Créateur via lʼange Gabriel. Avancer que nous pourrions atteindre la Jugement de Dieu reviendrait à affirmer pouvoir juger à la place même de Dieu, avec la même justesse, la même sagesse. Ce serait aussi par exemple, prétendre savoir qui irait au paradis ou en enfer. Personne ici-bas nʼest en mesure de savoir cela.
Ce qui nous amènera à devoir comprendre que le Jugement de Dieu nʼest pas, dans sa totalité, présent dans le Coran.
Dans lʼhistoire de lʼislam, il a existé un groupe violent et sectaire, dont lʼerreur a été de confondre lʼAutorité de Dieu avec le pouvoir politique et juridique : ce sont les kharijites (khawarij). Cʼétait à lʼépoque du quatrième calife bien guidé, ‘Alî ibn Abî Tâlib. On se situe encore dans les débuts de lʼislam. Ce groupuscule était composé principalement de jeunes, qui sous prétexte de mener le jihad, vont sʼopposer aux décisions du calife. Ce sont les premiers à avoir rendus dʼautres musulmans mécréants, en pratiquant ce quʼon appelle le takfirisme, acte consistant à excommunier gratuitement des gens de lʼislam, sous prétexte quʼils nʼont pas les mêmes idées sur la religion. On a retrouvé ce genre de pratique chez Daech. Ils refont surface au moyen dʼune idéologie influente diffusée depuis lʼArabie Saoudite via le wahhabisme. Elle sʼappuie notamment sur les frustrations des victimes des guerres du moyen-orient causé par lʼOccident. Les khawarij avaient adopté le slogan suivant : « Il nʼy a de Jugement que celui de Dieu ». Aucune innovation, ils ne font que reprendre le verset coranique 40 de la sourate 12 que nous avions cité plus haut (Coran 12:40). Et pourtant, à lʼannonce de ce slogan, le calife ‘Alî rétorqua ce qui suit :
« [Voilà] des paroles vraies prononcées à des fins trompeuses. »
Ce que le grand imam ‘Ali rejette, ce nʼest pas le verset en tant que tel, puisquʼil est coranique, mais cʼest la compréhension déviante et son utilisation à des fins terrestres, politique-juridique plus précisément. Or, nous avions dit que le Pouvoir de Dieu était de nature divine. Leur confusion a été de prétendre détenir le Jugement de Dieu entre leurs mains au travers du Coran. Et malheureusement, aujourdʼhui, il y a des musulmans se revendiquant du salafisme et qui partagent la vision des khawarij du 7ème siècle. Pour eux, le Jugement de Dieu est non seulement dans le Coran, mais de plus, affirment y avoir accès, pour le déployer au niveau terrestre.
Selon un hadith rapporté par lʼimam ibn Hanbal, pour tourner en ridicule ce raisonnement, ‘Ali avait rassemblé les gens et pris le mushaf devant lui. Il prit en témoin les khawarij, et dit à voix haute : « Ô Écriture, parle au peuple » ! Et les khawarij de dire : « Ce nʼest pas une personne. Ce nʼest que de lʼencre et du papier. Nous parlons de ce qui en est raconté ». Puis le calife ‘Ali de citer le verset 35 de la sourate An-Nisâʼ (Coran 4:35), démontrant que la Révélation demande à lʼhomme de faire appel à un arbitre (ḥakam), soit un juge humain pour trancher lorsquʼil y a des désaccords.
Dieu ne sʼoccupe pas de gérer nos affaires politiques à proprement parler, puisque la politique est une science humaine. Un autre hadith du Prophète, dans le recueil authentique de Muslim, dans lequel il sʼadresse à ces compagnons :
Le Messager dʼAllah (ﷺ) a dit : « […] Ce monde est plus insignifiant aux yeux dʼAllah que la carcasse de cet agneau mort à vos yeux. »
Si ce monde est insignifiant aux yeux de Dieu, il nʼest pas question de tout laisser reposer sur le Destin. Dieu ne va pas sʼoccuper et se rabaisser à gérer nos affaires. Il ne fait pas le travail des hommes. Cʼest à lʼhomme de se responsabiliser en établissant des lois pour gérer la société. Lois qui viennent embrasser les principes de la religion.
Cʼétait lʼerreur des khawarij. Mais voilà quʼau 18ème siècle, Muhammad ibn abdel Wahhab, par son imprécision, revient avec des idées très proches. Considéré comme un savant par les groupes salafistes dʼaujourdʼhui, il était pourtant très décrié en son temps par les savants de la sunna. Parfois suspecté dʼêtre athée, Muhammad ibn adbdel Wahhab va écrire des ouvrages, malgré les avertissements de ses proches parents versés dans la science religieuse. Et il rédigera notamment le Livre sur lʼUnicité de Dieu (Kitâb at-Tawhîd), massivement traduit et diffusé aujourdʼhui, accessible facilement et gratuitement sur internet. Or, ses livres sont certes faciles dʼaccès, et en ce sens beaucoup plus facile à comprendre, mais ils sont en réalité très imprécis. Un manque de rigueur qui ne pouvait amener que de la déviance, comme lʼannonçaient les présages de son entourage.
Il nʼest pas question ici de faire le procès de Muhammad ibn abdul Wahhab, ce ne serait pas intéressant. Cependant, uniquement pour vous amener à réfléchir sur une personnalité qui prétend avoir écrit un livre sur lʼUnicité de Dieu, il est tout de même étonnant de remarquer quʼil ne cite jamais la sourate al-Ikhlas, qui est certainement lʼune des sourates les plus importantes sur le sujet du dogme pure.
Si nous parlons de cette figure de lʼislam, cʼest quʼelle a engendré le mouvement wahhabite très peu différencié du salafisme dans ses origines. Et deux grands arguments sophistiques sont souvent repris dans ces milieux pour justifier une législation divine terrestre.
Le premier argumentaire se base sur les passages du Coran évoquant le fait de « juger avec ce que Dieu a fait descendre », et à partir de ce texte, ils extrapolent en prétendant que le musulman doit juger avec la Loi de Dieu ou « les Lois » de Dieu. Le sophisme consiste à dire que Dieu aurait fait descendre Sa Loi ou « Ses Lois » à travers le Coran, en vue dʼétablir un pouvoir terrestre. Cʼest évidemment une manipulation politique dont le but est dʼimposer une seule et unique compréhension de la religion, dont ils seraient les seuls détenteurs. Nous y reviendrons plus loin, pour expliquer ce que Dieu a fait descendre exactement. Mais ce qui nous semble avéré, cʼest que Dieu nʼa pas fait descendre Son Jugement aux hommes, autrement, à quoi servirait notre faculté de juger entre le bien et le mal.
Nous rappelons que le Jugement (Hukm) de Dieu est toujours au singulier, et que lʼexpression, « arkham de Dieu » est inexistante des sources. Cʼest une innovation langagière. Et avec ce Jugement au singulier toujours, on comprend ainsi que, ce quʼon appelle le Jugement de Dieu ne fait pas de place à la divergence. Dieu ne peut pas être divergent avec Lui-même, ça nʼaurait pas de sens. Et donc, le drame, cʼest si on confond la Loi de Dieu avec le fiqh, le droit traditionnel musulman. Si nous étions amené à cette confusion, et que nous pousserions la logique jusquʼau bout, nous serions condamnés à penser quʼil ne pourrait plus y avoir de divergence tolérée au sein de la communauté musulmane. Il sʼagit donc ici dʼune erreur grave à ne pas faire. Erreur faite par les khawarij qui nʼont pas toléré les décisions du calife. Ils ont prétendu connaître le Jugement de Dieu et souhaité imposer par la force leur compréhension.
Il y a une autre expression utilisée comme argumentation fallacieuse, et que lʼon trouve toujours dans les mêmes sectes. Il sʼagit de lʼUnicité de Dieu dans la Législation, expression très mal comprise également, qui signifie en résumé que Dieu est le Seul méritant dʼêtre adoré, le Seul à lʼorigine de la Révélation, de la Création et du Jugement Final. Mais certainement pas que les discours des hommes qui font parler le Coran, correspondraient au Jugement de Dieu. Ils reprennent alors le verset 31 de la sourate At-Tawbah :
« Ils ont élevé au rang de divinités en dehors de Dieu leurs rabbins et leurs moines, ainsi que le Messie, fils de Marie, alors qu’ils avaient reçu ordre de n’adorer que Dieu l’Unique, en dehors duquel il n’y a point de divinité. Gloire à Lui ! Il est infiniment au-dessus de ce qu’ils prétendent Lui associer. »
Et, le hadith qui accompagne souvent lʼexplication de ce verset 31, quʼon trouve principalement cité dans le tafsir dʼibn Kathîr, et dans le recueil de ahadith de Tirmidhi :
Rapporté par ‘Uday ibn Hatim : Je suis venu vers le Prophète alors que jʼavais une croix dʼor autour de mon cou. Il mʼa dit : « Ô ‘Adi, éloigne toi de cette idole ! » Et je lʼai entendu réciter de la sourate Bara‘ah [Tawbah] : « Ils ont pris leurs rabbins et moines comme seigneurs en dehors dʼAllah (Coran 9:31) ». Il a dit : « Quant à eux, ils ne les adoraient pas, mais quand ils leur ont interdit le licite et leur ont permis lʼinterdit, alors on les a suivis.»
