Tome IV - La Psychologie

Chapitre 2 - Le Développement de la Foi chez l'Homme

par Anthony Ghelfo 2016

Introduction


Au travers d'une approche psychologique de l'ontogenèse, c'est-à-dire du développement psychique de l'être humain, de la naissance à l'âge adulte, nous retracerons les processus de la foi chez l'homme. Dans notre premier ouvrage, nous avions démontré que la foi intervenait même dans les fondements de la science. Nous utilisons la foi au quotidien, dans nos prises de décision, et dans nos choix de faire confiance à telles personnes plutôt qu'à d'autres. C'est-à-dire que nous allons évaluer en fonction de ce que nous savons et considérer certains systèmes de croyances plus vrais que d'autres.

Le système de croyances de l'islam, commençant par la reconnaissance de l'unicité de Dieu, est le plus simple, le plus pur, et surtout le plus naturel.

{ 'Iyad ibn Himar a rapporté que le Messager d'Allah (P  ), tout en offrant un sermon, un jour, a déclaré : Voici, ce que mon Seigneur m'a commandé et que je dois vous apprendre, et que vous ne connaissez pas, et qui Il m'a appris aujourd'hui. (Il a enseigné donc) : J'ai créé Mes serviteurs comme ayant une inclinaison naturelle à l'adoration d'Allah, mais il y a Satan qui les détourne de la religion droite, et il rend illégale ce qui a été déclaré licite pour eux, et il leur ordonne l'associationnisme avec [le dieu] Ré, bien qu'il n'a aucune justification pour faire cela. }63

La foi dans l'islam est la plus naturelle puisque, comme nous le verrons dans ce chapitre, tout être humain est né avec des prédispositions à croire en un Dieu Unique. L'associationnisme n'est qu'une déviance de la raison, qui n'a rien de naturel, et se produit généralement à cause d'un attachement à un objet qui ne devrait pas se faire. On retrouve l'associationnisme dans certaines psychopathologies, comme dans les troubles obsessionnels compulsifs. La personne se retrouve attachée à un objet ou une situation, qui lui donnent le sentiment de sécurité, alors qu'en réalité, il n'y a jamais de sécurité en dehors de Dieu.

( Ceux qui ont cru et n'ont point troublé la pureté de leur foi par quelqu'iniquité (association), ceux-là ont la sécurité ; et ce sont eux les bien-guidés. )64

À l'âge adulte, et en particulier à notre époque, l'associationnisme avec le dieu Argent est très fréquent. On pense que l'argent est la raison de notre sécurité, alors que c'est Dieu qui pourvoit, et s'Il le voulait, notre destin pourrait être tragique au point même, qu'en étant riche, notre argent ne puisse résoudre aucun de nos problèmes.

« Quand le dernier arbre aura été coupé. Quand la dernière rivière aura été empoisonnée. Quand le dernier poisson aura été attrapé. Seulement alors, l'Homme se rendra compte que l'argent ne se mange pas. » — Sagesse indienne

Le lien entre foi et sécurité psychologique est donc très important à comprendre. Notre avis personnel est que seul le dogme de l'islam donne toute la sécurité mentale nécessaire pour un développement sain du psychisme humain. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle, les musulmans qui ont de la science, et qui sont sûre d'eux, peuvent parfois ébranler, voir même effrayer les esprits les moins sécures et les plus orgueilleux. Cependant, il existe des systèmes de croyances, qui ne peuvent apporter aucune sécurité psychologique. Car les croyances opposées à l'islam, les superstitions, ne peuvent apporter qu'une sécurité mentale illusoire, parfois simplement en raison d'un vécu confortable, ajouté d'une déviance ou d'une paresse cognitive.

( À ceux qui n'auront pas cru on proclamera : « l'aversion d'Allah [envers vous] est plus grande que votre aversion envers vous-mêmes, lorsque vous étiez appelés à la foi et que vous persistiez dans la mécréance ». Ils diront : « Notre Seigneur, tu nous as fais mourir deux fois, et redonné la vie deux fois : nous reconnaissons donc nos péchés. Y a-t-il un moyen d'en sortir ? »… Il en est ainsi car lorsqu'Allah était invoqué seul (sans associé), vous ne croyiez pas ; et si on Lui donnait des associés, alors vous croyiez. Le jugement appartient à Allah, le Très-Haut, le Très Grand. C'est Lui qui vous fait voir Ses preuves, et fait descendre du ciel, pour vous, une subsistance. Seul se rappelle celui qui revient [à Allah]. Invoquer Allah donc, en Lui vouant un culte exclusif, quelque répulsion qu'en aient les mécréants. )65

La foi, pour celui qui est venu au monde sans antécédents religieux, doit venir par la reconnaissance d'avoir commis des péchés. Cela consiste à admettre à soi-même, avoir déjà dans sa propre vie engendrée de la souffrance ou un conflit, ou encore reconnaître avoir corrompu l'humanité au travers de sa propre personne par des actes que l'on pourrait qualifier de « sales », de « pervers », d'« injustes » ou de « mauvais ». Prendre conscience de ne faire qu'un avec l'humanité, et que commettre un péché, c'est salir cette unité. Or, tout être humain, hormis (peut-être ?) les Prophètes (pas tous ?), ont commis des péchés dans leur vie. Pour laver nos péchés qui corrompent l'unité de l'humanité, nous nous devons de faire un repentir sincère envers Dieu66. C'est le début incontournable de la foi islamique.

Ce chapitre se scindera en trois grandes parties, divisées selon trois grandes périodes de la vie humaine que sont l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. Si nous parlons de développement, il s'agit surtout d'une évolution, car la foi ne sera plus naturelle et innée à partir de l'âge de raison.

Partie 1 - L’Enfant Croyant


Ce que les psychologues du développement admettent depuis la moitié du XXème siècle, c'est que le développement de l'homme est fléché. C'est-à-dire que tout être humain sain, se développent psychiquement en suivant des schémas pré-établis dans l'ordre des choses, indépendamment des conditionnements. D'où les stades de développements psychologiques chez les enfants, dont les plus connus sont ceux du célèbre théoricien Jean Piaget.

( Allah, c'est Lui qui vous a créés faibles; puis après la faiblesse, Il vous donne la force; puis après la force, Il vous réduit à la faiblesse et à la vieillesse : Il crée ce qu'Il veut et c'est Lui l'Omniscient, l'Omnipotent. )67

Le développement psychique est un processus continu, mais pas forcément linéaire. Nous avons tendance à lire le verset précédent en terme de force physique, mais les étapes sont les mêmes pour la maturation psychologique. La faiblesse de l'enfant est cependant différente de celle du vieil homme. La déficience psychologique de l'enfant naissant, est en raison d'un égocentrisme et d'une crédulité naturels qui viennent compenser son absence de connaissances, son immaturité, et sa faiblesse musculaire. Quand celle de la personne âgée, n'est qu'en raison de l'usure et la détérioration normale et naturelle de ses organes, qui empêchent une manifestation fluide de son âme.

Certains psychologues distinguent parfois les processus de maturation et de développement chez l'enfant. La maturation renverrait à l'intra-psychique, c'est-à-dire à tous les facteurs purement internes à l'enfant, quand le développement ferait plus référence à l’interaction de l'enfant avec l'environnement. Ces deux processus s'entremêlent, et s'influencent réciproquement, tout comme l'inné et l'acquis, ou comme la perception interne et externe.

Ce qui nous intéresse ici, ce sont les prédispositions de la foi, que les psychologues ont bien souvent délaissées en Europe pour des raisons idéologiques, mais que les travaux récents du professeur Justin L. Barett, tendent à démontrer.

« Si nous jetions une poignée d'enfants sur une île déserte et qu'ils s'élèveraient seuls, je pense qu'ils croiraient en Dieu. » — Justin L. Barett68

Dans ce premier sous-chapitre consacré à la foi chez l'enfant, nous mettrons tout d'abord en évidence l'innocence de celui-ci face à ce monde dont il n'est pas responsable. Innocence qui malheureusement peut être très vite corrompue par son environnement. Nous verrons ensuite plus en détails le concept de fitra, la saine nature selon l'islam, qui pousse l'enfant à explorer et comprendre le monde dans lequel il évolue. Nous montrerons que le conditionnement est l'opposé de la fitra, bien qu'il soit, en premier lieu, inévitable. Dans notre second ouvrage, nous avions évoqué le fait que Dieu, dans une compréhension monothéiste, étant une idée purement rationnelle, peut être retrouvé par l'esprit de l'homme à l'exercice d'une contemplation de son environnement. Nous verrons comment cela est possible, quelles sont les prédispositions qui permettent cela, et surtout la nécessité de croire en cette unicité pour le développement de l'enfant.

L'enfant innocent ?


Dans la majorité des religions, l'enfant est perçu comme un ange. Peu importe les bêtises et les erreurs qu'il fera, l'enfant n'est pas responsable, et elles lui sont même nécessaires pour apprendre. Selon l'islam, tout enfant à qui Dieu a décidé de retirer la vie, que ce soit par maladie génétique, par catastrophe naturelle, par accident ou homicide, est prédestiné pour le Paradis.

{ Hasana', la fille de Mu'awiyah, a rapporté : Elle a rapporté sous l'autorité de son oncle paternel : Je demandai au Prophète (P  ) : Qui est au paradis ? Il répondit : Les prophètes sont au paradis, les martyrs sont au paradis, les nourrissons sont au paradis et les enfants enterrés vivants sont au Paradis. }69

Si dans l'introduction de ce deuxième chapitre, nous avions dit que nous commettions tous des péchés, les enfants sont une exception dans ce domaine jusqu'à l'âge de raison ou de conscience, car ils ne sont responsables ni de l'état du monde, ni de l'endroit où ils sont nés.

Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse, lors de sa publication des Trois essais sur la théorie de la sexualité, en 1905, a fait polémique, notamment en introduisant la notion de « sexualité infantile », et en qualifiant les enfants de « pervers polymorphes ». Or, il est clair, que cette théorie ne peut s'appliquer que sur des enfants ayant déjà connu un environnement perverti, donc humain. Les enfants sauvages, qui sont les rares cas d'enfants répertoriés ayant grandi et survécu en dehors ou en marge de toute société humaine, ne présentent pas cette perversité polymorphe dont Freud semble nous parler, et en particulier cette notion de développement du plaisir libidinal. Les enfants sauvages ont toujours dérangé les modèles psychanalytiques freudiens, parce qu'ils démontrent que la recherche du plaisir corporelle n'est pas innée chez l'enfant70. La théorie de Freud n'est donc qu'une conceptualisation d'un psychisme humain déjà malsain, ou plutôt, d'un cœur corrompu par l'environnement puisque l'on parle là d'enfant. Car seul le Nafs est la partie corruptible de l'Âme, ce qui n'est pas le cas pour l'Esprit (Rouh).71

Ce que l'on peut reprocher à la psychanalyse, et surtout à ses débuts, c'est d'avoir introduit initialement un côté sombre, chaotique et malsain dans le psychisme humain, notamment par son fondateur Sigmund Freud, mais aussi ses successeurs jusqu’à Donald Woods Winnicott, qui, pour la première fois dans la psychanalyse, s’intéressera à l'enfant sain, et à ce qui est susceptible d'être pathogène dans l'environnement. Contrairement à ce que nous pouvons lire dans de nombreux ouvrages de psychologie clinique, ou psychanalytique, nous ne partageons pas l'idée que connaître le modèle pathologique du psychisme chez l'homme permettrait de déduire le modèle sain de celui-ci. Si vous partez d'un appareil psychique déjà fragmenté et compartimenté, comme l'a fait Freud, vous êtes déjà dans la corruption de l'unicité du psychisme. Le milieu intra-psychique de l'enfant est toujours sain à la naissance, il ne peut pas naître corrompu ou en conflit, mais il peut le devenir par certaines interactions avec l'environnement. Nous pensons personnellement, que les différentes instances que Freud mentionne dans ses topiques du psychisme humain, sont le fruit d'une construction psychique déjà corrompue, conditionnée et fragmentée.

« Il est des personnes qui pensent qu'un enfant est comme de l'argile entre les mains d'un potier. Elles commencent à mouler le bébé et à se sentir responsables du résultat. Elles ont tort. Si c'est ce que vous éprouvez, vous serrez écrasée par des responsabilités que vous n'avez absolument pas besoin de prendre. Si vous acceptez l'idée d'un bébé qui existe par lui-même, vous serez alors libre de retirer un grand intérêt de l'observation de ce qui se passe lorsque le bébé grandira, tout en étant heureuse de satisfaire ses besoins. » — Donald W. Winnicott72

Ce que Winnicott met en avant lorsqu'il parle « d'un bébé qui existe par lui-même » est le Nafs et le Rouh, c'est-à-dire respectivement, l'ego et la vitalité, qui assure l'identité unique et en même temps, le mouvement autonome de l'enfant. Sans aucun conditionnement, l'enfant existe.