Et par lʼextrapolation commentatrice de ce hadith, si le prophète aurait été vraiment à lʼorigine de ces propos, consiste à dire que les chrétiens nʼauraient finalement pas pris leur moine en adoration, mais ils auraient commis un acte dʼassociation par leur suivisme, en fonction de ce que les moines rendaient licites ou illicites.
Premier constat, selon les spécialistes, ce hadith est considéré comme faible (daʼif) et isolé. Si personnellement, nous ne sommes pas capables de le démontrer au travers de la chaîne de transmission, car cela nʼest pas notre spécialité, en revanche, cela ne nous étonne pas en regardant de plus près le contenu des propos. Dʼun point de vue la logique formelle, elle entraîne des contradictions avec le Coran, et notamment le verset 30 précédent celui que nous venons de citer.
« Les juifs disent : “Uzayr est fils de Dieu !” et les chrétiens disent : “Le Messie est fils de Dieu !” Telles sont les paroles qui sortent de leurs bouches, répétant ainsi ce que les négateurs disaient avant eux. Puisse Dieu les maudire pour s’être ainsi écartés de la Vérité ! »
Ainsi, ce verset nous apporte le contexte. Puisquʼon peut clairement voir de quels juifs et de quels chrétiens il est question ici. Tous les juifs ne disent pas « Uzayr est fils de Dieu ! », comme tous les chrétiens ne disent pas « Le Messie est fils de Dieu ! ». Mais le plus important ici, cʼest quʼil est bien précisé : « Telles sont les paroles qui sortent de leurs bouches ». Nous sommes obligé dʼen conclure que ce sont des paroles qui ont bien été verbalisées, si on sʼattache au sens premier. Or, le hadith semble venir dire le contraire. On semble vouloir faire dire au prophète que finalement, ce ne sont pas des paroles que les chrétiens et les juifs auraient verbalisé, mais que leur acte dʼassociation (shirk) provenait de leur suivisme aveugle (taqlid) envers les moines et les rabbins. Ici nous avons donc une contradiction évidente entre une parole attribuée au Prophète et un verset du Coran compris dans son sens le plus simple. Qui a raison entre Dieu et le Prophète ? Et le Prophète peut-il contredire Dieu ? Dans cette situation, attachons-nous au Coran, et rejetons, non pas le hadith, mais notre compréhension du hadith, et mettons-le de côté. Priorité à ce que nous comprenons des versets clairs et simples du Coran.
Sʼappuyer sur des ahadith faibles pour des questions aussi importantes que lʼUnicité de Dieu est forcément une mauvaise pratique. Et cʼest pourtant sur ce simple hadith rapporté par un inconnu que lʼon sʼappuie parfois encore aujourdʼhui, pour justifier la compréhension dʼun Dieu comme Seul législateur terrestre. Ceux qui passent leur temps, jour et nuit, à reprocher aux musulmans de ne pas avoir un bon « tawhid », se retrouvent souvent être ceux qui ont en réalité une connaissance faible dans cette science, et se sentent obligés de compenser par leur art oratoire rempli de contradictions.
On ne peut faire descendre lʼAutorité Suprême de Dieu sur le plan terrestre, en prétendant quʼIl serait le Seul à pouvoir statuer sur ce qui est licite ou illicite. Nous verrons dans ce chapitre quʼil y a plus de complexité que cela, et que Dieu nous donne beaucoup plus de libertés.
Lorsqu’il est dit ici : « de manière à ce que nul ne soit lésé » dans le verset 47, il faut bien comprendre que même les non-musulmans seront jugés selon leur cas (Coran 22:17). Or la justice rendu par un humain, même musulman, aussi honnête que sincère, ne pourra jamais éviter une erreur de jugement, une impossibilité de trancher par manque d’information, ou encore, une incapacité à réparer un préjudice.
Un homme peut se faire une idée de ce quʼest lʼinfini, mais ne peut le contenir en pensée. Nous sommes des êtres finis et limités, même si notre Esprit à un caractère transcendant qui nous permet de nous rendre compte de lʼexistence du divin.
Il nʼest, par exemple, pas possible de théoriser la loi de la guidance. Tout ce que nous pouvons faire, cʼest décrire les conditions pour éventuellement bénéficier de cette guidance, mais elle nʼest pas systématique, car elle ne tient pas uniquement de notre volonté.
Non-changeant et éternelle, contrairement à lʼUnivers (le Ciel et la Terre) qui change dʼétat.
Il sera rare dʼatteindre la perfection de Dieu dans son jugement. Les chances de lʼatteindre concerne les situations où le jugement appelle un résultat simple (binaire par exemple), ce qui ne reflète absolument pas les affaires des hommes, notamment en terme de justice. La justice humaine appelle des réparations insondables.
Sahîh Al-Boukhârî, n°7352; Sahîh Muslim, n°1716; Jami` at-Tirmidhî, n°1326; Sunan Abu Dâwud, n°3574; Sunan Ibn Mâjah, n°2314; Bulugh al-Maram, n°1400.
Nous insistons sur « durant son vivant », puisque chaque jugement du Messager de Dieu ne peut pas toujours être repris systématiquement.
Seul le Prophète était informé de lʼinvisible par sa relation avec lʼange Gabriel.
Daech (ISIS) ne constitue pas vraiment un état khawarij, même sʼils en partagent beaucoup de traits caractéristiques.
Musnad Aḥmad, n°658.
Collection de feuillets retranscrivant une copie écrite de la Révélation.
https://abuaminaelias.com/dangers-of-the-khawarij-ideology-of-violence/
Lire : Hamadi Redissi, Une histoire du wahhabisme – Comment lʼislam sectaire est devenu lʼislam, Éditions du Seuil, 2016.
Traduit souvent par « la pureté » sous-entendu du monothéisme, du dogme de lʼUnicité divine.
« Ils » au début du verset fait référence à certains juifs et à certains chrétiens.
Commentaire, exégèse du Coran.
Un chrétien qui se serait converti à lʼislam.
Le noble Coran, premier support de la Loi islamique
Nous discutions jusquʼà maintenant de la Loi de Dieu. Nous descendons désormais un cran en dessous pour parler de la Loi islamique. Ce qui va définir cette loi avant tout, cʼest le Coran, la Parole de Dieu pour les musulmans. Cʼest par la Révélation que cette Loi va être signifiée.
Le Coran nʼest quʼun petit fragment du Jugement divin, soit de la Loi de Dieu : cʼest la partie révélée et destiné aux hommes. Comme nous lʼavions dit plus haut, le Jugement total de Dieu nʼest pas exclusivement tourner vers lʼhomme.
Il est bon de rappeler que si le Jugement divin était entièrement présent dans le Coran, nous serions capable, par exemple, de connaître à lʼavance qui serait destiné au paradis et qui serait destiné à lʼenfer, ce qui nʼest évidemment pas le cas. Ce que nous pouvons trouver dans la Révélation, ce sont seulement des comportements à adopter pour être influencé par la Loi de Dieu. Nous donnerons plus bas, une phrase clé afin que cette distinction entre la Loi de Dieu et la Loi islamique, nous apparaisse plus clairement.
Le Jugement de Dieu nʼest pas réservé exclusivement à lʼHomme. Nous ne sommes pas seuls dans la création. Puisque quand on lit le Coran, on remarque que Sheitan (Satan) a déjà été jugé dʼune certaine façon. Mais également, Dieu sʼadresse aux différentes entités de la création, et parfois donne des révélations (wahy). Dieu va se révéler aux animaux, aux créatures invisibles, au Ciel, à la Terre, aux montagnes, etc.
Le Coran est le fragment de vérité destiné aux hommes, et il existe une Vérité plus large, quʼon appelle le Livre-Mère (Umm al-Kitâb).
« Dieu abroge ou confirme ce qu’Il veut, car Il détient l’Archétype éternel (ummu l-kitâbi) auprès de Lui. »
Le Coran est une vérité qui émane de ce Livre-Mère. Umm al-Kitâb nʼest pas un livre terrestre, mais est une « tablette » gardée auprès de Dieu.
Nous venons de dire que la loi islamique était définie par le Coran. Or, le Coran étant un livre fini, sa particularité est quʼil est accessible à la nature humaine, à la compréhension humaine. La loi islamique possède également des limites, puisquʼelle est inscrite dans la Création. Ainsi, nous avions démontré que le Jugement de Dieu était inaccessible, car infini, et de nature divine.
Cette Loi islamique, qui se reflète à travers le Coran, vient définir la relation de lʼêtre humain avec Son Créateur, mais également avec la création.
Et lorsquʼil est question de Loi islamique, nous évoquons une « loi » révélée au sens spirituel, soit un ensemble de commandements, de prescriptions, dʼenseignements, de principes. Et le Coran nʼest rien dʼautre que cela.
Le Coran nʼest pas un texte de loi politique, ni un texte juridique, nʼest pas un livre dʼHistoire, nʼest pas une thèse scientifique, ni philosophique, mais cʼest une Révélation. Soit un livre composé de versets, quʼon appelle aussi des signes (âyat). Et ce texte ne peut être que spirituel.
En revanche, si nous sommes capables de méditer sur cette Parole divine dans notre ligne de conduite et dans notre réflexion personnelle, nous pouvons y apporter de lʼinfluence dans toutes les disciplines profanes. Toutes les disciplines sont traversées par des courants, des écoles, et rien n’empêche quʼil y ait un courant islamique sans que cela soit forcément perçu comme de la controverse. Chaque discipline peut se servir du Coran pour en tirer des enseignements, et ainsi améliorer les principes et les méthodes de la discipline en question. Et cette science qui en résultera, devra servir à améliorer plus globalement la compréhension de lʼUnivers et la place de lʼHomme dans celui-ci. Ce qui devrait être la vraie finalité de la science. Faire en sorte que lʼhomme vive mieux dans ces conditions terrestres, matériels, mais aussi psychologiques. Une science sans finalité, comme lʼest souvent la science moderne académique, nʼest que loisir, amusement et futilité.
« La vraie religion pour Dieu, c’est l’islam. Et si les gens des Écritures se sont divisés entre eux, c’est uniquement par pure jalousie, après que la science leur fut donnée. Que celui donc qui renie les signes de Dieu sache que Dieu est prompt dans Ses comptes. »
La « Loi » islamique est une législation de principes et dʼenseignements, mais il serait malhonnête de prétendre quʼun verset coranique pourrait être égale à une loi juridique. Cela nʼa jamais existé dans lʼislam et ne correspond à aucune méthodologie connue ou valide, que nous nous référions aux grandes écoles juridiques, ou mêmes aux compagnons du Prophète.
Nous proposons une phrase clé pour comprendre la relation et la différence entre les deux premiers niveaux, que sont la Loi de Dieu et la loi islamique :
Comporte-toi de sorte à respecter la « Loi » (Voie, din*) islamique et la « Loi » (Hukm) de Dieu sera en ta faveur, comporte-toi dʼune manière inverse, et le Jugement (Hukm) de Dieu te sera défavorable, aussi bien ici-bas que dans lʼau-delà.
La Loi islamique correspond au dîn, la Voie spirituelle reflétée et indiquée par le Coran, et quʼon appelle aussi tout simplement islam, pour le musulman. Cʼest la forme de culte pure, soit la meilleure manière de se comporter sur terre. Alors que la Loi de Dieu nʼest pas lʼislam, mais cʼest Dieu qui a établi la religion par Son Pouvoir (Hukm).
Maintenant, comment justifions-nous que le Coran soit dʼun degré en dessous de la Loi de Dieu. Par le fait que Dieu nous demande au travers du Coran de juger en nous aidant de ce quʼil a fait descendre.
« Juge donc entre eux d’après ce que Dieu t’a révélé. »
Et quʼest-ce que Dieu a révélé, exactement ?
« Nous t’avons révélé le Coran, ce Message de vérité, afin que tu puisses juger entre les hommes d’après ce que Dieu t’aura enseigné. [...] »
Il y ait clairement dit que lʼhomme doit juger en sʼaidant du contenu de la Révélation. Mais attention, il nʼy est jamais dit : « ceux qui jugent dʼaprès la Loi de Dieu » ou « les Lois de Dieu », comme nous pouvons lʼentendre chez certains prédicateurs modernes répétant ce qui circule sur le net.
Le Coran se définit lui-même, et nous pouvons remarquer quʼil ne se désigne jamais comme une loi, mais comme un guide. Ce qui confirme le caractère spirituel avant tout de ce texte, et non pas juridique.
« Ce Coran est une source de lumière pour les hommes, un guide et une miséricorde pour les gens qui croient avec certitude. »
« Il y a, à coup sûr, un enseignement dans l’histoire des prophètes pour les hommes doués d’intelligence. Ce Livre n’est point un récit inventé de toutes pièces, mais il est une confirmation des Écritures antérieures, un exposé détaillé de toute chose, une bonne direction et une grâce pour ceux qui croient en leur Seigneur. »
Et lorsque le Coran nous indique quʼil existe « une bonne direction », cela nous fait signe, quʼil existe une voie dans la Création au travers de laquelle lʼhomme peut cheminer vers Dieu, et dans laquelle, finalement, Dieu nous guide et nous donne des repères dʼorientations dans cette vie.
Dans le Coran, nous avons les conditions quʼil faut respecter pour essayer de « gagner » le paradis, mais certainement pas, le nom des gens. Autrement, la vie et son épreuve nʼauraient aucun sens.
Certain savants partagent lʼidée que les animaux aussi seraient jugés lors du jour de la Rétribution. Si cʼest le cas, peut-on prétendre quʼils le seront sur les mêmes critères que les hommes ? Ils ne peuvent être jugés quʼen fonction des facultés que Dieu leur a donné.
Par soucis de cohérence, nous utilisons toujours la même traduction française du Coran, à savoir celle de Mohamed Chiadmi. Ici, Umm al-Kitâb a été traduit par « Archétype éternel », qui est, selon nous, moins fidèle dans la traduction que « Livre-Mère ». Tout cela pour montrer que lorsquʼon fait une étude sérieuse du Coran, il est difficile de se satisfaire dʼune seule traduction. Mais au-delà des mots choisis, le plus important est de connaître la définition que lʼon donne à ces mots afin de savoir à quelle réalité ils renvoient.
Lʼunivers semble infinie, mais il reste limité par lʼespace et le temps. Ces deux dimensions auxquelles aucun humain ne peut échapper.
Chaque discipline universitaire est traversée par des courants. La psychologie a son courant humaniste, comportementaliste, cognitiviste, positiviste, etc. Celui qui possède une compréhension profonde de lʼislam, comprendra quʼun courant islamique nʼest pas si utile, car chaque vérité scientifique est, de fait, compatible avec lʼislam.
La Loi islamique du nom de « Charia »
Cette voie dont parle le Coran est ce quʼon appelle la Charia (sharî‘a). Le mot « Charia », faisant partie désormais du vocabulaire islamique mal connoté dans le langage français, en raison dʼun traitement médiatique et politique assez calomnieux sur la religion musulmane, souvent par grande ignorance. Ce sera lʼoccasion de faire tomber quelques idées préconçues. Originellement, la Charia signifie, « le chemin qui mène à une source dʼeau ». Cʼest une métaphore pour signifier « la voie spirituelle qui mène à Dieu ». Nous pouvons faire un lien avec les récits de la tradition musulmane qui nous enseigne que le trône de Dieu serait sur lʼeau.
Au lieu de traduire par « loi » islamique, traduction assez grossière en soi, il est préférable de parler de « la grande Voie de lʼislam ». La voie de la largesse et de la miséricorde. Inscrire sa vie dans cette voie, dans ce chemin, cʼest chercher à se rapprocher spirituellement de Dieu.
Il en résulte alors que cette Charia nʼest absolument pas de nature politique en premier lieu. Cependant, elle aura forcément des répercussions politiques et sociales, à partir du moment où des gens qui sʼinscrivent dans cette voie commencent à participer activement à cette société. Puisque, si vous avez une société composée de gens vertueux, qui aspirent à suivre cette voie, qui se comportent bien, qui sʼimpliquent sérieusement et qui aiment leur prochain, il est alors évident que cela aura des conséquences si ces personnes commencent à accéder à des postes clés du pouvoir, aux médias grands publiques et aux rouages mécaniques de lʼéconomie et des prises de décisions institutionnelles de lʼétat.
« Nous t’avons ensuite placé sur la Voie légale (sharîʿatin) qui procède de Notre Ordre. Applique-toi à la suivre ! Ne suis pas les passions de ceux qui ne savent pas »
En étudiant le Coran, on se rend compte que la Charia semble être une voie qui sʼoppose à la déraison, lʼextrémisme, le désir pulsionnel. Au contraire, elle vise la recherche du bonheur et de lʼéquilibre pour lʼêtre humain afin quʼil puisse adorer Dieu de la meilleure des manières. Il nʼy a rien de plus logique à cela, car Dieu dit dans le Coran quʼil a créé les jinns et les hommes uniquement pour quʼils Lʼadorent (Coran 51:56). Mais comment adorer Dieu correctement si nous ne disposons pas des conditions nécessaires. De la dignité, du confort, de lʼéducation, de la justice, du bien-être, une satisfaction minimale de besoins matériels (de quoi manger, se loger, une activité). Les objectifs de la Charia essayent de répondre à ces nécessités.