« Mais un bébé, cela n'existe pas ! » — Donald Winnicott73

Cependant, on pourrait y voir une contradiction, puisque Winnicott dira également qu'un bébé seul n'existe pas. Or, c'est toute la subtilité qu'il va falloir comprendre, car en effet, un bébé seul ne peut pas survivre, il a forcément besoin d'une personne qui s'occupe de satisfaire ses besoins. Car, même si, dans le milieu intra-psychique, l'enfant existe, celui-ci ne peut pas se construire seul, ni subvenir à son indigence. Il faut faire la distinction entre l'existence intérieure du bébé, et celle extérieure. Il va y avoir un égocentrisme naturel chez l'enfant, pour réclamer et attirer l'attention de l'environnement sur lui, afin qu'il puisse ainsi satisfaire ses besoins. Ses manques seront plus ou moins satisfaits selon la réponse de l'environnement. Cet égocentrisme vient compenser sa faiblesse musculaire, le fait qu'il ne puisse pas encore se déplacer de lui-même. Même pour commencer à observer le monde, à ses débuts, l'enfant sera totalement dépendant de ce qu'on lui présentera sous les yeux. Il ne pourra commencer à explorer son environnement seul, que lorsqu'il sera capable de contracter les muscles de ses membres pour se déplacer.

( Et les mères, qui veulent donner un allaitement complet, allaiteront leurs bébés deux ans complets. Au père de l'enfant de les nourrir et vêtir de manière convenable. Nul ne doit supporter plus que ses moyens. La mère n'a pas à subir de dommage à cause de son enfant, ni le père, à cause de son enfant. Même obligation pour l'héritier . Et si, après s'être consultés, tous deux tombent d'accord pour décider le sevrage, nul grief a leur faire. Et si vous voulez mettre vos enfants en nourrice, nul grief à vous faire non plus, à condition que vous acquittiez la rétribution convenue, conformément à l'usage. Et craignez Allah, et sachez qu'Allah observe ce que vous faites. )74

Pour rester un instant, dans la théorie de Winnicott, la notion de « Mère suffisamment bonne »75 qu'il défendra, renvoie à une mère capable de pardonner l'égocentrisme de son bébé, tout en lui mettant certaine limite.

Bon, Bonne (adj.) : Au sens le plus général − bon, bonne indique que l'être, l'objet concret ou abstrait désigné par le substantif répond positivement à ce qui est attendu de lui, sous le rapport de sa nature, de sa fonction, de son efficacité, etc.

Une « Mère suffisamment bonne » est une mère qui répond aux attentes de son enfant, dans le juste-milieu, sans céder aux caprices, ni le délaisser totalement, ce que serait capable de faire instinctivement la majorité des mamans, selon Winnicott.

( Ô hommes ! Craignez votre Seigneur. Le séisme [qui précédera] l'Heure est une chose terrible. Le jour où vous le verrez, toute nourrice oubliera ce qu'elle allaitait, et toute femelle enceinte avortera de ce qu'elle portait. Et tu verras les gens ivres, alors qu'ils ne le sont pas. Mais le châtiment d'Allah est dur. )76

L'instinct maternel est un marqueur de civilisation. Le jour où les mères ne seront plus capables de considération empathique pour leur enfant biologique, comme les cas d'enfants non-désirés77, au même titre que les avortements (les deux font intervenir la notion de responsabilité, et seul(e)s les pervers(es) ne se sentent pas responsables de leurs actes), sera marqueur d'un signe de fin des temps pour l'islam, soit que l'humanité se porte mal.

Pour revenir à l'enfant, peu importe la discipline psychologique, les études tendent à démontrer que l'enfant sain se développe en progressant affectivement, socialement, cognitivement, physiologiquement, moralement, etc., en vue de s'adapter au monde, et trouver sa voie.

Cette progression retrouvée chez tous les enfants sains, est le résultat, selon l'islam, des mécanismes innés que renferme la fitra, la saine nature. L'enfant a une foi naturelle dans l'ordre de la Création. L'enfant comprend instinctivement qu'il a quelque chose à faire dans ce monde. Sigmund Freud disait des enfants qu'ils sont de petits détectives, les cognitivistes parlent de petits savants en herbes78. Ce que l'on comprend, c'est que de manière innée, les enfants cherchent à acquérir des connaissances, alors qu'ils n'ont aucun intérêt, a priori, de produire tant d'effort.

La fitra protège l'enfant de son égocentrisme, et lui donne l'énergie et la foi nécessaire pour explorer (même ne serait-ce que visuellement) son environnement. Elle agit comme un tremplin jusqu'à l'âge de raison. Elle gomme au fur et à mesure de la progression de l'enfant, son égocentrisme par un travail naturel de décentration.

( Dirige tout ton être vers la religion exclusivement [pour Allah], telle est la nature qu‘Allah a originellement donnée aux hommes. Pas de changement à la création d‘Allah. Voilà la religion de droiture ; mais la plupart des gens ne savent pas. )79

L'effet de la fitra, ne veut pas dire l'incorruptibilité du comportement de l'enfant. La fitra et la morale sont deux choses distinctes. Les enfants peuvent malheureusement commettre des actes qui les dépassent, s'ils ont été depuis leur naissance, isolés du monde extérieur. La fitra ne les protège pas de l'immoralité. Généralement, on trouve cela dans les groupes sectaires. L'enfant ne vivant que sous la propagande d'une réalité biaisée, où l'altérité n'existe pas, celui-ci sera conditionné pour vivre selon ce que ces tuteurs lui auront inculqué80. Des réseaux sectaires assez graves comme ceux de la pédo-criminalité, où l'on fait faire aux enfants des actes qu'ils ne peuvent pas comprendre, en raison de l'immaturité affective de leur psychisme, mais aussi de leur corps, et sont conditionnés à répondre aux désirs d'adultes pervers. La réalité humaine est parfois cruelle.

Néanmoins, la nature étant bien faite, la foi innée commandée par la fitra, conduira l'enfant à s'interroger sur l'existence du monde extérieur à la secte ou extérieur au milieu prédestiné. Et s'il arrive à en échapper, en générale, lors de l'adolescence, ou lorsque son corps lui permettra de transgresser et d'échapper à l'autorité, alors par la simple socialisation au monde extérieur, la vérité et l'altérité d'un autre monde lui apparaîtront. Il sera capable de juger à la lumière de l’Esprit (Rouh) incorruptible, les nouvelles connaissances acquises de ses nouvelles expériences, totalement ignorées de son milieu prédestiné. Plus vous aurez d'expériences humaines différentes, plus vous aurez de science, plus vous aurez de point de vue, et plus vous pourrez vous défaire des conditionnements.

( Juge alors parmi eux d'après ce qu'Allah a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, et prends garde qu'ils ne tentent de t'éloigner d'une partie de ce qu'Allah t'a révélé. Et puis, s'ils refusent (le jugement révélé) sache qu'Allah veut les affliger [ici-bas] pour une partie de leurs péchés. Beaucoup de gens, certes, sont des pervers. )81

Pour ceux qui auront réussi à s'échapper de secte malveillante et de leur conditionnement, leur vécu infantile risque de les marquer à vie, et en particulier, en ce qui concerne la confiance envers les être humains. Ils risquent d'être totalement fragmentés intérieurement, lorsque leur corps et leur psychisme arriveront à maturité, car ils comprendront mieux et surtout prendront conscience désormais de ce que les pervers leur ont fait faire durant leur enfance. Cela peut causer des traumatismes psychologiques importants, s'ils revivent des expériences plus tard qui leur évoquent ces mauvais souvenirs. C'est ce que Freud a mis en évidence dans les névroses, et en particulier pour l'hystérie. La pathologie se déclare par réminiscence du souvenir infantile qui ne devient traumatique que lorsque le corps est assez mature pour le comprendre. Ce sont les pervers qui sont les créateurs de fragments et de conflits psychiques au sein des individus, et les enfants victimes de telles atrocités ne devraient pas à avoir porter ce fardeau.

Si l'enfant grandit dans un environnement où règne de mauvaises mœurs, l'enfant sera incapable de produire un comportement bienveillant tant qu'il restera confiné dans cette situation. La socialisation permet justement d'échapper à certaines formes de conditionnements parentaux, comme le simple fait de côtoyer des camarades d'école, ou de pratiquer des activités extra-scolaires. C'est aussi la raison pour laquelle, dans de nombreuses psychopathologies, les parents ont, en règle générale, une responsabilité et une influence importante dans la manifestation des troubles chez leurs enfants82. Cela ne veut pas dire que ces parents sont forcément tous atteints de perversité, mais ils peuvent avoir certain traits pervers qui échappent à leur conscience, et qui conditionnent, malgré eux, leur enfant.

L'enfant ne compose qu'avec que ce qu'il connaît et ce qu'il a vécu. Il absorbe tout de son monde environnant. Il reste tout de même innocent de tout « mal » qu'il pourrait être amené à commettre, simplement parce qu'il est totalement dépendant en raison de sa faiblesse physiologique et psychologique, et n'est pas responsable non plus de l'endroit où il est né. En réalité, les enfants ne commettent pas de mal, mais peuvent être le résultat produit par des adultes pervers, et être utilisés comme de simples outils à des fins différentes, ce qui est très difficile à s'imaginer pour la plupart des gens, tellement cette idée nous est insupportable83. Cette image associée de la plus innocente des créatures terrestres, qu'est le bébé, façonné entre les mains de la pire, l'homme pervers, fait naître chez la plupart d'entre nous un sentiment d'injustice, de colère et d'impuissance. Ce sentiment émane de la fitra, la saine nature.

( Et quant à ceux qui auront été pervers [dans la vie d'ici-bas], leur refuge sera le Feu [dans l'au-delà] : toutes les fois qu'ils voudront en sortir, ils y seront ramenés, et on leur dira : « Goûtez au châtiment du Feu auquel vous refusiez de croire ». Nous leur ferons certainement goûter au châtiment ici-bas, avant le grand châtiment afin qu'ils retournent (vers le chemin droit) ! )

Saine Nature Versus Conditionnement ?


Que nous soyons nés dans une famille croyante ou non, selon l'islam, tous les êtres humains sont venus au monde avec la fitra. La fitra est la saine nature originelle85. Elle correspond à l'état psychique initial, et en particulier celui du Nafs dépourvu de toute corruption. C'est la foi originelle dépourvue de toute association. L'un des buts de la vie sera de préserver cette foi innée dans l'Unicité. L'enfant vient au monde naturellement muslim (musulman).

{ Abou Hourayra a rapporté le Messager de Dieu (P  ) a dit : Aucun enfant ne naît si ce n'est dans la Fitra [la saine nature]. Il a alors dit. Récitez : ( telle est la nature qu‘Allah a originellement donnée aux hommes. Pas de changement à la création d‘Allah. Voilà la religion de droiture. ) (Coran 30:30) }86

Est-ce que cela signifie que l'enfant comprend exactement ce qu'est Dieu ? Non, la foi originelle ne suppose au début pas nécessairement une connaissance claire de Dieu. Même si l'on sait que si l'on expose à un enfant l'idée d'un Créateur à l'origine du monde, il n'aura aucun problème à l'accepter naturellement. Mais tant qu'il n'aura pas accès à la pensée symbolique, abstraite et hypothético-déductive (ou le stade des opérations formelles, dernier stade du développement de l'enfant selon la théorie piagétienne), ce ne sera pour lui qu'un être imaginaire, qu'il ne cherchera pas à relier à la réalité, mais dans lequel il n'aura pourtant aucun souci à croire. Car, pour l'enfant, à ses débuts, il n'y a pas beaucoup de distinction entre le monde réel et le monde imaginaire. Il n'a pas encore les outils et l'expérience nécessaire pour faire la distinction clairement entre ces deux mondes, car, comme nous le verrons plus loin, l'imaginaire peut jouer le rôle d'espace de travail pour sa maturation.

Pour l'enfant, même si Dieu peut être au début perçu comme étant une simple créature imaginaire, qu'il essaiera tant bien que mal de se représenter dans son esprit, du fait de l'absence d'association, il est dans l'Unicité qui est un des attributs les plus importants de Dieu. Cette croyance en l'Unicité se retrouve dans la sincérité de l'enfant.

À l'adolescence, Dieu commencera à lui apparaître comme une simple hypothèse, tant qu'il ne sera pas capable de relier la connaissance qu'il a de Dieu avec la réalité. Et c'est là que va se jouer la véritable foi, car Dieu ne reste qu'une hypothèse que pour ceux qui ne cherchent pas à la confirmer. Mais encore faut-il avoir une bonne idée de Dieu, car si nous naissons dans une famille athée, musulmane ou chrétienne, la perception ou la définition de Dieu sera différente, et conditionnera certainement les conclusions de nos opérations déductives.

{ Il a été rapporté sous l'autorité de Abu Mu'awiya que [Le Messager de Dieu (P  )] a dit : « Tout être naît selon la fitra jusqu’à ce qu’il s’exprime de lui-même par sa langue. » }87

Avant le langage, le bébé est incorruptible. Dans notre cinquième ouvrage sur la dialectique, nous montrerons comment les mots peuvent corrompre le cœur (Nafs). L'enfant ne peut être corruptible qu'à partir du moment où il sait poser des questions, et enregistrer les réponses. Son conditionnement sur la foi ne peut commencer dès l'instant où il est capable de dialoguer.