Lorsqu’elle est bien comprise, cette voie spirituelle aide lʼhomme qui fait le choix de la suivre, à obtenir les dispositions psychologiques adéquates, une forme dʼéquilibre, dont le but ultime et premier dʼadorer Dieu. Et cela dans une harmonie totale avec lʼensemble de la création. Développer une relation saine avec le Créateur, Celui à l’origine de toute chose.
Tout ce qui est dans cette Grande Voie ne peut-être quʼen accord avec le Coran. Elle sʼinscrit dans la création, et possède des limites que lʼhomme ne peut précisément connaître.
Nʼen déplaise à certain, à partir du moment où il y a ne serait-ce quʼun seul croyant musulman en France, il existe non pas quelquʼun qui « appliquerait » la Charia ou qui essaierait de lʼimposer, comprenez que ça nʼa pas de sens, mais quelquʼun qui sʼinscrit dans cette Voie quʼest la Charia. Cette Grande Voie de lʼislam, à la recherche de la Vérité, de lʼHarmonie, de l’Équilibre et de la Justice.
« En vérité, la charia est fondée sur la sagesse et le bien-être des serviteurs de cette vie et de lʼau-delà. Dans son intégralité, c’est la justice, la miséricorde, le profitable et la sagesse. Toute question qui abandonne la justice pour la tyrannie, la miséricorde pour la cruauté, lʼintérêt général pour la corruption et la sagesse pour la folie ne fait pas partie de la charia, même si elle y a été introduite par une interprétation. »
Rappelons quʼil nʼexiste aucun livre qui pourrait prétendre avoir le titre de « Charia », sur lequel pourrait se baser les musulmans. Aucun manuel ou texte, dans lequel il y aurait une liste de règles, de lois, ou de conduites étiquetées, codifiées pour le musulman : cela nʼexiste pas. Le seul et unique livre de référence est le Coran reflétant cette Grande Voie.
« Il [Dieu] a établi (shara‘a) pour vous, en matière de religion (dîn) »
Rappelons que le Coran nʼest pas un livre juridique. Il ne faut pas réduire la Parole de Dieu à un vulgaire livre juridique, tout comme dʼautres le réduiraient à un texte contenant de simples mythes. Le Coran est un texte spirituel, ainsi la Charia est, elle aussi, de nature spirituelle.
Cette Loi islamique nʼa rien dʼune législation au sens légale, comme nous pourrions lʼentendre en Occident. Mais elle possède tout de même des limites. Or, cette Charia étant un concept non-perceptible, non visible, les savants ont alors été obligés de poser et de définir une délimitation fondatrice théorique de lʼislam.
Elle est synonyme ici de « dîn » et de « islam ».
Nous pouvons aussi lier tout cela au droit chemin des religions, mentionné par exemple dans la première sourate du Coran (Coran 1:6) (l-sirâta l-musʼtaqîma).
Le désir nʼest pas le plaisir.
Selon la théologie musulmane, les jinns sont des êtres surnaturels créés de feu (Coran 55:15).
La Loi de Dieu régit la création, et dans ce sens, tout être humain y est soumis. Le non-croyant, comme le croyant. Le non-croyant ne peut lʼêtre que parce que Dieu a établi la liberté de conscience. Mais la Charia, la « Loi » islamique, est une voie dont le choix de lʼemprunter ou de sʼen éloigner revient à la responsabilité de chaque être humain.
Ibn Qayyim al-Jawziyya, « I’lām al-Muwaqqi’īn », 3/11.
« Il » ici fait référence à Dieu (Allah).
Le lien entre la Loi islamique et la loi humaine : les Usûl
On se rapproche de la « loi » musulmane, mais pour que celle-ci sʼexprime sans inquiétude pour le croyant, il existe des gardes-fous : ce sont les sciences fondatrices.
On remarque que les pieux prédécesseurs, les premières générations de lʼislam, ne parlaient jamais de Charia, comme ils ne parlaient jamais du contenu du Tawhid, par crainte de poser des limites, là où Dieu nʼen avait pas mis. Ce sont des concepts quʼils nʼont pas essayé de théoriser, parce quʼils savaient, de par leur proximité avec le Prophète, que la Charia était une voie extrêmement large dont les limites étaient très difficiles à définir.
Mais lʼhistoire des hommes a forcé lʼémergence dʼune science des limitations de la Charia. Nous faisons ici lʼhypothèse sur lʼorigine de la théorisation des sciences fondatrices, ce que nous appelons ici les « usûl », dans le sens de fondements, racines, origines. Elles correspondent aux sciences édificatrices Charia. Les premières briques sur lesquelles, la loi islamique va sʼappuyer pour être compréhensible par lʼhomme. Nous pensons quʼelles sont arrivaient naturellement afin de répondre à une problématique simple : Comment sommes-nous assurés dʼêtre bien inscrits dans cette Voie quʼest la Charia ?
Cette question va créer un besoin inévitable de délimiter la Charia. Et cʼest là où les problèmes peuvent commencer lorsque la politique se mêle de la science. Et cʼest par ce biais quʼon a réussi à faire croire à certain que la Charia était un système politique. Alors quʼà lʼorigine cʼétait une voie spirituelle, et les compagnons du Prophète le savait bien, cʼest pourquoi, ils ne délimitaient pas lʼislam.
Les savants vont ainsi établir des sciences fondatrices pour faciliter, et non pas simplifier, la pratique et la compréhension de la religion. Mais ce que nous devons comprendre, cʼest que tout cela reste une construction théorique humaine, visant un idéal promis par Dieu à travers le Coran.
Ainsi, le consensus (ʼijmâ) des savants va jouer le rôle indicateur dʼun rapprochement de la compréhension de la Charia réelle, mais cette connaissance est toujours perfectible et sujette à la divergence. Cependant, dans un tel niveau et degré dʼabstraction théorique de la connaissance, le consensus y règne sur toutes les grandes questions. Le consensus le plus connu et le plus évident est celui sur lʼUnicité divine. Aucun musulman sain dʼesprit, savant ou non, ne pourrait vous dire quʼil existe deux dieux. Il nʼy a pas de débat sur des sujets aussi clairement explicites dans le Coran.
Ces sciences fondatrices vont répertorier généralement les évidences claires et sans ambiguïtés, sur lesquelles la certitude éclate et se manifeste. Mais lʼUnicité de Dieu est un des rares sujet où le consensus est unanime. Le consensus suppose généralement la majorité pensante, agissante et dominante. Il cache souvent la divergence, qui existe au sein même de ces sciences fondatrices, comme nous le verrons.
En posant les limites, les sciences fondatrices vont diviser traditionnellement la charia en trois branches. La charia est multidimensionnelle :
Al-Islam, représenté par les cinq piliers de lʼislam [le témoignage de lʼunicité divine (shahâda), la prière (salât), l’aumône purificatrice (zakât), le jeûne (siyâm), et le pèlerinage (hajj)]. Cela va créer la première branche par la science Usûl al-Fiqh (science fondatrice de la compréhension et de la pratique de la religion).
Al-Imân, représenté par les six piliers de la foi [croire en l’Unicité de Dieu, croire aux créatures invisibles (anges et jinns), aux livres révélés (Thora, Évangile), aux messagers de Dieu, au Jour du Jugement dernier et au Destin]. Naîtra la deuxième branche Usûl al-Dîn (science fondatrice de la croyance, du dogme islamique).
Al-Ihsan, la recherche de lʼExcellence, le bon comportement, lʼéducation de lʼâme, la noblesse de caractère, la Morale et lʼéthique. Troisième branche définie par le Tasawwuf (Spiritualité, Mystique).
Voici les trois branches construites à partir du célèbre hadith de lʼange Gabriel questionné par le Prophète sur ce quʼest al-islam, al-imân et al-ihsan.
Certains groupes salafis aujourdʼhui mènent une guerre perdue et illégitime contre le soufisme, amalgamé à des pratiques étranges et déviantes, certes, mais de quelques groupes non-représentatifs. Or, il est évident que les soufis, aujourdʼhui, sont ceux qui produisent de lʼExcellence (al-ihsan) et développent des moyens dʼéducations spirituelles de lʼâme, notamment par la pratique du dhikr. Quand, au contraire, les salafistes délaissent la branche du Tasawwuf, alors que beaucoup de savants, et notamment ibn Al-Qayyim al-Jawziyya par exemple, disait de ne pas la négliger. Il disait que le bon comportement amenait lʼouverture du cœur à la bonne compréhension de la religion.
Mais si la Charia est un idéal, il est temps de faire le parallèle avec la République qui, elle aussi en est un. La res publica est originellement la recherche de lʼintérêt public. Or, parmi les fondements de la compréhension de la religion (usûl al-fiqh), il existe ce quʼon appelle maslaha, et istislâh qui ne veulent rien dire dʼautre que la recherche du bien commun. Ainsi, la République est finalement un idéal compris dans les fondements de la Charia. Cʼest dʼailleurs la raison pour laquelle il existe des Républiques islamiques. Mais préciser le caractère islamique de lʼétat, ou définir une religion dʼétat dans la constitution nʼa pas réellement dʼimportance. Puisquʼau sein de la société vous aurez toujours des croyants et des non-croyants. Et un nombre élevé de musulmans au sein dʼune société nʼest pas synonyme de réussite, autrement l’Égypte rayonnerait mondialement. Ce qui est important, cʼest le degré de Justice.
Ceux qui osent parler de Charia, en délaissant Tasawwuf, ne sont pas meilleurs que ceux qui parlent de République et qui délaissent lʼintérêt public.
« Ne suis pas leurs passions, et prends garde quʼils ne tentent de tʼéloigner dʼune partie de ce quʼAllah (Dieu) tʼa révélé. »
Lʼimam Muhammad ach-Chafi‘i est le premier à théoriser les fondements du Fiqh dans son ouvrage ar-Rissâla (L’Épître). Et cʼest en lisant ce livre, que nous pouvons voir sʼexprimer aujourdʼhui la divergence qui existe au sein des sciences originelles. Puisque nombreux fondements proposés par lʼimam ach-Chafi‘i peuvent être considéré aujourdʼhui comme obsolètes, ce qui ne veut pas dire quʼil nʼeut pas raison en son temps. Mais la compréhension de lʼislam évolue, et de nouvelles briques de connaissances ont été apportées, à côté de celles des grands imams fondateurs dʼécoles jurisprudentielles islamiques. Pour prendre un exemple, la règle de lʼabrogation, qui était autrefois comprise comme étant intra-texte (abrogation de versets à lʼintérieur même du Coran), se trouve mise à mal par les arguments de lʼabrogation extra-textes (les versets du Coran venant abrogés les versets des autres révélations).
Mais à quoi ressemble aujourdʼhui la branche Usûl al-Fiqh. Il est très difficile de répertorier tout ce quʼelle peut contenir, mais nous proposons de lister, non-exhaustivement, les sciences qui reviennent le plus souvent :
La Méthodologie. On commence par définir les sources de déduction (Le Coran, la Sunna, le consensus (ʼijmâ), lʼanalogie (qiyâs), le choix préférentiel (istihsan), lʼintérêt général (maslaha), la coutume (‘ourf), … ) et dʼinterprétation, qui répondent aux questions :
Quʼest-ce quʼune preuve (dalîl) ?
Quʼest-ce quʼun argument valide ?
La science dialectique et la logique (kalâm). La mise en cohérence du discours islamique.*
Analyse linguistique du Coran. Le vocabulaire, el lexique, les tournures grammaticales, les figures de styles, etc.*
Débats intellectuels, conceptuels et métaphysiques. Débats au sein même de la communauté musulmane, à distinguer des débats inter-confessionnelles qui ne font pas partie des fondements.*
Déductions des « arkham» conceptuels. Rappelons que le mot arkham ici nʼest pas relié au divin. Ce ne sont pas les « arkham dʼAllah » comme lʼinventent certains prédicateurs. On peut traduire cela par « jugements », ou « statuts légaux ». Déduire ces statuts, ici, ne concerne absolument pas les cas dʼapplications (ce qui sera le rôle du fiqh après, se basant sur ces statuts une fois définis). Nous parlons donc ici de définir les catégories, cʼest-à-dire, théoriser lʼobligatoire, le recommandé, lʼinterdit, le neutre, le déconseillé et lʼinterdit. Ce sont des statuts qui restent des catégorisations humaines. Et la preuve en est que dʼune école juridique à lʼautre, il va y avoir des distinctions à lʼintérieur de même de ces statuts, et des divergences dans leur dénomination respective. Quand dʼautres vont parfois y ajouter des subdivisions à lʼintérieur même de ces catégories.
Les raisons dʼêtre de la Charia, les finalités ou objectifs supérieurs de la Charia, etc.
Ce nʼest pas une liste exhaustive, il existe énormément de sciences dans usûl al-fiqh, et vous en trouverez autant dans les autres branches, sachant quʼune même science peut traverser toutes les branches.
Sʼil nʼy a pas de clergé en islam, la compréhension de la religion par la masse musulmane va dépendre principalement du discours dominant construits par ceux qui auront le plus de visibilité et dʼinfluence.Au sein de ses sciences fondatrices, il peut y avoir des divergences, mais en temps normal, théoriquement, pas de contradictions ni dʼantagonismes. Puisquʼelles correspondent à lʼextraction de grands principes claires et sans ambiguïtés, et participent à lʼédifice des différentes sciences pratiques. Même sʼil y aura toujours des débats, dans la manière de faire, de classifier, de prioriser certains éléments sur dʼautres, et sachant que lʼesprit humain est sujet à lʼerreur, nous pourrons toujours améliorer et perfectionner ces modèles théoriques. Par exemple, il existe des divergences notoires dans Usûl al-dîn ne serait-ce quʼentre sunnites et chiites. Forcément, les dogmes sont différents, pourtant les deux groupes demeurent dans la religion. Les sunnites nʼont aucune preuve que les chiites sont en dehors de la Grande Voie (Charia) et inversement. On a le droit de ne pas être dʼaccord, mais on ne peut exclure gratuitement lʼun et lʼautre de lʼislam. Cʼest cela lʼexpression de la divergence.
Quand on comprend tout cela, on comprend que la Charia est une voie très large. Plus notre foi et notre science sont solides, et plus nous verrons cette Charia sʼélargir avec des limites quasi-indéfinissables, comme elles lʼétaient aux yeux des Compagnons du Prophète. Rien ne nous indique que les limites théoriques posées par lʼhumain seraient forcément placées au bon endroit. Avec un approfondissement de la science, elles se voient être repoussées et moins rigides.
À lʼinverse, une science et une foi fragiles, sʼappuyant sur la frustration, délaissant la raison et la spiritualité, aura tendance a créé des esprits étriqués enfermant la compréhension de la religion dans la simple discipline mécanique du fiqh, qui pour le coup, sera certes juridique, mais bien éloigné encore de la Miséricorde de Dieu. Miséricorde divine, qui nous appelle, nous, être humain, à être miséricordieux à notre tour, envers notre prochain. Réduire lʼislam à la simple jurisprudence revient à délaisser la majorité du Coran et de la Charia.
Lʼhomme étant naturellement en divergence avec ces semblables, la Charia est cette voie, qui devrait permettre idéalement la manifestation concrète de cette diversité dʼopinions, sans transgresser les limites clairement établies et harmonieusement adaptées à la nature humaine.
Brahami Mostafa, « Les six grands imams : Abû Hanîfa, Mâlik, Zayd, Jaʼfar, Shafiʼî, Ahmad – Évolutions historique de la jurisprudence islamique », p.12.
Cf. Annexe : « Le hadith de lʼange Gabriel »
Dʼaprès des études datant de 2012, l’Égypte est le pays où il y a le plus de croyants.
Ce verset constitue pour nous une preuve contre la méthodologie de lʼabrogation de versets coraniques. Contrairement à ce que pouvait en penser par exemple le grand imam ach-Chafi‘i.
Cf. Abd al-Wahhâb Khallâf, « Le fondements du droit musulman - ‘Ilm usûl al fiqh », p.27.
Ces trois disciplines (*) sont transversales. Cʼest-à-dire quʼelles sʼappliquent sur les trois branches de la religion, et non pas seulement dans les fondements du droit. En conséquence, elles bénéficient dʼune plus grande indépendance.
La « loi » musulmane : le fiqh
Nous arrivons enfin au « fiqh », cette discipline qui semble omniprésente et indispensable dans la religion musulmane, lorsqu’on écoute les enseignements dispensés dans les mosquées de France. Alors que pourtant, nous sommes à l’échelle la plus basse de la science. Car cette discipline cherche bien à établir des lois ou du droit, au sens légal du terme. Or, la loi humaine vient toujours restreindre la liberté : c’est son rôle.
Le fiqh correspond à la pratique extériorisée de la religion se situant uniquement dans la branche correspondante de la Charia. Cʼest un ensemble de règles normatives pour mettre en pratique lʼislam dans des situations et des contextes données. Ici, il est souvent question de rentrer dans les détails. Mais cela reste une science cent pour cent humaine et profane, contrairement aux fondements. Il est étonnant de voir des avis sur des sujets qui n’ont rien à voir avec le fiqh, mais qui sont pourtant assimilés dans le corpus textuel de cette discipline.