( Vous êtes la meilleure communauté qu'on ait fait surgir pour les hommes, vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Allah. Si les gens du Livre croyaient, ce serait meilleur pour eux, il y en a qui ont la foi, mais la plupart d'entre eux sont des pervers. Ils ne sauront jamais vous causer de grand mal, seulement une nuisance (par la langue); et s'ils vous combattent, ils vous tourneront le dos, et ils n'auront alors point de secours. )88

Le fameux « C'est quoi ça ? », lorsque l'enfant, entre 2 et 3 ans, commence à demander incessamment à la personne la plus proche de lui, de lui donner le nom de toute chose qu'il désigne par l'index (le pointing), à travers cette simple question, on peut y voire tout son désir d'apprendre. La saine nature est cette vitalité innée qui pousse l'enfant, sans intention dirigée, à chercher la connaissance. Et si de mauvaises réponses lui sont données, pas forcément sur les simples objets, mais plus tard, lorsque ses questions seront plus élaborées, généralement, sur les relations humaines, vous serez responsables de la corruption de son Nafs. Il vaut mieux dire que vous ne savez pas, plutôt que de mentir à votre enfant. Car un mensonge est contraire à la saine nature. Si vous donnez une mauvaise définition de Dieu à un enfant, elle risque de lui apparaître plus tard contraire à sa nature originelle, et il sera alors normal qu'il rejette cette idée.

( Ils ont dit : « Soyez Juifs ou Chrétiens, vous serez donc sur la bonne voie ». - Dis : « Non, mais suivons la religion d'Abraham, le modèle même de la droiture et qui ne fut point parmi les Associateurs ». )89

L'explication qui va suivre risque de ne pas plaire aux partisans des autres religions, mais la réalité est qu'il n'existe pas le mot « juif » dans la Torah (le Pentateuque), et le mot « chrétien » n'a pas été prononcé par Jésus. De plus, dans le Nouveau Testament, ce mot n'avait pas le même sens qu'on lui donne aujourd'hui. Ce qui signifie qu'il s'agit là de deux mots résultant d'une innovation, que les prophètes n'ont pas utilisés. Contrairement au mot « muslim », qui est présent dans le Coran, et qui a une signification profonde à savoir celle de se soumettre à Dieu, à observer Ses Commandement, à établir Sa Volonté sur terre, et donc, est applicable sur tous les prophètes bibliques. Être musulman consiste à préserver la saine nature.

( Ô gens du Livre, pourquoi disputez-vous au sujet d'Abraham, alors que la Thora et l’Évangile ne sont descendus qu'après lui ? Ne raisonnez-vous donc pas ? )90
{ Abou Hourayra a rapporté que le Messager d'Allah (P  ) a dit : Aucun enfant ne naît si ce n'est dans la fitra. Ce sont ses parents qui font de lui un Juif ou un chrétien ou un polythéiste. }91

En créant des mots qui n'ont qu'une réalité illusoire, vous conditionnez vos enfants. C'est pour ça que les parents ne sont pas toujours des pervers de leur plein grès, et qu'en réalité, il se peut qu'ils aient été pervertis par des idées ou des idéologies dans lesquelles ils ont foi, mais derrière lesquels il n'y a pas toujours de bien fonder, et les retransmettent à leurs enfants.

La réalité est que personne ne peut échapper aux conditionnements, mêmes les musulmans. De manière tout à fait normal, les langues sont des conditionnements. Un nouveau-né de deux parents anglais, ne fait pas de lui un bébé anglais. La langue n'est pas inscrite dans la génétique. Il apprendra l'anglais de ses parents, et s'il avait grandi auprès de parents français, il n'aurait eu aucune difficulté à apprendre le français, et aurait appris cette langue avec la même facilité. Néanmoins, chaque langue a ses particularités linguistiques. Les spécificités linguistiques de chaque idiome conditionnent les esprits et se répercutent sur les cultures des différents peuples concernés. C'est ce qui explique en partie pourquoi chaque peuple est plus doué que d'autres selon les domaines.

Un conditionnement un peu plus grave, et qui se produit tous les jours et chez tous les enfants, concerne la différence entre les milieux riches et les milieux défavorisés : les enfants parisiens, par exemple, ne vivent pas les mêmes réalités que les enfants de banlieues, ou de la province, et cela les conditionne et aura un impact à long terme sur leur vision du monde. Les uns sont également plus en contact avec certaines idéologies au détriment d'autres et risquent d'influencer significativement leur état d'esprit. De plus, certains comportements sociaux, paraissent plus confortables, car plus conformes au milieu de vie, alors que, toute idéologie contraire à la saine nature ne promet que sécurité illusoire.

{ Rapporté par Abou Hourayra : Le Messager d'Allah (P  ) reçut la nuit de son ascension deux coupes : l'une contenant du vin et l'autre, du lait. Il les regarda et choisit le lait. Gabriel lui dit alors : « Louange à Dieu qui t'a guidé vers la fitra ; si tu avais choisi le vin, ta communauté se serait égaré. }92

Ce hadith nous montre deux choses. Tout d'abord, qu'il existe dans l'environnement des choses qui sont bonnes pour l'homme et d'autres mauvaises. La fitra est cette vitalité qui nous pousse naturellement vers les bonnes choses, et surtout la sécurité. Si l'on dit à un enfant que fumer des cigarettes abîme les poumons, et que boire de l'alcool, a des répercussions néfastes sur le cerveau, il n'aura aucun problème à s'en abstenir, et même à faire le petit gendarme de la morale.

La fitra est une sorte de méta-conditionnement originelle. C'est le « programme » naturel de votre esprit, dont l'évitement (la peur) et l'attachement (l'amour) font partie. Vous allez par exemple avoir peur ou vous éloigner naturellement des choses qui vous mettront potentiellement en danger. La peur est naturelle, on n'apprend pas, ou on ne conditionne pas quelqu'un à avoir peur. De même, dès les premiers instants de vie, l'enfant a besoin d'une figure d'attachement, d'amour. On n'apprend pas à un enfant à s'attacher (Cf. les travaux en psychologie de René Spitz sur l'hospitalisme, la théorie de l'attachement de John Bowlby, ainsi que les travaux de Harry Harlow sur les singes Rhésus). La fitra permet de préserver la sécurité psychique de l'enfant.

En revanche, on peut conditionner quelqu'un pour qu'il ait peur de quelque chose qui ne représente aucun réel danger. Et pire encore, on peut conditionner une personne pour empêcher l'expression de sa fitra. Par exemple, si l'on reprend l'exemple des iPhone d'Apple, votre fitra vous dictera qu'en posséder un est déjà suffisant. Tout le marketing consiste à dénaturer ou faire taire votre saine nature, pour vous donner l'illusion que vous avez besoin de quelque chose d'inutile. En l’occurrence ici, dans notre exemple, obtenir la dernière version iPhone alors que l'on en possède déjà un. C'est de cette manière que l'on fait de nous des consommateurs, en nous vendant et en nous promettant des superstitions du type « il est meilleur que l'ancien ». Même si techniquement, il est possible que cela soit vrai pour certains produits, le marketing cherche à vous empêcher de vous satisfaire de ce que vous possédez déjà. Mais la pire des choses du marketing, est qu'elle sème en vous la confusion, au point que vous ne savez plus ce que vous avez réellement besoin. C'est l'idéologie consumériste.

Les animaux sont instinctivement dans la saine nature. On peut conditionner les animaux, pour qu'ils nous servent d'outil, à l'image d'un singe capable de réaliser des tâches précises venant en aide à une femme handicapée93, d'un éléphant capable de peindre une représentation imagée94, ou encore, plus couramment, des chiens guides pour aveugles. Les animaux peuvent être des aides précieuses à notre service, sans l'utilisation de maltraitances, mais simplement en se servant de leur intelligence. Leur conditionnement n'est que physiologique, et n'est donc pas une corruption morale. Ils n'ont pas de Nafs rappelons-le, ce n'est que l'intelligence de l'Esprit (Rouh) qui est utilisé, et non pas celui du cœur. Ce servir des animaux, ne signifie pas faire tout et n'importe quoi avec eux. Dieu ne les a pas mis sur Terre pour satisfaire nos désirs, mais seulement pour nous aider dans nos activités.

Un enfant peut être conditionné par les mêmes méthodes que les animaux, car, même si ça peu choquer de le dire de cette manière, mais globalement, ils fonctionnent pareil. Ils sont tous les deux dans la saine nature, et le Nafs de l'enfant n'est pas encore mature pour être libre et responsable. Les animaux et les enfants sont dans un état d'innocence. Ainsi, en utilisant les méthodes classiques de conditionnement, type Pavloviennes (stimulus/réponse), ou le conditionnement opératoire, type Skinnerien (action/récompense ou punition), par renforcement95, on peut obtenir ce que l'on veut de l'enfant, mais on ne touchera que son corps physiologique, et non pas son cœur (ce qui ne veut pas dire que cela est plus recommandable).

{ Aucun enfant ne naît si ce n'est dans la Fitra. Ce sont ses parents qui font de lui un Juif ou un chrétien ou un polythéiste. C'est comme l'animal qui donne naissance à son rejeton parfaitement constitué. L'avez-vous vu déjà mutilié avant de l'avoir mutilé vous même ? }96

On ne peut corrompre le Nafs de l'enfant, qu'à travers le sens des mots, et la structure du langage. Par exemple donner une mauvaise définition d'un mot, entraînera l'inhibition d'une pensée rationnelle. C'est très proche de la programmation mentale. Car cela revient à créer de potentiel conflit interne à l'enfant, le fragmenter, ou tout simplement lui mettre des bâtons dans les roues, et empêcher son développement de se dérouler sans encombre. L'absence du mot peut être synonyme de souffrance, et donc de conflit, comme on l'a déjà dit, mais la substitution d'un mot par un autre aura le même effet.

Pour Lev Vygotski, psychologue biélorusse, les mots sont les unités de réflexion. Il existe une relation entre langage et pensée. La pensée est un langage intérieur, et sans les mots, celle-ci est impossible.

Pendant toute la période de l'enfance, l'être humain est incapable de se déconditionner seul. Il est entièrement dépendant de son environnement du point de vue de ces idées. C'est la socialisation qui lui permettra d'échapper au conditionnement parental, et lui permettre de côtoyer l'altérité. C'est le point positif de l'école et des activités extra-scolaires. Cela permet à l'enfant d'être conscient des autres réalités du monde, pour qu'il puisse faire son choix de vie. Mais, la socialisation peut entraîner d'autre conditionnement, comme la théorie du genre enseignée dans certaines écoles républicaines, ou à travers la culture adressée à la jeunesse.

Le prétexte de l'instruction de la théorie du genre, était de détruire les stéréotypes, alors qu'ils sont nécessaires dans la construction psychique de l'enfant. Les stéréotypes permettent de discriminer, dans le sens de faire la distinction, les différents éléments dans l'environnement en vue de les classer par catégories. C'est un travail naturel de maturation psychique dans la théorisation du monde de l'enfant. On a, par exemple, dans l’expérimentation de la théorie du genre, « forcé » un petit garçon à jouer avec une poupée, et des petites filles avec des voitures. « Forcer », dans le sens de ne pas leur avoir laissé le choix du jeu. Si vous mettez une poupée Barbie, et une poupée Action Man, devant un petit garçon, la fitra le dirigera naturellement vers l'Action Man. Et naturellement, la petite fille se tournera vers la Barbie.

Pourquoi ? Parce que lorsque l'enfant joue, en réalité, il « travaille » psychiquement. Peu importe le jeu, l'enfant a besoin généralement d'un scénario, et il est préférable pour lui que ce scénario, soit en rapport avec lui-même, avec son genre, pour qu'il puisse s'identifier. S'il est un garçon, alors des personnages « mâles » seront privilégiés, et inversement pour la petite fille. Il existe des jeux asexués de tout type, de construction comme les LEGO, aussi bien pour les filles que les garçons, ou encore, des jeux de plein air comme le « Chat » ou « Chat Perché », qui consiste à toucher son camarade pour que celui-ci devienne le chat, et à son tour doit toucher un autre camarade pour s'en libérer. Le fait d'utiliser le nom d'un animal permet de désexualiser le jeu de rôle et ainsi, utiliser un jeu pouvant faire intervenir la mixité. Il y a des jeux, en revanche, qui doivent être évités en terme de mixité de genre, car ils peuvent mettre mal à l'aise les enfants, comme les jeux de lutte, ou encore l’acrosport. Tous les jeux qui font intervenir une trop grande promiscuité corporelle entre un garçon et une fille sont dérangeants pour les enfants, et en particulier pour les garçons97. C'est la saine nature qui donne cet état de malaise à l'enfant. De plus, contrairement à ce que suppose l'idéologie du Genre, ce type de jeux d'opposition démontre très bien que les garçons n'arrivent pas à être violents avec une fille, ils n'arrivent pas à mettre toute la tonicité musculaire qu'il pourrait mettre face à un garçon. Ils se retiennent naturellement, et encore une fois, c'est la saine nature qui permet cela. La nature n'est pas sexiste.

Malheureusement, il est très facile de conditionner un petit garçon et lui faire croire qu'il est une petite fille, et inversement, simplement avec le conditionnement opératoire skinnérien (action/récompense). Sans recours à la maltraitance, mais seulement en inférant chez l'enfant une superstition. C'est ce que l'on observe avec la théorie du genre, qui a une volonté idéologique et politique en vue de semer la confusion des sexes dans l'esprit de la jeunesse. Alors que l'on connaît très bien aujourd’hui, biologiquement parlant, la distinction entre un garçon et une fille, que se soit au niveau du corps, des hormones, et de la génétique. De plus, l'identité sexuée ne peut être qu'en rapport au corps, qui, lui seul, est sexué. L'Âme ou le psychisme, à l'origine, n'est pas sexué, et c'est sur cette absence de différenciation que la théorie du Genre va s'appuyer pour corrompre l'harmonie entre le corps et l'Esprit.