Il va falloir comprendre qu’il y a autant de fiqh quʼil existe de sociétés humaines, voir même, il y en a autant quʼil y a et qu’il y eut de savants de l’islam dans lʼhistoire. Le fiqh nʼest pas une science islamique en ce sens où elle ne possède rien de sacré contrairement aux sciences fondatrices intimement liées à la religion. La manière de pratiquer la religion va forcément dépendre, à minima, du contexte spatio-temporel, inévitablement.
Dans cette discipline juridique, non seulement la divergence est tolérée, mais cela va plus loin : les avis les plus contradictoires et antagonistes le sont également. Néanmoins, il existe deux conditions importantes à respecter dans cette tolérance d’opinions diversifiées :
La première, c’est qu’il y a toujours un avis plus pertinent quʼun autre, qui s’imposera par sa rigueur méthodologique, et par la qualité et la solidité de ses arguments. Aussi, un avis risque de s’imposer sur un autre, en raison de son adaptabilité à un contexte particulier, et devient plus profitable aux musulmans lorsqu’il s’agit de répondre aux finalités de la religion. Nous avions évoqué cette diversité contextuel dans le premier chapitre, en relayant les propos de lʼimam Mâlik, sur la conception de lʼiftâ des Compagnons du Prophète.
La seconde condition concerne le contenu d’un effort de réflexion émis sur un sujet quelconque. Peu importe le sujet, il ne peut venir contredire les grands principes établis dans les sciences fondatrices.
Pour donner un exemple concret sur ce dernier point, s’il est établi, au sein des sciences fondatrices, que lʼune des finalités supérieures de la Charia, parmi les cinq nécessités les plus importantes, y figure la préservation de la vie. Sʼappuyant sur le fait que Dieu a rendu la vie sacré à plusieurs reprises dans le Coran, de façon claire et sans ambiguïté (Coran 6:51 ; Coran 17:33 ; Coran 25:68). Dans ce cas, aucun avis juridique ne peut venir contredire ce principe. Néanmoins, deux avis entre eux peuvent se contredire, et être pourtant correct tous les deux, à partir du moment où ils ne contredisent pas les grands principes fondamentaux de la religion. Puisquʼun avis peut être correct dans un lieu ou dans une époque donnée, et perdre de sa pertinence lorsqu’au moins un de ces deux contextes changent.
Dans le fiqh légal, il y a donc bien de la divergence, et nous rappelons alors que cela ne correspond pas à la Loi de Dieu, qui elle est établie et immuable. Dieu ne diverge pas avec lui-même.
La partie pratique de la religion doit chercher à se servir de la Révélation, pour penser le monde et chercher à améliorer les conditions d’existence dans celui-ci. Ce nʼest certainement pas la religion qui devrait dicter une façon de penser le monde à notre place. Car le livre de Dieu ne parle pas. Il ne fait que donner des orientations. Ce sont les hommes qui le récitent, le commentent, l’interprètent, et ainsi le font parler. On ne se soumet pas à la religion. Ce serait subir et se soumettre à la compréhension de quelques hommes, parfois savants, mais peuvent finir gourous malgré eux, s’ils se plaisent à penser détenir la vérité dans leur parole. C’est le meilleur moyen de tomber dans un sectarisme tribal, dans lequel on préfère adorer les paroles de quelques hommes qui parlent sur Dieu, que Dieu Lui-même. Au contraire, la religion est à notre service.
On se soumet à Dieu directement, sans intercesseur, si l’on est musulman. On se dévoue dans lʼadoration de Dieu, dans cette grande Voie quʼIl a établi pour nous. Ce droit chemin qui demande à lʼhomme de juger, de raisonner, de réfléchir, de méditer, et dʼaméliorer son comportement.
Et si nous ne sommes pas capables de produire nos propres avis religieux, selon nos dispositions naturelles, le but est de pouvoir écouter et de juger par soi-même entre les différentes opinions existantes. À la fin, notre compréhension de la religion s’affine, et notre foi aussi, en sélectionnant, discriminant les avis qui nous semblent les plus cohérents, et les plus faciles et avantageux dans notre pratique quotidienne.
Il ne faut certainement pas hésiter à questionner les chouyoukh, et leur demander des preuves ou des références sur ce qu’ils avancent. Un véritable cheikh vous répondra qu’il ne sait pas, s’il ne sait pas. Et ce sera pour lui l’occasion de creuser le sujet. Mais jamais il ne vous reprochera de poser une question, ou vous insultera d’ignorant (par projection psychologique de ses propres manquements). C’est ce qui arrive à certains imams qui se prennent à leur tour pour des savants, connaissant le pouvoir d’influence et d’autorité dont ils peuvent bénéficier sur de nombreux fidèles dans une mosquée. Mais leur savoir n’est que la reprise de réponses toutes faites, et ne prennent que le résultat produit par les savants, dont ces imams sont souvent dans l’incapacité de comprendre l’effort et les preuves qui ont permis de formuler ces avis. Puisqu’en grande majorité, dans la littérature musulmane grand public, on n’y trouve pas toujours les démonstrations méthodologiques amenant aux preuves. Et simplement parce que très souvent, dans l’histoire de l’islam, les avis de grands savants ont été repris et colportés sans même en connaître les conditions. Et un des désastres dʼaujourd’hui, dans la compréhension dominante de l’islam sunnite, certains avis de grands imams ayant marqué lʼhistoire sont pris au pied de la lettre et prônés comme des opinions d’autorités sans qu’on puisse en vérifier les cheminements méthodologiques et les conditions d’application. Les hommes et leurs paroles ne sont pas des preuves !
Les avis provenant du fiqh légal sont et resteront des jugements humains, et n’atteindront jamais la perfection divine. Et si ces règles et normes émanent de discours humains s’appuyant sur la parole de Dieu qu’est le Coran, il n’en reste pas moins que c’est une science qui cherche à réglementer le terrestre. Ce qui nous amène à la prochaine problématique de la distinction du temporel et du spirituel.
La branche usûl al-fiqh.
Puisquʼon parle bien du droit « musulman », et non pas de droit « islamique » ou « divin ».
En temps normal, aucune fatwa ne devrait appeler au meurtre, cela contredirait les principes de la religion. Le seul cas où une fatwa peut remettre en question la vie d’un individu ou d’un groupe, se produit lorsque la mise à mort de celui-ci permettrait, sans aucun doute, de préserver la vie. Soit de protéger ce principe fondamentale, mis en danger par des actes individuels.
Tout individu sincère pense détenir la vérité, ce qui est normal. À partir du moment où lʼon est sincère, on ne se ment ni à soi même ni aux autres dans notre manière dʼêtre. Mais, dire ce quʼon pense ne veut pas dire que ce que lʼon pense est vrai. Le sage sait que tout être humain est sujet à lʼerreur et à la faiblesse.
Pluriel du mot « cheikh », signifiant généralement « savant », en particulier de l’islam.
Distinguer le temporel du spirituel
D’aucuns prétendent, parmi les musulmans, que Dieu aurait légiféré temporellement. C’est une approche que l’on peut comprendre si l’on a une lecture de premier niveau du Coran. Puisque Dieu semble définir des règles à suivre pour régler un certain nombre d’affaires qui, rappelons-le, se référaient généralement à un évènement précis se déroulant à l’époque du Prophète.
Or, Dieu s’occupe-t-Il véritablement de politique ou d’économie ? Est-ce que les règles présentes dans le Coran, apparentées à la jurisprudence, sont suffisantes pour gérer une société ? Ou alors, est-ce que Dieu, à travers des exemples, ne nous montre-t-Il pas le chemin, pour que nous puissions légiférer, à notre tour, sur les conflits sociaux-politiques et économiques ? Ne nous conseille-t-Il pas dans le règlement de nos problèmes, sans pour autant nous donner de solution miracle, mais en nous montrant la voie ? Nous espérons que les musulmans d’aujourd’hui vont se réveiller, et comprendre ce second degré de lecture, qui devra s’imposer en raison d’un monde actuel qui n’a plus rien à voir avec celui du Prophète (ﷺ).
Nous réaffirmons, sans aucun doute, que Dieu ne sʼoccupe pas de politique, ni du juridique. Autrement, nous nʼaurions pas besoin de tribunaux, de juges, de savants, et encore moins, de prendre de décisions politiques ou économiques. Les versets juridiques ne pouvaient être pris à la lettre quʼà l’époque du Prophète, permettant la réforme du peuple arabe. Mais aujourdʼhui, ces versets sont signes, des exemples qui nous montrent comment à notre tour nous pouvons améliorer la vie en société par des règles plus justes.
Selon la compréhension des khawarij, Dieu gérerait tout à notre place, puisquʼà Lui Seul appartient le Pouvoir. Nous serions alors totalement inutiles dans la gérance de nos propres affaires. Mais la réalité nʼest pas celle-ci, lʼhomme doit et devra assumer ses choix. Nous aurons des comptes à rendre, et notamment sur la responsabilité qui nous a été confiée sur terre en tant quʼêtre humain, soit plus précisément en tant que khalifat.