Être un garçon et se sentir être un garçon sont deux choses différentes. Le projet mondialiste est prêt à corrompre le Nafs de nos enfants, pour semer en eux la contradiction, et de potentiels conflits intérieurs. En raison d'idéologies perverses, le naturel n'est plus considéré comme normal parce qu'il ne confirme pas leurs attentes de domination. Démontrons l'énorme contradiction de la théorie du Genre : elle affirme que c'est l'environnement qui conditionne le fait de se dire être un garçon ou être une fille. Or, de ce conditionnement, ils n'en n'ont aucune preuve, et de plus, ils sont dans le déni de la biologie humaine. Car, personnellement, nous sommes et nous nous sentons « homme », simplement par notre corps biologique, et rien d'autre. Les partisans du Gender, diront qu'il y a une naturalisation du stéréotype (cela est lié à leur déni et leur refus d'accepter les dogmes naturels98).

Le Gender parle également de déconstruction de stéréotypes, alors que nous avons dit plus haut, que les stéréotypes étaient nécessaires pour la maturation de l'enfant, et sa théorisation primordiale du monde. Pour contrer ce supposé conditionnement, la théorie du genre recommande d'appliquer un autre conditionnement, complètement superstitieux, et irréaliste.

( Puis, lorsqu'elle en eut accouché, elle dit : « Seigneur, voilà que j'ai accouché d'une fille » ; or Allah savait mieux ce dont elle avait accouché ! Le garçon n'est pas comme la fille. « Je l'ai nommée Marie, et je la place, ainsi que sa descendance, sous Ta protection contre le Diable, le banni » )99

Pour revenir ce que nous avons vu dans le chapitre précédent, et montrer comment résoudre le conflit en reprenant les concepts de monisme et de dualisme :

J'AI le corps d'un GARÇON / J'AI le corps d'une FILLE
(Dualisme/réalité matériel/on a soit l'un, soit l'autre (les exceptions doivent rester exceptions).

Je SUIS un ÊTRE HUMAIN
(Monisme Transcendant/réalité psychique supérieur, qui s'applique aux deux réalités matérielles inférieures).100

L'école est là pour instruire, et non formater nos enfants. Si les parents souhaitent que leur enfant se sente garçon, ou fille, l'école n'a pas à intercéder ou se prononcer sur les choix des parents. Idem concernant la religion. L'école républicaine ne devrait être là que pour apporter des outils, de la connaissance et du lexique pour la compréhension de l'environnement par l'enfant, et pour qu'ils puissent plus tard, faire ses propres choix, quitte à aller à contre-courant de ses prédispositions naturelles, de son cadre familial, ou encore des préjugés. L'école devrait s'abstenir d'émettre des jugements de valeur.

« Pour tirer le meilleur parti des parents, nous devons leur laisser l'entière responsabilité de ce qui les regarde vraiment, l'éducation de leurs propres enfants. » — Winnicott

Or, elle fait le contraire lorsqu'elle prétend vouloir enseigner une morale laïque. La contradiction de l'enseignement moral et laïque de l'école républicaine, est la suivante : Vincent Peillon, ancien ministre de l'Éducation Nationale, nous partage dans une de ses interventions lors de la Remise du rapport de la mission de réflexion sur l'enseignement de la morale laïque à l'école, en 2013101, l'idée que la morale est ce qui vient de nous-même, soit de l'intérieur. Nous sommes d'accord avec ce point, néanmoins, Peillon continue en nous rappelant ensuite, qu'il faut un enseignement moral. Ce qu'il oublie de dire, est que cet enseignement moral, s'il vient de l'école, il vient de l'extérieur à l'enfant, d'où la contradiction importante. La morale laïque n'est qu'un conditionnement comme un autre, qui est en réalité, un programme en vue de faire passer des idées politiques en faveur du gouvernement en place. Notamment à l'image de l'Affaire Charlie, dès la rentrée 2015, déjà instrumentalisée à l'intérieur même des manuels scolaires, sous-prétexte de l'enseignement civique, sans qu'il y ait de recul sur ces événements.102

Il n'y a pas besoin d'enseignement moral, simplement parce que la maturation de l'enfant permet naturellement de retrouver cette morale par l'expérience, et des psychologues, tel que Lawrence Kholberg, ont très bien théoriser le développement moral. Si, elle n'est pas naturelle chez certains enfants, c'est simplement par leur conditionnement de vie particulier, qui empêche l'expression de leur saine nature, et dans ce cas-là, on les redirige dans des structures spécialisées pour régler leur problème. Mais, établir un enseignement moral, c'est inconsciemment reconnaître que la majorité naturelle est anormale. C'est le problème des idéologies depuis le XXème siècle, dans le déni du naturel, cherchant à formater les enfants pour que, plus tard, ils aillent dans le sens de leurs attentes. Mais Dieu a fait la nature telle qu'elle finit toujours par reprendre le dessus.

Recherche de sécurité et travail de maturation psychique au travers de l'Imaginaire ?


Dans notre introduction sur le développement de la foi chez l'homme, nous partagions l'idée qu'il y avait un lien entre foi et sécurité. Nous allons démontrer cela, en reprenant tous les comportements de l'enfant que nous avons vu dans cette première partie, ce qui nous conduira à expliquer la nécessité de l'égocentrisme infantile, ainsi que du rôle de l'imaginaire.

Tout d'abord, revoyons les premiers comportements innés chez le nourrisson que sont l'attachement et l'évitement. L'enfant s'attache à ce qui lui apporte de la sécurité, et au contraire, l'évitement sert à s'éloigner de ce qui pourrait mettre en danger sa sécurité psychologique.

Au début, le bébé n'a pas un répertoire comportemental étendu pour interagir avec son environnement. Lorsque l'enfant à faim, ou sent un mal-être, il se met à pleurer, pour alerter son entourage. Encore une fois, ce comportement intervient lorsque l'enfant ressent une insécurité psychique, causé par un besoin. Nous avions dit que l'enfant avait naturellement une forme d'égoïsme nécessaire, qui n'est pas à prendre péjorativement, car la fitra le protège de cet ego. Cet égocentrisme infantile vient de l'absence de sa perception interne et entraîne une confusion entre son moi intérieur et le monde extérieur. Tant que l'enfant ne sera pas capable d'envisager des états mentaux chez autrui, il restera dans cet état d'égocentrisme.

Pour revenir aux pleurs du bébé, ceux-ci vont susciter une réaction de la part des parents. Ces derniers vont chercher à satisfaire ses besoins (et non pas ses désirs). Pour reprendre le concept de « mère suffisamment bonne » de Winnicott, elle représente la figure parentale qui va satisfaire suffisamment les besoins de l'enfant, et nous avons dit également qu'elle devait être capable de mettre des limites, justement, pour que ses besoins ne deviennent pas des désirs. La figure parentale apporte une sécurité en satisfaisant les besoins vitaux de l'enfant, et renforce ainsi l'attachement.

Mettre une limite à l'enfant, permet de briser la superstition : « je pleure = j'obtiens ce que je veux » ou « je pleure = je satisfait mes désirs ». Les parents qui ne mettent pas de limites à leur enfant renforcent cette croyance, et peuvent être à l'origine de ce que l'on appelle les enfants rois. Lorsque le parent se plie aux désirs de son enfant, se produit un inversement normal de l'autorité, et la personnalité de l'enfant devient tyrannique. On le retrouve évidemment de manière plus prégnante chez les familles aisées, car répondre aux désirs de l'enfant, lorsqu'il grandit, devient de plus en plus coûteux. Nous reviendrons sur cette notion d'enfant roi, mais elle nous fait penser à un hadith du Prophète de l'islam sur les signes de la fin des temps :

{ D'après Omar Ibn Al Khattab, il raconta : « Pendant que nous étions un jour assis chez le Prophète Muhammad, apparut soudain parmi nous une certaine personne portant des habits tout blancs, ayant des cheveux très noirs; aucune trace d'un long voyage ne paraissait sur lui et personne parmi nous ne le connaissait. Il s'assit en face du Prophète, appuya ses genoux contre ceux du Prophète et posa les paumes de ses mains sur ses cuisses, [...] Il lui demanda ensuite : « Informe-moi sur la Dernière Heure du monde ». Il [Le Prophète] lui répondit : « Le questionné n'en sait pas plus que le questionneur » Alors il lui demanda : « Informe-moi sur ses signes » Il répondit : « Quand vous verrez la femme esclave donner naissance à sa maîtresse [...] » }103

Nous reviendrons plus en détails sur ses signes, dans le livre sur la théologie (notre septième tome), mais pour donner quelques clés de compréhension à cet extrait de hadith, le fait que le Prophète parle d'une esclave femme qui engendre sa maîtresse, soit sa fille, nous évoque la description parfaite de l'enfant roi, à l'origine de l'esprit tyran, qui abusera de la gentillesse de sa mère pour répondre à ses désirs. Cela fonctionne de manière identique pour les garçons, mais si le féminin est appliqué dans ce hadith, selon certains savants, cela signifierait qu'à la fin des temps, il y aura un taux de naissance de filles significativement plus grand que celui des garçons. Ce passage du hadith peut toutefois recevoir d'autres interprétations, que nous ne traiterons pas ici.

Lorsque l'on a évoqué la fitra dans notre article précédent, nous avions mis en évidence qu'il existait des choses bonnes pour l'homme et d'autres mauvaises, présentes au sein de l'environnement. De nouveau, ils correspondent respectivement aux éléments qui peuvent nous apporter sécurité, quant aux autres, insécurité. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que, ce qui nous apporte de la sécurité, correspond parfaitement avec ce qui nous procure une sensation de bien-être au travers de notre système de récompense biologique (ou système hédonique). Néanmoins, les drogues sont, au contraire, des substances qui donnent l'illusion du bien-être à votre circuit de récompense, dont vous constaterez les effets de manière éphémère, et entraîneront des répercussions négatives immédiates, comme l'addiction104. Car il n'y a rien de plus de désagréable que la dépendance. En revanche, la compréhension d'une science ou l'apprentissage d'un savoir-faire vous procurera un bien-être ou une liberté plus grande, même si vous n'en aurez pas forcément conscience. On ne se rend pas toujours compte des biens que l'on possède. Ce n'est que lorsqu'on nous les retire, que nous nous apercevons de leur pouvoir émancipateur.

Pour l'enfant, un conflit est vécu comme un mal-être, il aura donc tout intérêt à le résoudre, pour retrouver son état naturel de sécurité psychique. Dans le verset 30 de la sourate Ar-Rum, lorsque Dieu dit que Sa création ne subira aucun changement, il faut le comprendre aussi dans le sens où la saine nature sera toujours identique, peu importe l'époque. Ce qui procure le bien-être et la sécurité de l'homme ne changeront pas avec le temps. Nous aurons plusieurs occasions de démontrer que toute la sécurité, qui est en réalité la Paix intérieure, se trouve auprès de Dieu. Mais, cette invariance dans la création est aussi une des raisons pour laquelle, les prescriptions du Coran sont valables du VIIème siècle jusqu'à la fin des temps dans l'apport de quiétude à l'être humain. Par exemple, la recherche de la science fait partie de la foi musulmane, car justement, elle permet de résoudre nos doutes et nos conflits intérieurs, afin d'éviter les mal-êtres de nos contradictions.

Revenons sur cette notion d'enfant roi, pour expliquer d'où vient cette potentialité psychique, même s'il est facile de comprendre que l'égocentrisme infantile a une part de responsabilité importante. On retrouve ce concept parfaitement décrit au travers d'un conte célèbre de Maurice Sendak, Where the Wild Things Are (Max et les Maximonstres). Nous allons procéder à une petite analyse succincte de cette courte histoire, qui n'est pas un simple récit d'une libre innovation. Le scénario met en scène le travail imaginaire d'un petit garçon, en l'occurrence Max, dont il faut comprendre, en réalité, que la trame scénaristique retrace la démarche d'une résolution de conflit psychique intérieur.

« Un soir, Max enfila son costume de loup. Il fit une bêtise, et puis une autre…. Et puis une autre …. “ Monstre ” lui dit sa mère. “ Je vais te manger ” répondit Max, et il se retrouva au lit sans rien avoir mangé du tout. »

Lorsqu'un enfant commence à faire des bêtises, il le fait en vue d'attirer l'attention sur lui. Max a un besoin qu'il n'arrive pas à exprimer, à communiquer. Alors il dépense l'énergie née de son mal-être en modifiant (ou plutôt en détruisant) l'environnement. Il l'utilise comme un moyen d'expression, traduisant son insécurité intérieure, dont il n'a pas conscience. Il faut bien comprendre, que tous les processus psychiques chez l'enfant sont inconscients, ils sont naturels grâce à la fitra. Inconscient, car l'égocentrisme infantile empêche la conscience intérieur. Et on le retrouve chez Max dans sa recherche de porter l'attention sur lui. Mais cet égocentrisme est nécessaire, sans lequel il souffrirait, et ne pourrait ni exprimer ses besoins, ni nous avertir de son mal-être. Son costume de loup symbolise l'extériorisation de son mal-être, perçu comme animale, sauvage, étranger à l'état psychique naturel de Max. En conséquence, sa mère le puni, simplement en le privant de son désir qui était de manger (« Je vais te manger » répondit Max). En le punissant, elle lui met simplement une limite.