La politique est une science, la jurisprudence est une science, lʼéconomie est une science : ces sciences ne sont pas des disciplines religieuses. Néanmoins, on peut essayer dʼinfluencer ces disciplines pour quʼelles soient plus éthiques, et donc plus islamiques en quelques sortes.
Le danger ici, serait de mélanger le terrestre et le céleste, ne pas distinguer le temporel du spirituel. La première chose à comprendre en tant que musulman, cʼest quʼil nʼy a pas de cause à effet direct et systématique entre ces deux dimensions.
Par exemple, prétendre quʼil suffirait de se penser musulman pour aller au paradis. Alors que le Coran nous met en garde dans cette façon de penser, à travers des juifs et des chrétiens qui avaient justement cette mentalité (Coran 2:94). Et le Coran leur demande de mettre fin à leur vie, sʼils sont persuadés dʼaller au paradis. Pourquoi resteraient-ils dans ce monde terrestre plein de contraintes et de souffrance. Il nʼy a que Dieu, en réalité, qui est en mesure de savoir qui doit être sauvé, et Lui Seul accordera le paradis ; de même pour les séjours en enfer. Ce Jugement nʼappartient quʼà Dieu.
Deux pratiques actuelles sont à dénoncer dans la communauté musulmane. La première, est la pratique du takfir, qui est une forme de shirk, puisque finalement, excommunier revient à décider à la place de Dieu qui est musulman et qui ne lʼest pas. Comme si l’on pouvait lire dans les cœurs. Quelqu’un affirmant publiquement l’inexistence de Dieu, peut dans son for intérieur y croire, mais ne pas le montrer. Or encore une fois, Dieu en sera le Seul juge.
La seconde concerne l’étiquetage de certaines personnes à des catégories définies dans les ahadith ou des versets du Coran, sans preuve. Par exemple, prétendre que tel imam fera partie des savants destinés à l’enfer, ou que tel groupe de musulmans est associé à l’une des 73 sectes. Les musulmans qui font ces amalgames faciles, souvent pensant être dans la seule voie véridique possible par leur compréhension, devront un jour rendre des comptes sur les calomnies qu’ils formulent.
Mais revenons sur notre problématique du pouvoir temporel et spirituel. Parmi les sophismes les plus répandus, il est celui de faire croire que si le pouvoir vient toujours d’en Haut et jamais d’en bas, alors la démocratie est un système éloigné des traditions et des religions. C’est la fameuse « main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit » de Napoléon Bonaparte. Mais reprenons la citation dans son contexte textuel :
« Lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au dessus de la main qui reçoit. [...] L’argent n’a pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain. »
Il y a une subtilité à comprendre ici, c’est qu’il n’est question que de pouvoir temporel. La main d’en haut ne fait pas référence à l’autorité supérieure. Elle n’est pas spirituelle. Ainsi, il faut distinguer dans le raisonnement, le haut spirituel du haut temporel, mais aussi, le bas spirituel du bas temporel.
Il est vrai que le pouvoir vient toujours dʼen Haut du point de vue spirituel, mais du point de vue temporel, le pouvoir ne peut provenir que dʼen bas au minimum. Si Macron a été élu président en France, cʼest uniquement parce qu’il a eu un nombre de voies suffisant. Il ne faut pas aller chercher plus loin les explications, ce n’est que de la comptabilité. Il a eu le consentement du bas temporel, le jour J, le jour du vote. Ne pas voter en pensant que tout est déjà joué dʼavance, revient à donner son consentement. Puisquʼau final, cela revient à ne pas faire opposition par le témoignage. Or, durant les élections, la masse dʼen bas, elle, s’est exprimée majoritairement en sa faveur, que ce soit par le vote, l’absence de vote, la propagande, la corruption, la servitude volontaire, etc.
Mais alors, comment Dieu, Lui qui détient l’Autorité sur toute chose, peut laisser s’exprimer un tel résultat. La raison profonde de tout cela, c’est que Dieu soutient, non pas les candidats électoraux, non pas les partis politiques, mais les processus sains et justes. Or, il se trouve que le vote, outil de libre expression, en fait partie.
René Guénon, dans son ouvrage « Autorité spirituelle et Pouvoir temporel », décrit parfaitement cela :
« Le pouvoir temporel, avons-nous dit, concerne le monde de l’action et du changement ; or le changement, n’ayant pas à en lui-même sa raison suffisante, doit recevoir d’un principe supérieur sa loi, par laquelle seule il s’intègre à l’ordre universel ; si au contraire il se prétend indépendant de tout principe supérieur, il n’est plus, par là-même, que désordre pur et simple. »
Ce n’est pas l’homme qui a créé l’arbre, ni le processus qui permet à l’arbre de se développer. Si l’arbre évolue, produit ses fruits et ses feuilles, se nourrit par ses racines, tout cela, ce sont des processus temporels sains. Temporels, car provenant du monde des causes, celui de « l’action et du changement ». Ainsi, on peut les décrire scientifiquement. Néanmoins, si aucun arbre ne se ressemble, pourtant, ils passent tous par les mêmes processus pour devenir ce quʼils sont. Or, chacun de ces processus forme un ensemble soutenu par une loi supra-naturelle, un principe supérieur spirituel. C’est ainsi que tout ce qui est naturel émane d’une Loi spirituelle, et c’est d’ailleurs pourquoi nous trouvons les paysages et les différents biotopes très harmonieux. Ils reflètent la divinité, et c’est en ce sens qu’ils sont des signes dans la Création. Et si nous avons pris l’exemple de l’arbre, il en va de même pour l’être humain.
« Peut-on concevoir des associés qui n’ont aucun pouvoir de créer et qui sont eux-mêmes créés ; qui ne peuvent en rien secourir leurs adeptes ni se secourir eux-mêmes ? »
« Peut-on comparer Celui qui crée à celui qui ne peut rien créer ? Ne saisissez-vous donc pas la différence ? »
Est-ce que lʼhomme sʼest créé lui-même ? Comment le pourrait-il sans volonté. Si tous les hommes sur terre sont différents dans leur évolution ontogénétique, ils passent tous pourtant, à quelques nuances près, par les mêmes stades physio-psychologiques. Mais lʼhomme est-il responsable de ces lois qui gèrent les étapes de la création ? Selon René Guénon, ces lois émanent dʼun principe supérieur, sans lequel tous ces agencements ordonnés ne pourraient se faire.
Ainsi, si Dieu soutient les principes sains dans le monde des causes, il ne peut que soutenir le processus de votation, exprimant la liberté du témoignage politique. Macron nʼa en réalité aucun pouvoir, si ce nʼest lʼillusion créée par les textes auxquels, en tant que français, nous sommes liés et forcés de respecter, et par lesquels, certains corps constituants, protègent lʼautorité illusoire du président de la République.
Faisons désormais le lien avec les débuts de lʼislam. Y a-t-il eu une distinction entre le temporel et le spirituel à lʼépoque du Prophète ? Nous allons voir que le Messager de Dieu nʼa jamais mélangé sa mission spirituelle avec ses actions politiques. Mais sʼil y a distinction, lʼun ne peut aller sans lʼautre.
Tout dʼabord, remarquons que lorsque le prophète arrive à Médine, il part dʼen bas. En effet, à ce moment, le Prophète nʼest personne, il nʼest pas lʼhéritier dʼun roi, ni ne possède un quelconque statut politique particulier, si ce nʼest sa réputation de prophète, par forcément toujours prise au sérieux. En revanche, il va jouer avec sa réputation justement, en côtoyant les gens de Médine, et notamment les différentes tribus juives et païennes. Si le Prophète aurait eu seulement le consentement de ses compagnons, il nʼaurait jamais pu créer un état à Médine. Il a eu besoin de l’assentiment du territoire quʼil souhaitait gouverner pour devenir chef d’État. Et ce nʼest que par une consultation de toutes les tribus, en établissant un dialogue de conciliation dans les relations des différents partis tribaux constituant Médine, que le Messager de Dieu parvint à son objectif. Et de cette démarche naîtra la charte de Médine, qui nʼa absolument rien de religieuse, puisquʼaucuns de ses articles ne relatent ne serait-ce quʼun verset du Coran. Le Prophète nʼa pas utilisé le Coran comme texte politique. Ainsi, ceux qui affirment que « le Coran est notre constitution » ne peuvent lʼaffirmer sur le plan politique.
Si vous comprenez ceci, vous devriez alors comprendre que lʼislam nʼest pas une religion politique, pas plus quʼune autre, et quʼelle est bien spirituelle avant toute chose.
Et le Pacte de Médine en lui-même est un texte législatif (constituant pour être précis) composé de lois tricotés par les hommes. Or, si le Prophète a gouverné avec des lois fabriquées, et les compagnons qui vont le suivre, faire de même, peut-on considérer quʼils ont commis un acte dʼassociation ? Peut-on considérer quʼils ont légiféré à la place de Dieu ? À moins de penser que la constitution de Médine fait partie de la révélation, ou de ne toujours pas faire la distinction entre la Législation divine et la législation temporelle forcément humaine, il faut être fou pour accuser le Prophète de shirk.