« […] Ce soir-là, une forêt poussa dans la chambre de Max. D’abord un arbre, puis deux, puis trois, des lianes qui pendaient du plafond, et au lieu des murs, des arbres à perte de vue. Un océan gronda, il portait un bateau qui attendait Max. Alors Max fit voile ; »

Ce passage décrit l'imaginaire de Max qui commence à prendre naissance dans sa chambre. La limite imposée par sa mère le restreint à agir dans la réalité. Le manque de conscience de son monde interne, en raison de son égocentrisme infantile, fait que « l'introspection » de l'enfant est « déplacée » dans l'imaginaire, soit vers le monde extérieur. L'enfant n'a pas encore conscience de sa singularité. C'est la raison pour laquelle, l'imaginaire prend forme dans la chambre, qui est un espace extérieur au psychisme de l'enfant. Il n'a pas l'impression, comme l'adulte, d'être en train de réfléchir dans sa tête. Les enfants extériorisent leur réflexion, c'est pourquoi vous les entendrez par exemple parler et décrire ce qu'ils font, même lorsqu'ils jouent seuls.

Lorsque l'on a évoqué l'idée de Dieu, nous disions que la frontière entre le monde du vrai et le monde imaginaire chez l'enfant était encore floue, et cela est tout à fait normal. On le voit très bien lorsque les enfants ont peur des superstitions, telles que les fantômes, les sorcières, les monstres cachés dans les placards ou sous le lit, etc. Vous avez beau lui expliquer que tout cela n'existe pas, ces idées peuvent persister, justement parce que l'espace imaginaire est mélangé avec la réalité. C'est aussi pour cette raison, qu'il n'est pas rare que certains enfants, arrivés à un certain âge (entre 4 et 5 ans) peuvent avoir pendant une courte période, un ami imaginaire105. Il n'y a rien de grave dans ces épisodes. L'enfant travail à sa maturation psychique, et il a besoin d'un alter-ego (un ego extérieur à l'enfant) parfois pour envisager des scénarios d'interaction qu'il se créé lui-même. Cela peut arriver aussi lorsque l'enfant se retrouve dans une situation de solitude prolongée.

« […] il navigua nuit et jour, il navigua pendant des semaines, il navigua plus d’un an pour arriver au pays des Maximonstres. Les Maximonstres roulaient des yeux terribles, ils poussaient de terribles cris, ils faisaient grincer leurs terribles crocs et ils dressaient vers Max leurs terribles griffes. »

Lorsque Max part en voyage, il s'agit là d'un voyage intérieur. Il va chercher, de manière inconsciente, grâce à la fitra, ce qu'il a au plus profond de lui. Il y découvre les Maximonstres. Ces monstres sont sauvages et impressionnent Max. Ils sont, en réalité, la projection des désirs frustrés de Max d'avoir été privé de dîner, lui procurant insécurité.

« […] “ Silence ” dit simplement max. Il les fixait, tranquille, droit dans leurs yeux jaunes ; pas un seul de ses cils ne bougeait. “ Vous êtes terrible, vous êtes notre roi ”, “ Nous allons faire une fête épouvantable ” déclara le roi Max. »

Pour échapper à cette insécurité, Max utilise son égocentrisme infantile, et se place en roi souverain. On retrouve la notion d'enfant roi, sauf qu'ici, nous allons pouvoir expliquer pourquoi l'enfant est egocentré à ses débuts. Du fait que l'imaginaire et la réalité soit encore non-distinctes chez l'enfant, son égocentrisme n'est pas encore installé dans son identité psychique, elle est extériorisée grâce à l'imagination. En se faisant roi dans son imaginaire, donc à l'extérieur, cela lui permet de dominer ses Maximonstres, soit ses désirs frustrés, à l'intérieur. Mais, il n'est pas encore maître de ses désirs. Sa couronne de roi n'est pour l'instant qu'un étendard pour dire qu'il est le représentant de ses désirs frustrés (de ses Maximonstres). Max est finalement partisan avec lesquels il décide de « faire une fête épouvantable ».

« […] “ Ça suffit ” dit Max brusquement. “ Vous irez au lit sans souper ”. Max, roi des Maximonstres, resta seul. Une envie lui vint d’être aimé, d’être aimé terriblement. De loin, très loin, du bout du monde, lui venaient des odeurs de choses bonnes à manger. Max renonça à être roi des Maximonstres. “ Ne partez pas, ne nous abandonnez pas. Nous vous aimons terriblement, nous vous mangerons ”. “ Non ” dit seulement Max. »

En disant, « ça suffit » Max repousse ses désirs, et enfin prend le contrôle. « Vous irez au lit sans souper », montre que Max comprend que sa mère ne satisfera pas ses désirs (ses Maximonstres). Il est dans une démarche d'acceptation des limites posées par sa mère, et repousse sa frustration. « Une envie lui vint d’être aimé », ici la fitra reprend le dessus sur ses désirs, sur son ego, par la recherche de sécurité. L'enfant comprend que seule sa mère peut lui apporter l'amour dont il a besoin. Max renonce donc à être roi. Il vient de faire un travail de décentration, en comprenant le point de vue de sa mère, mais surtout en acceptant son autorité sur lui. Lorsque les Maximonstres disent « nous vous mangerons », ce qui était le discours initial de Max, l'enfant s'en démarque désormais, et comprend que ce n'était qu'un désir illusoire de ses Maximonstres, dont il ne souhaite plus être le roi. En réalité, ses désirs représentés par ses monstres lui ont donné une sécurité illusoire, et Max s'en est rendu compte.

« […] Les Maximonstres roulaient des yeux terribles, ils poussaient de terribles cris, ils faisaient grincer leurs terribles crocs et dressaient vers Max leurs terribles griffes. Du bateau qui portait son nom, Max leur fit un petit salut. Il fit voile à nouveau. Il vogua le matin et il vogua le soir, les jours étaient comme des semaines et les semaines comme des mois mais au bout d’un an et un jour il accosta enfin en pleine nuit, dans sa propre chambre, où il trouva son dîner qui l’attendait -tout chaud. » — Maurice Sendak

Les Maximonstres restent terrifiants pour l'enfant, mais désormais, il s'en démarque. Ce n'est plus lui le « Monstre », dont sa mère l'avait qualifié en début d'histoire. De nouveau, le voyage en sens inverse, décrit le retour à la réalité. Mais cette fois-ci, Max n'est plus un monstre, il s'est défait de sa couronne d'enfant roi, ayant abandonné l'expression de ses désirs, intériorisé les limites posées par sa mère, accepté son autorité, il se voit récompensé par un repas qu'il mérite désormais.

Ce conte traduit un travail psychique de l'enfant dans l'idéal. Dans l'idéal, car comme tout ce qui est théorique, est plus compliqué en pratique. Tous les enfants ne résolvent pas aussi facilement leur conflit interne. Ils peuvent s'y reprendre à plusieurs fois, au travers de plusieurs histoires. Il est évident que tous les enfants n'élaborent pas le même scénario, cependant, ce sont les processus sous-jacents de décentration qu'ils reproduisent naturellement. C'est en cela que le conte de Maurice Sendak est intéressant, et son adaptation cinématographique de 2009, l'est également. Cette dernière prend une liberté en y introduisant d'autres processus dans la maturation psychique de l'enfant, comme le mécanisme de remise en question de l'enfant par exemple, qui n'est pas assez explicite et développé dans le conte initial, par rapport au film.

L'imaginaire est le dernier espace de sécurité pour l'enfant. Mais il est aussi, pour lui, la première approche de la métaphysique. Elle lui permet de se représenter ce qui n'est pas tangible, perceptible, tout ce qui n'a pas de réalité matérielle, comme les schémas d'interactions sociales, le raisonnement, la morale, les premiers principes métaphysiques, car l'imagination reste cantonnée aux dimensions d'espace et de temps. Et enfin, elle lui donne un espace infini en vue de pousser le plus loin possible sa conception et sa théorisation du monde (cf. les travaux de Paul L. Harris)106. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, par l'expérience et la science, il réaménagera ses connaissances, en supprimera, ou encore, commencera à discerner le vrai du faux, soit ce qui relève du vrai et de l'imaginaire. Il commencera à définir la frontière entre ces deux mondes de manière plus claire. Une sorte d'aiguisement de l'acuité de l'esprit par la science. Nous verrons dans les prochains articles, même si nous avons déjà en partie répondu, la raison pour laquelle Dieu passe d'une idée appartenant au monde imaginaire à celui du monde réel, puisque, par exemple, pour les athées, cette notion est restée dans le premier.

Avant l'adolescence, l'idée de Dieu ne peut être représentée que dans cet espace imaginaire, confondu entre le monde interne et le monde externe. C'est la raison pour laquelle, la pratique de la religion, n'a pas beaucoup de sens pour un enfant. Il n'a besoin que de l'instruction de la religion. Si l'enfant souhaite prier, il y a peu de chance que cela lui vienne naturellement, mais certainement par le mécanisme d'imitation. Par exemple, l'enfant a vu son père ou sa mère prier, et il souhaitera faire pareil, ce qui ne veut pas dire que ce n'est pas souhaitable.

Tout le travail intérieur de l'enfant, le conduira à la décentration, notamment par la théorie de l'esprit, qui est une étape indispensable à la reconnaissance de Dieu sur lequel nous reviendrons. Justin L. Barett, professeur de psychologie, détenteur d'un doctorat en psychologie expérimentale en cognitif et en développement, expose sa conviction selon laquelle les enfants naissent avec une prédisposition à croire en Dieu107. Il ne faudrait pas extrapoler et penser que les enfants croient en Dieu de la même manière qu'un adulte. Cela est plus subtil. Si l'on parle de potentialité, les prédispositions à croire en Dieu, nous en avons démontré une partie, puisque dans notre second livre, nous avons mis en évidence les arguments logiques de l'existence de Dieu, ainsi que l'absence d'argument contre, et nous avons dit que l'Esprit (Rouh) dans lequel il y avait la logique, était innée chez l'homme. La preuve en est que la majorité des gens ne connaissent pas les règles de la logique, on ne les a jamais instruits sur celles-ci, et pourtant, tout le monde est capable de procéder à des raisonnements justes, même s'il peut arriver qu'ils commettent parfois quelques entorses.

Mais la prédisposition à croire en Dieu la plus importante chez les enfants, qui fait d'eux des muslim est leur entièreté, leur sincérité. L'expression « être entier » s'applique parfaitement aux enfants. Ils sont dans le vrai. Le fait que l'enfant soit encore non fragmenté (ou très peu fragmenté) psychiquement, il n'est pas encore dans la dualité (le dualisme). L'enfant naît dans un monisme psychique, et, du fait que son psychisme soit encore confondu avec sa perception externe, son monisme est donc étendu jusqu'au monde extérieur. Or le monisme dialectique consiste justement à unifier le monde en un seul discours, un seul Tout. Et pour retrouver Dieu, nous avions dit dans notre premier livre qu'il fallait faire preuve de sincérité, et nous rajoutons maintenant, qu'il faut être dans une démarche moniste, d'unification du monde, savoir composer avec toutes les données extérieures contradictoires, et n'en dénier aucune. C'est justement au travers de cette sincérité et cette unité psychique avec le Tout, que les enfants sont naturellement « proches » de Dieu. Personnellement, et cela n'implique que notre point de vue, nous dirions que les enfants sont les protégés de Dieu108. Et pour compléter totalement, la reconnaissance du Dieu monothéiste des religions abrahamiques, et donc du Dieu Unique de l'islam, ne peut se retrouver clairement qu'en ayant également conscience de son moi intérieur, afin d'être dans la dualité (monde interne/monde externe) afin de ne pas se confondre avec Dieu. Mais cette étape n'aura pas lieu avant l'âge de raison.

( (80) Son peuple disputa avec lui ; mais il [Abraham] dit : “ Allez-vous disputer avec moi au sujet d'Allah, alors qu'Il m'a guidé ? Je n'ai pas peur des associés que vous Lui donnez. Je ne crains que ce que veut mon Seigneur. Mon Seigneur embrasse tout dans Sa science. Ne vous rappelez-vous donc pas ? (81) Et comment aurais-je peur des associés que vous Lui donnez, alors que vous n'avez pas eu peur d'associer à Allah des choses pour lesquelles Il ne vous a fait descendre aucune preuve ? Lequel donc des deux partis a le plus droit à la sécurité ? (Dites-le) si vous savez. (82) Ceux qui ont cru et n'ont point troublé la pureté de leur foi par quelqu'iniquité (association), ceux-là ont la sécurité ; et ce sont eux les bien guidés ”. )109

En guise de conclusion, dès la naissance, le nourrisson a déjà toutes les prédispositions pour être dans un monisme total : absence de corruption de l'âme, absence d'association, faible acuité visuelle110, indifférenciation du moi intérieur avec le monde extérieur, absence de langage sectionnant la réalité. Ce n'est qu'en grandissant, avec le processus de décentration, permettant la distinction de ce qui relève du vrai et du faux, et par les mécanismes de catégorisation, par discrimination, qui vont permettre à l'enfant psychiquement d'entrer progressivement dans la dualité du réel. Ces mécanismes de maturation et de développement psychologique que l'on retrouve chez tous les enfants, tirent leur énergie de la fitra, foi originelle en vue d'acquérir une paix, une stabilité et une sécurité psychique, quasi-homéostatique. Quant à la dualité du monde qui se clarifiera avec le temps, avec l'expérience et la science, viendra donner la responsabilité et le mérite des hommes devant leur choix. Ce sera toute la difficulté de l'adolescent au travers de sa découverte du monde adulte.

Partie 2 - L’adolescent Occidentalisé


Dans un développement normal et idéal, sans contrainte, l'homme, même s'il naît sans antécédent religieux, devrait être amené à retrouver Dieu par lui-même. À l'image du récit intitulé Le Philosophe Autodidacte (ou Vivant fils d'un vigilant), du philosophe andalou, Ibn Toufayl (1110 - 1185). Cette histoire romance la vie d'un jeune garçon abandonné à lui-même sur une île, retraçant son cheminement théorique jusqu'à sa découverte de Dieu par sa propre réflexion et sa grande observation de la création, indépendamment de toute doctrine. Ce récit influença fortement le texte de Robinson Crusoé. Mais, d'une certaine manière, cette histoire se retrouve aussi dans le conte de Sendak que l'on a commenté, puisque le petit garçon Max se retrouve finalement seul (ses maximonstres ne sont que des projections), dans un monde imaginaire, qui peut être perçu comme une île, loin du réel.

Néanmoins, dans toutes ces histoires, il y a une étape importante en commun, qui est la recherche d'un alter-ego ou d'un vis-à-vis. L'homme n'est rien sans la dualité, à l'image d'Adam qui n'a aucun sens sans Ève, ce serait l'inexistence de l'humanité. Nous avions vu dans notre second livre que toute la morale liée à la métaphysique, ne pouvait exister sans l'autre111. Un homme seul ne peut pas être aimant, il ne peut pas être juste, ni miséricordieux. Il faut qu'il y ait un autre pour pouvoir exercer cet état d'esprit qui se transformera en comportement. Et pour l'enfant, cela peut passer par un ami imaginaire. Pour l'adolescent ou le jeune adulte, c'est par la conscience de soi, distinct des autres soi. Dans Seul au Monde, une adaptation cinématographique de Robinson Crusoé sortie en 2000, le héros se retrouve seul sur une île déserte après un crash d'avion. Son premier but sera de survivre, et parmi ses besoins, il y a la recherche d'altérité pour garder sa sécurité psychique. Mais étant seul, cela passera par Wilson, un ballon de volley-ball, sur lequel, il dessine un visage, et avec lequel il va interagir112. Idem, lorsque le psychologue Justin Barnett dit que les enfants ont naturellement des prédispositions à croire en Dieu, il précise bien qu'il faut « une poignée d'enfants » sur une île déserte, et selon d'autres de ses déclarations, il en faudrait au minimum deux. Donc, aussi paradoxale que cela est, il faut une entrée dans la dualité, pour continuer à être dans un état de sécurité psychologique, en vue de retrouver Dieu, et c'est la continuité du processus de décentration psychique qui va le permettre.

L'adolescence est cette phase de transition marquant l'entrée dans le monde adulte. Dans l'idéale, c'est la mise en place des mécanismes pour mettre fin à l'immaturité psychique. Il est difficile de dire quand elle commence, et quand elle finit, cela varie de manière inter-individuelle, mais aussi selon les cultures et les époques. On attribue généralement le début de l'adolescence avec la puberté. Elle présente une transformation biologique et visible du corps, en raison d'une poussée hormonale, qui, du côté du garçon ou de la fille, commencera à dessiner les caractères respectifs des traits sexués de chacun. Mais il n'y a pas toujours une synchronicité avec la maturation psychologique. Dans l'idéale, l'adolescence devrait aboutir à la fin de l'égocentrisme infantile, le début d'une autonomie intellectuelle, affective et sociale, pour préparer l'entrée dans le monde adulte.

L'adolescence peut être une phase plus ou moins longue selon les régions du monde, si bien, qu'à une certaine époque, et toujours dans certaines cultures, cette période n'existe et n'existait pas. L'enfant passe directement à l'état de jeune adulte, et, psychologiquement parlant, c'est tout à fait cohérent, puisque l'adulte n'acquerra aucun nouveau processus mental. L'adolescent a tous les outils en sa possession pour devenir mature, tout ce qu'il lui manque, c'est l'expérience, pour pouvoir les développer. Si nous parlerons avant tout d'adolescent occidentalisé, c'est seulement parce qu'il n'y a qu'en occident, que nous avons perdu les rites symbolisant le passage psychologique immédiat de l'enfant à l'adulte113. Cette période de transition, qui devrait normalement s'opérer sur le court terme, a subi un déplacement aujourd'hui, non sans conséquence. Elle commence parfois plus tôt biologiquement, la manifestation hormonale de la puberté, (vers 10-12 ans), et au contraire, au niveau de la maturation psychologique, que ce soit sur les processus cognitifs ou affectifs, social et moral, est très retardé. Ce manque de synchronicité a des répercussions néfastes, et nous montrerons que, dans beaucoup de cas, en occident particulièrement, cette phase n'étant parfois pas achevée, des hommes et des femmes restent dans l'immaturité psychique toute leur vie.

Alors, nous verrons d'où provient ce ralentissement de maturation que l'on retrouve plus fréquemment en Occident. Est-il recommandable, naturel, génétique, ou tout simplement engendré par un environnement aménagé par une vision idéologique du monde, et un conditionnement souhaité par un projet de société ? Pourquoi l'égocentrisme persiste chez certains adolescents, et empêche ainsi le déroulement de décentration ultime visant à se rapprocher de Dieu ? Pourquoi est-il plus difficile dans les pays développés, et en particulier dans les grandes métropoles artificielles, d'accéder à l'idée de Dieu pour les adolescents ? Ces questions ont des réponses, car l'athéisme que nous avons vu se propager au XXème siècle, n'a jamais été la croyance par défaut au travers de l'histoire de l'humanité.

L'adolescence marque aussi l'entrée dans le dualisme, dans la réalité composite et contradictoire, et cela, sur plusieurs niveaux que nous vous présenterons. C'est par l'absence de dualité qu'il était facile de corrompre le cœur d'un enfant, mais concernant l'adolescent, malgré son entrée dans le dualisme, et sa corruption moins évidente en raison de son autonomie intellectuelle relative, il possédera aussi des points vulnérables. Plus l'enseignement donné durant l'enfance semblera contradictoire avec la découverte de la société adulte, plus cette période de l’adolescence sera vécue comme conflictuelle et violente psychiquement parlant.

( Et quand on leur dit : « Suivez ce qu'Allah a fait descendre », ils disent : « Non, mais nous suivrons les coutumes de nos ancêtres. » - Quoi ! et si leurs ancêtres n'avaient rien raisonné et s'ils n'avaient pas été dans la bonne direction ? )114

Recherche identitaire : une somme de conflits entraînée par des dualités nouvelles ?


On entend souvent dire que l'adolescence est une période de crise. On dit parfois aussi que c'est l'âge rebelle contre l'autorité, ou encore l'âge immature. S'il faut relativiser sur ces stéréotypes, il est vrai qu'à l'intérieur de l'adolescent, psychiquement parlant, c'est une période extrêmement conflictuelle. Ces conflits émanent de nouvelles dualités engendrées par les nouvelles expériences sociales et prises de responsabilités, venant mettre fin au monisme harmonieux infantile. Comme dans toutes les étapes de la vie, l'adolescent est à la recherche de sécurité psychique, et cela passe par la résolution ou l'acceptation de ces dualités nouvelles.

« avec l’émergence de l’adolescence, l’ancienne unité et l’harmonie avec la nature sont rompues ; l’enfant est banni de son paradis et doit commencer un long et pénible chemin d’ascension » — G. Stanley Hall115

La toute première des dualités, la plus importante à l'adolescence, est la prise de conscience de son monde intérieur, distinct du monde externe (et du monde imaginaire). Or, il se trouve, qu'en occident, plusieurs psychologues témoignent de la difficulté pour beaucoup de personnes d'accéder à cette vie intérieure. Il faut arriver à comprendre, que l'on a son propre monde, ses propres références, et que les autres ne pensent pas forcément comme nous. Que notre conscience intérieure fait partie de la réalité, et peut agir sur le monde extérieur. Que nous pouvons être actifs, et non plus passifs comme lors de la période de l'enfance. Le fait d'être distinct des autres n'est pas clair pour les enfants, à cause du monisme globalisant dont nous avons parlé précédemment. En raison de l’égocentrisme infantile, le Moi de l'enfant est encore un mélange entre le monde interne, externe et imaginaire. Mais cela est aussi renforcé par le fait que les enfants vont côtoyer les mêmes camarades, généralement du quartier ou de la ville, ayant globalement les mêmes références, jusqu'au collège. L'entrée au collège marque généralement l'arrivée, non seulement de l'adolescence, donc d'une certaine autonomie intellectuelle, mais surtout de nouveaux camarades n'ayant pas les mêmes références. Le changement d'établissement permet la découverte de nouveaux mondes (nous donnons l'exemple du collège, en référence à notre propre expérience, mais cela peut être plus tard ou plus tôt pour certains. Par exemple le monde universitaire, est aussi un des lieux les plus enrichissants, car il permet de découvrir des gens qui n'ont pas toujours vécu dans notre pays d'origine, et possédant une mentalité étrangère.). Plus vous vous exposez à une diversité de points de vue, à des personnes aux vécus de différents horizons, aux références multiples et divergentes, plus cela sera enrichissant pour vous, et vous permettra de résoudre des conflits, justement en envisageant des nouvelles problématiques, et des nouvelles solutions, que vous ne pouviez formuler ni atteindre avec vos amis de toujours.

Individuation : Distinction d'un individu des autres de la même espèce ou du groupe, de la société dont il fait partie; fait d'exister en tant qu'individu. PSYCHANAL. Processus de prise de conscience de l'individualité profonde, décrit par Jung.

Prendre conscience de soi et se distinguer des autres, on appelle cela le processus d'individuation (à ne pas confondre avec l'individualisme). Cette distinction de conscience entraînera une nouvelle dualité, correspondant à une construction identitaire, qui peut prendre la forme d'une crise plus ou moins longue116. « Si je ne suis pas lui, et que lui n'est pas moi, alors qui suis-je ? » : ce sont les débuts de la conscience, du monde interne et de la singularité de chacun. Si Dieu est Unique, alors nous devons tendre à être unique. Être unique ne signifie pas avoir une apparence unique, ni être excentrique, ni individualiste, ni être rebelle, ou encore ne pas faire comme les autres. C'est beaucoup plus profond que cela. C'est trouver sa voie, et sa nature profonde. Ce pourquoi Dieu vous a mis sur terre, ou, pour les athées, chercher ce que vous pouvez apporter à l'humanité, selon vos prédispositions, et que tout le monde n'a pas, pour le bien commun de la planète. Évidemment, sans reconnaissance de Dieu, vous n'arriverez pas à cette dernière étape. On verra que selon les étapes de Lawrence Kohlberg, beaucoup se suffisent des réponses dans le cadre des lois de la société dans laquelle ils vivent, et ont une difficulté à accéder à certains paliers supérieurs de maturité.

Dans cette quête d'identité, il y a également la place de la sexualité. Par la puberté, nous devenons hommes ou femmes, et c'est le corps qui nous le dicte par sa transformation, sans que nous en ayons le contrôle. À l'image d'Adam et Ève, qui, après avoir péché, se rendent compte de leur nudité, c'est une nouvelle connaissance de notre corps qui s'impose à notre Nafs. C'est aussi à cette étape, que pour les petits garçons ou petites filles qui ont été conditionné à croire à une identité sexuée contraire à celle du corps, que commencent les soucis. C'est le début d'un mal-être, par le retour à la réalité, la nature reprend le dessus. La nature est bien faite, mais si l'on s'y oppose, alors nous créons des fragments artificiels, à l'origine des conflits et de la disharmonie. Seul l'adulte peut s'y opposer, et il peut le transférer sur ses enfants. En exemple, cette femme souhaitant absolument une petite fille, donnant naissance à un garçon non-désiré, il sera éduqué comme une petite fille. Le petit garçon va croire sa mère, en raison de son monisme, ou le Moi intérieur est indifférencié du Moi de la mère117. Aujourd'hui, ce mal-être peut être partiellement contourné, grâce aux techniques de chirurgie, et autres injections d'hormones, soit le confort occidental, qui n'existait pas il y a un siècle, et que la majorité des gens sur cette planète ne peuvent pas se payer. Mais ce n'est que repousser le problème, et le conflit psychique peut revenir à tout moment, au point que cela finit, malheureusement assez souvent, tragiquement. Si l'on assiste à ce nouveau phénomène de transgenre aussi médiatisé, ce n'est qu'en raison de projet idéologique sociétale, et qui touche les catégories de la population les plus vulnérables à ce projet. Les transgenres deviendront des personnes extrêmement conformistes, car ils seront toujours dans une quête de se faire accepter par les autres.

La quête identitaire est un processus qui commence en réalité à l'enfance. Elle correspond à trois types de questions : (1) D'où est-ce que je viens ? (2) Qui suis-je ? (3) Où vais-je ? :

La première interrogation, est la question originelle. C'est une question qui est déjà posée par l'enfant. Elle est donc moniste, unitaire, car peu importe la réponse que l'enfant va apporter, elle sera généralisée sur les autres enfants. Si l'enfant comprend préalablement qu'il vient du ventre de sa mère, il comprendra très vite que tous les enfants proviennent de ce même endroit. La réponse à cette question peut évoluer au fur et à mesure du temps.

La deuxième question traduit le principe d'individuation. Elle ne peut commencer à être posée que par l'adolescent ou l'adulte. Elle traduit également l'entrée dans la dualité, car la réponse à cette question est personnelle, et ne peut être étendu aux autres. Cela n'exclut pas le fait que des couches de l'identité peuvent être en commun avec d'autres personnes.