Le Prophète nʼa pas eu besoin de ce qui était dans le Coran pour composer la Constitution, mais plutôt de connaître le terrain, les gens. En revanche, cette démarche dʼaller à lʼécoute des gens et de rallier les gens à une cause pour la justice, proviennent des enseignements du Coran. Et donc le Prophète distinguait le temporel du spirituel, et nous pouvons notamment retrouver cette nuance dans ce hadith très connu, quʼon retrouve dans le Sahih de Muslim :
« Vous connaissez mieux vos affaires de ce monde (dunyâkum). Mais lorsque je vous ordonne quelque chose de religieux (dînikum), prenez-le »
Dans ces propos, le Prophète fait la distinction entre ce qui relève des règles sur les affaires de la dunyâ, les affaires terrestres de ce monde, ce qui correspond au fiqh légal par exemple, et ce qui relève du dîn, de la religion, de la croyance. Et le problème de notre époque moderne dans la communauté musulmane, cʼest que vous avez des gens qui prétendent que certaines questions font partie du dîn, alors que ce nʼest que du domaine de la dunyâ.
Cette distinction, on la retrouve avec le prophète Jésus dans les différents évangiles, lorsquʼil dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ce qui peut être interprété comme le fait de rendre au pouvoir temporel ce quʼil lui appartient (à savoir lʼargent dans la situation de Jésus), et au pouvoir céleste de même.
À contre-pieds de tout ce que lʼon nous enseigne aujourdʼhui sur internet, cette distinction du temporel et du spirituel nʼest pas faite chez les Khawarij puisquʼils mélangent lʼAutorité de Dieu avec le pouvoir temporel. Même erreur chez certains franc-maçons dans leur confusion des deux dimensions, puisquʼils mettent la spiritualité dans la matière, notamment par leur courant à dominance matérialistes. Et enfin, même constat chez les activistes laïcistes, francs-maçons parfois aussi, qui eux, font de la Laïcité une religion, soit font dʼun principe politique temporel, leur dogme de croyance. Ainsi, pour décrire le paradoxe des ultra-laïcs, cʼest quʼen faisant de la laïcité leur religion, il nʼy a plus de séparation entre leur croyance et lʼappareil politique (comme chez les sectes qui prennent la République ou Marianne en Religion). Cʼest pourquoi lʼesprit laïciste ne respecte pas le principe de laïcité à la française tel que défini dans la loi de 1905. Principe rogné un siècle après son élaboration, par quelques lois stigmatisant les musulmans.
La non-séparation du religieux et du politique, ça donne aussi à plus grande échelle des États comme Israël, ou Daech, là où la théologie inversée règne en maître.
« khalifat » ici signifie « Vicaire » sur terre, fonction donnée à Adam (Coran 2:30), qui sʼétend sur toute sa descendance, soit lʼhumanité, selon lʼinterprétation dʼibn Kathîr. On verra notre propre vision du califat dans le cinquième chapitre.
Si Dieu veut un bien pour quelqu’un, personne ne peut l’en déposséder.
René Guénon, « Autorité spirituelle et Pouvoir temporel », Trédaniel, 1984, p.112.
Cf. Annexe : « La Constitution de Médine traduite par Muhammad Hamidullah ».
Décrite comme la première constitution écrite appliquée dans lʼhistoire des hommes, selon Muhammad Hamidullah.
Slogan des « Frères Musulmans ». Le Coran nʼest pas une constitution politique.
La laïcité française, cʼest la séparation de l’Église et de l’État, et l’Église ne désigne initialement pas forcément la religion. L’Église cʼest une certaine forme de la religion, et en particulier son institutionnalisation, soit un Clergé, naturellement absent de lʼislam. Cʼest pourquoi dʼailleurs, cette dernière est particulièrement compatible avec ce modèle de société.
Théodor Hertzel a fondé sa doctrine, le sionisme, en pensant que les juifs nʼétaient pas assimilables dans aucune nation. Les propagandistes jihadistes ont utilisé la même rhétorique pour créer Daech, en rassemblant des jeunes musulmans venu du monde entier.
Omar ibn Al-Khattab, un associateur dans la législation ?
Sur le même principe dʼentreprise dʼune constitution faite de lois humaines recherchant le bien commun au sein dʼun territoire donné, le deuxième calife bien guidé, Omar ibn Al-Khattab va faire usage de son propre jugement pour édifier une société plus juste.
Sur les traces du Prophète, ce dernier faisait aussi usage de ses propres facultés humaines parfois pour juger certaines situations. Et Dieu venait parfois rectifier Son Messager : « Pourquoi tʼinterdis-tu ce que Dieu tʼas rendu licite ? » (Coran 66:1-5). Le Prophète sʼinterdisait des choses, que Dieu nʼavait pas rendu illicite.
Et cʼest en ce sens que le Calife Omar ibn Al-Khattâb, va lui aussi user de ses facultés de raisonnement pour élever la compréhension de la religion, et à lʼaide de ces enseignements, composer de nouvelles lois au sein de la société. Par exemple, légiférer pour rendre libres les enfants naissants de femme esclaves, réguler les marchés, ou encore, faire cesser lʼapplication de la peine, selon laquelle on devait systématiquement couper la main du voleur. Ce sont des décisions politiques quʼil a prise en connaissance de cause, et en sʼinspirant du Livre de Dieu. Bien que ces lois ne semblent pas explicites dans le Coran au premier abord, après méditation et confrontation des différents versets sur un même sujet, ces vérités peuvent surgir alors quʼelles ne nous apparaissaient pas à la première lecture. Encore une fois, peut-on dire quʼOmar ibn Al-Khattâb aurait légiféré à la place dʼAllah ? À ce stade de notre exposé, nous espérons que vous êtes capable de trouver la réponse vous-même.
Lorsque Omar ibn al-Khattâb a réglementé les marchés, il a nommé une femme pour le faire : Al-Shifa bint Abdullah. Il lʼa désignée comme on désigne un ministre ou un délégué, parce que le calife ne peut pas tout gérer seul. Et pourquoi avoir nommé cette femme en particulier ? Parce quʼelle était compétente en matière de fonctionnement du marché de Médine, soit elle connaissait mieux une partie des « affaires de ce monde ».
Le deuxième calife va aussi être à lʼorigine de la séparation des pouvoirs, et notamment faire en sorte que le cadi (« juge musulman ») soit libre de toute pression ou influence politique. Ce quʼon nommerait aujourdʼhui le processus de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.
Un juge est toujours dans une position difficile (surtout sʼil est musulman et quʼil a la crainte de Dieu), où il doit juger à partir de preuves quʼils possèdent. Mais un bon juge sait quʼil ne pourra jamais englober la vérité absolue dans son jugement, car il ne sait sʼil possède toutes les preuves nécessaires et suffisantes pour établir un verdict conforme à la pure Vérité. Dʼailleurs, il ne sait pas si les témoignages sont sincères ou pas, et cʼest pour ça que, ce quʼon appelle abusivement les « peines légales » (hudûd) en islam, se doivent dʼêtre repoussées tant quʼil y a des doutes. Ce qui rend souvent la peine non-applicable tant que les conditions particulières ne sont pas réunies. Ce qui est, en quelques sortes, une miséricorde préventive pour les pécheurs que sont les Hommes.
Et enfin, pour terminer sur cette question de législation humaine, dans la tradition musulmane classique, il existe aussi la notion de tazir, qui sont des peines dépendant de la juridiction locale, soit des peines purement établit par lʼhomme.
Ainsi, nous avons montré à travers ce long rappel, que si Dieu reste le Seul Législateur à l’origine du Cosmos, de la Révélation et du Destin, cela n’empêche en rien l’homme de légiférer à son tour sur les affaires terrestres qui le concerne. Le Coran n’est pas un texte de lois, au sens légal. Et c’est en ce sens que les khawarij n’étaient pas dans leur légitimité lorsqu’ils voulaient restreindre l’homme dans son pouvoir de décider. Les êtres humains ont cette faculté de juger qu’ils doivent pouvoir exercer en toute liberté. Et c’est au travers de cette liberté quʼest en mesure de s’exprimer la divergence et la manifestation d’un islam diversifié, sans en dénaturer les fondements.
Ce qui mit fin à lʼesclavage en Arabie pendant un certain temps. Et cela, parce que le Calife avait élevé le niveau de compréhension de la religion : « Depuis quand vous attribuez-vous le droit de réduire en esclavage des hommes, alors que leur mère les a engendrés libres ? » aurait affirmé Omar.
Après avoir relevé les passages du Coran où il est question de « hudûd », qui signifie en réalité « limites », pluriel de « had », on peut y trouver un dénominateur commun qui devrait intéresser les féministes...