La dernière question suppose avoir résolu la deuxième. Elle marque l'engagement social, une fois s'être défini, à moi de trouver ma place dans la société, dans le monde extérieur pour retrouver la fitra, la foi originelle, qui me permettra ma sécurité psychique.

Trouver son identité, ce n'est donc pas seulement pour soi. C'est aussi, trouver le rôle social que l'on va emprunter. C'est être capable de s'inscrire dans un groupe plus large et se faire sa place. Et si l'on parle de crise ou de transition à l'adolescence, c'est parce que celui-ci va devoir se chercher et faire des essais, des choix d'engagement, de conviction, et affiner avec l'expérience. Notre identité, une fois trouvée, il faut arriver à l'extérioriser, et surtout l'imposer à l'extérieur, et c'est certainement cette phase qui est la plus difficile, et en particulier dans le monde moderne, pour des raisons économiques et matérielles évidentes. Pour revenir sur les transgenres, si leur croyance d'avoir une identité sexuelle contraire à celle de leur corps de naissance peut persister, c'est seulement grâce au confort occidental, soit pour des raisons matérielles qui entretiennent l'illusion de leur croyance.

Selon les stades psychosociaux d'Erik Erikson (1963)118, dans Childhood and Society, on voit très bien que l'identité se forge en fonction de l'évolution de l'homme sur le champ social. Ces stades mettent en perspective l'identité forgée au travers de conflits à résoudre, et cela, dès l'enfance, comme nous l'avons vu précédemment. Des stades sous forme de dualités, dans lesquels, il faut chercher l'équilibre. Mais la différence de la dualité adolescente avec celle de l'enfance, provient de la prise de conscience, et du principe d'individuation. Pour l'enfant, le conflit est avec lui-même, seul le Moi (indifférencié de l'autre) pouvait résoudre son conflit (première question). En revanche, pour l'adolescent, le conflit est avec le monde extérieur, il ne peut pas toujours le résoudre seul, et il doit parfois modifier son environnement. Il y a plusieurs façons de résoudre cette dualité d'individuation psychique, car être actif, c'est aussi être capable d'extérioriser son point de vue, mais si l'on impose notre perception alors, nous risquons de détruire la perception des autres. Il y a donc un juste équilibre qu'il faut trouver, dans cette extériorisation de l'identité psychique, entre l'effacement de soi (souvent par manque d'estime de soi), et le totalitarisme tyran (souvent par trop d'estime de soi).

Le monisme de la fitra naturelle disparaît à l'adolescence, car c'est aussi une phase de désenchantement du monde et de la vie. Notamment par la découverte du monde du travail, et de l'absence d'émancipation matérielle réelle pour la plupart des gens sur cette planète. Lorsque Hall parle « d'ascension », dans la citation plus haut, il évoque, en réalité, cette recherche perpétuelle du retour au monisme originel, qui permet la sécurité psychique. Essayer de faire resurgir cette fitra. Et cela ne passe que par la science, peu importe la forme qu'elle prend. Et nous verrons que ce sont les croyants qui résolvent le plus de conflits, et qui sont plus près du monisme total, et en particulier les musulmans, par la notion de monothéisme pur.

Accomplissement personnel (morale, créativité, résolution des problèmes... )
Estime (confiance, respect des autres et par les autres, estime personnelle)
Besoins d'appartenance et affectif (amour, amitié, intimité, famille)
Besoins de sécurité (du corps, de l'emploi, de la santé, de la propriété... )
Besoins physiologiques (manger, boire, dormir, respirer... )
Pyramide des besoins de Maslow

Cette idée d’ascension et d'accomplissement de l'être humain, on la retrouve également dans la pyramide des besoins de Maslow, établit par le psychologue Abraham Maslow. Cette pyramide se lit de bas en haut, car globalement, selon Maslow, nous devons d'abord satisfaire le besoin inférieur pour accéder à celui supérieur (même si ce n'est pas aussi linéaire que cela).

On retrouve finalement au sein de cette pyramide nos trois questions de quête identitaire :

  • Le premier étage des besoins physiologiques nous rappelle que nous sommes dépendants. Ce sont des dogmes, des contraintes physiologiques. Ils nous renvoient à notre réalité matérielle de simple créature, et que contrairement à Dieu, nous avons une origine et des dépendances. Cette étape est présente aussi chez les enfants, mais les besoins ne peuvent être satisfaits que par un tiers.
  • Les trois étages intermédiaires, marquent les besoins nécessaires pour une bonne construction identitaire. Ils retracent la quête identitaire du jeune. 1) le besoin de sécurité matérielle et environnementale, le fait de se sentir protégé, dans un cadre de vie précis, marque la première couche de notre identité (en générale, c'est le lieu de vie, Nation/Région) ; 2) le besoin d'appartenance, de se sentir appartenir à un groupe, et être estimé par ses paires, correspond à la deuxième couche identitaire, (en générale, se sentir appartenir à une catégorie qui transcende la première couche, ce sont généralement les religions) ; 3) et enfin le besoin d'estime de soi, de se sentir utile, d'avoir une identité qui apporte quelque chose au monde. Cette dernière étape intermédiaire suppose donc que nous avons répondu à la question « Qui suis-je ? », et que nous avons trouvé le juste équilibre entre les deux couches précédentes.
  • Le dernier étage, est le besoin de réalisation. Il traduit notre besoin d’extérioriser notre identité psychique, pour qu'elle se manifeste dans la création. Il traduit notre engagement social en harmonie avec notre identité.

Il ne faut pas confondre la sécurité matérielle et la sécurité psychique. Les psychologues oublient souvent de dire que si l'homme a des besoins, c'est parce qu'il ressent une insécurité psychique. La recherche de satisfaction de tous ces besoins dans la pyramide de Maslow, correspond en réalité à la recherche d'une homéostasie psychique, un équilibre de bien-être. Et non pas une recherche de survie, contrairement à ce que pensent les Darwinistes. Et dans l'islam, nous avions dit que seul Dieu permettait d'apporter entièrement cette sécurité psychique. L'argent vous apporte seulement une sécurité matérielle (deuxième étage de la pyramide de Maslow), mais il ne résoudra aucun de vos conflits intérieurs. Ce n'est pas l'argent qui créer la nourriture ou l’oxygène !

Mais cette insécurité psychique, tout être humain la ressent, même les croyants proches de Dieu. Car la dernière des peurs, que nous soyons croyants ou non, restent la mort. Pour les croyants, il y a toujours cette question : « Ai-je fait suffisamment ? ». Les athées, finalement, sont dans un confort psychologique illusoire, celui de croire fermement qu'il n'y a plus rien après la mort, et que donc, ils n'auront aucun compte à rendre. Mais leur croyance reste moins grave, que celle de penser que l'on est destiné à aller au Paradis, le fameux élitisme auto-proclamé. Si la prédestination est une réalité en islam, personne ne connaît son destin. Aucun croyant d'un islam bien compris peut prétendre au Paradis dans l'au-delà, car tout dépend de la Volonté de Dieu.

Il faut savoir que toute cette quête identitaire ne se termine pas forcément à la fin de l'adolescence, et ces questions, peuvent faire l'objet de nouvelles réponses à l'âge adulte.

Le développement cognitif et moral ?


Lorsque nous parlons de conflit psychique, cela ne suppose pas forcément de la violence ou du mal-être. Le conflit est la contradiction qui, une fois résolue, nous permet de progresser. Tous les processus cognitifs fonctionnent de cette façon, c'est ce qui se passe par exemple dans la dissonance cognitive. Dans la dissonance cognitive, on parle plutôt de sentiment d'inconfort. Comme dans une science, si nous ne comprenons pas quelque chose, c'est qu'il y a une contradiction dans notre esprit, ou alors qu'il nous manque une donnée, ce qui crée une dualité psychique, soit un conflit interne qui n'est pas forcément violent. Un conflit violent émane lorsque l'on a intégré un mensonge, et que l'on éprouve des difficultés à le remettre en cause, parce qu'il structure notre identité. Nous rentrons donc en conflit avec la réalité, et cela peut créer de la violence. Pour remettre en question ce mensonge, il faut pouvoir intégrer d'autres connaissances, pour que notre monde psychique ne s'écroule pas. Or, parfois, moins on sait de choses, mieux on se porte, car justement, cela nous évite des contradictions.

Donnons un exemple simple : « je travaille pour une grande banque d'affaires, mais je suis ignorant des conséquences de la politique de la banque, je ne vais sentir aucun mal-être, et de plus, je gagne bien ma vie ». Plus tard… « j'obtiens de nouvelles connaissances, je découvre les conséquences de la politique de cette banque, et je comprends l'injustice et l'immoralité des mécanismes engendrés par mon travail, et je me rends compte avoir participé, et je deviens objectivement complice, et j'en suis conscient ». Dans cette situation, peut naître un mal-être, empreint à la frustration, que beaucoup de gens ont peut-être déjà ressenti une fois dans leur vie, et qui est très destructeurs pour son psychisme interne. Se rendre compte que notre activité professionnelle pratiquée depuis plusieurs années est délétère pour la société. C'est prendre conscience que toute une partie de sa construction psychique établie sur plusieurs années ne repose que sur du faux et de l'illusoire. De ce constat peut naître un sentiment d'insécurité important. C'est ce qui arrive à beaucoup de banquiers qui se suicident ces dernières années. Leur raison n'est pas le désespoir contrairement aux paysans, qui, eux aussi, se suicident en France, mais pour d'autres raisons et difficultés. Nous reparlerons du suicide plus tard, mais on peut remarquer que dans nos sociétés actuelles en occident, ils sont très présents chez les jeunes adolescents, notamment par des tentatives répétées, souvent des signaux d'alarme, pour exprimer leur souffrance intérieure.

( Dis : « Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d'Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Oui, c'est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux ». )119

Moins nous savons de choses, mieux nous nous portons certes, mais plus nous risquons de faire des erreurs et commettre des choses immorales à notre insu. De plus, nous risquons également de ne pas en prendre conscience immédiatement, ce qui nous mettra dans une situation d’inconfort accumulé, une fois l'erreur conscientisée.

Le savant est celui qui n'a pas peur d'aller dans la contradiction, car il sait qu'elle n'est qu'apparente. La Création d'Allah est parfaite et cohérente. Les savants repoussent les contradictions, en comprenant la réalité supérieure au problème, en l'examinant « à vol d'oiseau ». Les incohérences ne sont que dans les esprits des gens.

Faire des erreurs, va être le propre de l'adolescent. Durant cette période de la vie, la fitra n'est plus naturelle, notre monisme est rompu. À l'image d'Adam et Ève s'étant approché de l'arbre illicite, Dieu les fait sortir du Paradis (de l'innocence), et leur rappel leurs responsabilités. Pour les croyants, l’adolescence marque le commencement de la pratique, simplement parce que le corps le permet, mais aussi parce que c'est les débuts vers l'autonomie. Tous nos choix comptent dès l'âge de raison, et, selon l'islam, tous nos actes et nos intentions sont enregistrés dans un livre par les anges, qui nous sera exposé lors du Jugement dans l'au-delà.

( Si Allah avait voulu, Il aurait certes fait de vous une seule communauté. Mais Il laisse s'égarer qui Il veut et guide qui Il veut. Et vous serez certes, interrogés sur ce que vous faisiez. )120
( Et on déposera le livre (de chacun). Alors tu verras les criminels, effrayés à cause de ce qu'il y a dedans, dire : « Malheur à nous, qu'a donc ce livre à n'omettre de mentionner ni pêché véniel ni pêché capital ? » Et ils trouveront devant eux tout ce qu'ils ont œuvré. Et ton Seigneur ne fait du tort à personne. )121

Avant d'aborder la question de la responsabilité, à l'adolescence survient une transformation importante également sur le plan cognitif. Une amélioration qualitative conséquente des capacités intellectuelles. L'adolescent devrait normalement être capable désormais d'opérations hypothético-déductives, de raisonner sur des propositions verbales, et des concepts abstraits. Dans une perspective piagétienne, c'est le début des opérations formelles. L'adolescent commence à théoriser le monde sur de vraies bases (quasi)scientifiques. Il s'intéresse à des questions plus complexes et plus graves, tel que la justice, la morale, l'amour, la mort, etc.

« C’est Piaget qui, jusqu’à maintenant, nous a dressé la radiographie la plus complète et la plus profonde des changements cognitifs qui ont lieu lors de la puberté et de l’adolescence (…). C’est-à-dire, les études de Piaget sur la description des changements cognitifs lors de cette phase de développement, changements qu’il qualifie d’opérations formelles, sont encore sans rival. »122

L'adolescent devrait commencer à être capable de penser par lui-même, grâce justement à ses nouvelles capacités cognitives, très liées à la logique pure. Jean Piaget, psychologue suisse, était également logicien, et le plus intéressant dans ses travaux sur le développement cognitif de l'homme, est tout son exposé de la cognition humaine en relation avec les opérations mathématiques et logiques. Vous ne pouvez pas faire de physique théorique, sans mathématiques, et bien pareil pour le psychisme humain, d'un point de vue cognitif, tant que l'enfant n'a pas intégré certaines formes de la logique, il ne peut pas passer au stade suivant. C'est en cela que nous disions qu'il y a une réalité mathématique dans la résolution de conflit psychique.

C'est aussi la raison pour laquelle, les enfants sont obligés d'avoir des stéréotypes par leur immaturité cognitive. Les enfants catégorisent le monde en groupe théorique, qui ne s'effaceront que bien plus tard. Ils discriminent autant les objets que les personnes. Quoi de plus naturel, pour un enfant, que de demander les origines d'un autre enfant qui n'a pas la même couleur de peau que lui. Rien que le fait de poser cette question est une discrimination, mais si l'enfant n'est pas habitué à côtoyer d'autres enfants de couleurs de peau différentes, il est normal, que dans son esprit, cela le perturbe dans sa conception moniste du monde, où les réponses à ses questions devraient s'appliquer pour tous les enfants. Pareil, lorsque les enfants dessinent une famille, généralement le papa a un pantalon, et la maman une robe. Les partisans de la théorie du genre souhaiterait détruire ces stéréotypes, alors qu'ils sont totalement sains, et structurant pour le devenir psychique de l'enfant. Cela lui permet par exemple de comprendre la complémentarité humaine, par une première approche de la dualité. À l'adolescence seulement, par un développement cognitif plus avancé, et une plus grande expérience, les jeunes vont remettre en cause leur catégories pré-établis, et sauront très bien que tous les hommes ne portent pas forcément un pantalon, et que toutes les femmes ne portent pas forcément des robes. Ils devraient normalement aussi comprendre, que la couleur de peau d'une personne ne devrait plus constituer une catégorie distincte, et que cela ne confère pas de spécificités particulières.

Discriminer : Différencier, en vue d'un traitement séparé, (un élément des autres ou plusieurs éléments les uns des autres) en (le ou les) identifiant comme distinct(s).

Le jeune adolescent commence à se déconditionner. Il désinhibe certaines stratégies cognitives plus importantes qui ne sont plus en accord avec sa réalité. Un des déconditionnements incontournables, concerne celui de l'attachement. L'enfant était attaché à ses parents, pensant qu'ils lui conféreraient une sécurité psychologique. Or, désormais, le jeune adolescent sait, grâce à sa théorisation du monde plus élaboré, que ses parents vont finir par mourir un jour, et, en temps normal, selon la volonté de Dieu, avant lui. En conséquence, il comprend que la sécurité parentale n'est qu'éphémère, illusoire, et finira par disparaître. Il doit donc se déconditionner de l'attachement primaire. De là, va naître la recherche d'autonomie, d'émancipation de la dépendance de ses parents. C'est à cet âge qu'il y a une recherche de liberté, notamment par le côtoiement des paires. Mais c'est aussi l'âge où l'adolescent est le plus influençable. Il a beau commencé à être indépendant intellectuellement, son manque d'expérience finira par le trahir.

Cette recherche d'autonomie par le déconditionnement n'est pas sans lien avec la prise de responsabilité à l'adolescence. S'ils sont responsables devant Dieu, c'est parce que, contrairement aux enfants, les adolescents ont intégré désormais la notion d'intention. En islam, c'est un concept incontournable. L'intention (Nyia), détermine la valeur de vos actes. Si vous faites une bonne chose (en apparence), mais que vous l'a faites avec une mauvaise intention derrière, alors, auprès de Dieu, ce sera compté comme une mauvaise action. Et c'est là que tout devient compliqué, car nous ne pouvons pas juger les cœurs des gens, les intentions sont invisibles. Les jeunes embrigadés dans Daech peuvent, par exemple, avoir une bonne intention, ils pensent bien faire, ils pensent avoir restauré le Califat, mais ils n'ont pas assez de science pour comprendre qu'ils sont dans l'erreur. Et inversement, celui qui se lève et dénonce l'injustice ne le fait peut-être que pour le prestige, pour être aimé des autres. Il y a aussi le cas de celui qui n'a pas les moyens d'agir, ou qui ne semble par réagir face à l'injustice, il se peut que dans son cœur, il y a l'intention d'agir contre cette injustice, mais que quelque chose de plus grand dans sa vie l'en empêche. Pour Dieu, s'il y a cette intention, ce sera compté comme une bonne action.

{ Il a été rapporté d'après Abou Hourayra, que le Messager d'Allah (P  ) a dit : « Les gens seront ressuscités (et jugés) en fonction de leurs intentions. » }123
Intention : Disposition d'esprit, mouvement intérieur par lequel une personne se propose, plus ou moins consciemment et plus ou moins fermement, d'atteindre ou d'essayer d'atteindre un but déterminé, indépendamment de sa réalisation, qui peut être incertaine, ou des conditions qui peuvent ne pas être précisées.

La notion d'intention est également déterminante pour l'accès à la morale. Si nous ne faisons les choses qu'en fonction de notre intérêt propre, nous ne pouvons pas nous définir comme moral. La notion d'intention, suppose le principe d'individuation, mais aussi que nous pouvons agir, aussi bien intérieurement, qu’extérieurement. En comprenant cela, l'adolescent intègre également que les autres aussi ont des intentions, et qu'un même acte peut avoir une interprétation différente selon le contexte et l'intention cachée de la personne.

C'est ce que nous disent les travaux de Lawrence Kholberg, psychologue américain, qui a théorisé l'évolution du développement moral chez l'homme, en différents stades124. Kholberg s'est basé sur la théorie du développement cognitif de Piaget. Ainsi, il a mis en relation, logique et morale, qui ont une influence positive l'une sur l'autre. Plus un être est rationnel, logique, plus il est susceptible de développer sa moralité.

Le processus du développement moral commence pendant l'enfance, mais on ne peut pas dire que l'enfant sache encore ce qu'est véritablement la morale (absence de conscience de soi, absence d'accès à des notions abstraites, absence de théorie de l'esprit). Mais, le développement moral commence chez l'enfant par l'intégration de règles simples. Les deux premiers stades de Kholberg, appartiennent au niveau de la pré-moralité. L'enfant raisonne en terme de récompense et de punition. « Ce qui est bien, c'est ce qui me satisfait, et m'évite la punition ; et ce qui est mal, c'est ce qui me frustre, me déplaît, en l’occurrence, me faire punir ». On retrouve l'égocentrisme infantile naturel, car c'est en réalité une absence de morale, et les personnes qui continueront à raisonner systématiquement de cette manière tout le long de leur vie, seront qualifiés objectivement d'immorales. On parle aussi de stades pré-conventionnels, car l'enfant ne comprend pas encore la notion d'intention. Par exemple, une personne qui casse plusieurs objets accidentellement (sans intention), sera perçu comme étant plus hostile au regard de l'enfant, qu'une personne qui brise un seul objet volontairement (avec intention).

L'accès à la véritable moralité n’apparaît qu'au moment de l'adolescence125. C'est grâce à toutes ces nouvelles dualités créant une multitude de conflits, et donc de problèmes à résoudre, que l'adolescent va méditer sur des notions qui régissent la société, comme le droit, la loi, la justice, la paix, etc. Ils correspondent aux stades 3 et 4 de Kholberg, dans lesquels la notion d'intention est intégrée, et l'adolescent doit commencer à comprendre le maintient d'un certain ordre social, par la loi nécessaire pour maintenir une certaine cohérence sociale, et surtout pour être accepté dans un groupe social. Ces stades sont dans le niveau de moralité conventionnelle, c'est-à-dire, la morale la plus commune développée par l'homme. Il reste une trace d’égocentrisme dans ce stade, c'est-à-dire, « si je défends la loi, c'est parce que je sais qu'elle va me protéger, et si je respecte la loi, c'est pour me faire bien voire dans mon groupe d'appartenance ».

Ce qui contraste avec le dernier niveau, comprenant les stades 5, 6 et 7 de Kholberg, correspondant à l'acceptation des principes moraux, considéré au-dessus du simple cadre juridique. « Même si je n'en tire aucun bénéfice, je suis capable de me mettre à la place de la personne, de prendre en compte la situation d'un autre, et de privilégié ce qui est bénéfique pour le groupe, et non pas seulement pour moi ». Mais c'est également être capable d'appliquer à soi-même l'étique que l'on promeut.« Je comprends que les lois humaines sont tangibles, et peuvent être changées pour le bien-être du groupe ». Le dernier stade correspond à l'intériorisation des principes moraux universels, une orientation cosmique, mystique, partagée par les grandes religions du monde. Principes en apparence beaucoup plus abstraits, mais pas moins concrets, car ils influencent, dirigent et forgent les aspirations des hommes.

Certains stades de Kholberg sont critiquables a bien des niveaux, mais sa méthode d'expérimentation reste néanmoins très intéressante. Kohlberg présentait, à ses sujets expérimentaux, des dilemmes de plus en plus complexes, mais très réalistes, faisant écho à la vie quotidienne. Il leur demandait de justifier le choix qu'il ferait face à ce dilemme. C'est ainsi qu'a été étudié le jugement moral. Ce qui a permis aussi de mettre en évidence le décalage entre le jugement (la parole) et l'acte. On peut être quelqu'un de très moral sur le plan théorique, mais lorsqu'il est question d'agir sur le plan pratique, on n'a pas forcément les mêmes résultats et le même courage, car les mots sont faciles, les actes moins. Simplement parce que nous avons tendance à calculer les « coûts » et les « bénéfices » de tous nos actes au préalable, ce qui est une heuristique de jugement particulière à notre époque, lorsque nous vivons dans un monde obéissant à la loi du marché.

Les travaux de Kholberg montrent également qu'il y a donc une morale naturelle, universelle, et surtout, qui ne dépend pas des lois du pays ou de la culture, mais du développement de la logique. Tous les hommes n'y parviennent pas forcément. Pour être dans la morale pure, cosmique, il faut que les connaissances de votre Nafs soient en phase avec votre Rouh.

Le fait qu'il y ait une morale naturelle, logique, mathématique, ne contredit pas le Coran, ni l'islam. Si Dieu a créé le monde, Il a créé les lois physiques qui régissent l'univers, et donc, de même, il y a une réalité mathématique et logique derrière des principes moraux obéissant à Son Ordre, et qui sont bénéfiques pour l'humanité. Finalement, Dieu dans le Coran vous épargne les raisonnements et vous donne les solutions immédiates. Comprendre le raisonnement est un plus pour le croyant, car toute la pratique de l'islam a une raison d'être. La logique dans votre Esprit (Rouh) fait le lien entre la Parole de Dieu (le Verbe, la Vérité) et la réalité mathématique de la Création.

Pour que le concept de Dieu sorte de l'imagination de l'enfant, il faut qu'il soit capable de connecter ce concept du monothéisme pur avec la réalité. Pour ancrer une idée dans la réalité (du vrai), l'adolescent va commencer à tester, à la lumière de la logique et de ses connaissances du monde, les différentes idées qui sont dans son imagination (sa réalité du faux). S'il échoue à connecter Dieu avec la réalité du vrai, alors il deviendra incroyant, et Dieu ne sera, pour lui, qu'une vulgaire créature imaginaire. Ce rejet de Dieu peut venir de trois choses.

La raison la moins grave, est une méconnaissance de Dieu. Par exemple, si nous pensons que dieu est un vieil homme avec une longue barbe blanche vivant au-dessus des nuages, il est normal que nous rejetions cette idée, car elle ne tiendrait pas longtemps face à la logique. C'est la conséquence des films et des images qui se permettent de représenter Dieu.

La raison la plus courante dans le monde moderne, est un manque de connaissances sur la réalité du monde. Par exemple, si l'on dit que Dieu est le Créateur des Cieux et de la Terre, et si nous ne savons pas comment articuler l'idée du monothéisme pur avec la naissance de l'univers, alors nous risquons de rejeter l'idée de Dieu. Certains musulmans, qui sont nés dans une famille musulmane, ont parfois du mal à connecter Dieu avec la réalité, tout simplement par manque de science, et ne suivent que la religion de leurs parents, sans comprendre. Ce qui fait qu'ils adorent parfois, une idée de Dieu, qui a une part dans la réalité, et une part dans leur imaginaire. Et ce qui explique aussi, pourquoi certains musulmans quittent l'islam, dans le cas où ils n'arrivent pas à connecter Dieu avec le savoir qu'ils ont acquis à l'école. Par exemple, comment articuler la création d'Adam et Ève avec la théorie de l'évolution. L'adolescent risque de remettre en cause l'un des deux, et par une première approche de la logique apparente, il sera tenté de rejeter le dogme religieux, pensant que ce ne sont que de simple légende ancienne.

( Quant à celui qui dit à ses père et mère : « Fi de vous deux ! Me promettez-vous qu'on me fera sortir de terre alors que des générations avant moi ont passé ? » Et les deux, implorant le secours d'Allah, [lui dirent] : « Malheur à toi ! Crois. Car la promesse d'Allah est véridique ». Mais il (répond) : « Ce ne sont que des contes d'Anciens ». )126

La raison la plus grave, par orgueil. Lorsqu'on a toutes les connaissances à notre disposition pour comprendre, mais que nous continuons à être dans le déni face à la vérité. Un peu comme Iblis, dans le Coran, qui désavoue l'Ordre de Dieu, lui demandant de se prosterner devant Adam, l'homme, lui aussi, peut se rebeller contre le bon sens.

Pour que cette connexion avec Dieu s'établisse, il faut avoir accès au minimum à la pensée abstraite qui ne survient qu'à l'adolescence, raison pour laquelle, pour les enfants, Dieu ne peut être connu que par la science, mais pas l'expérience. Il est facile de faire croire à un enfant que Jésus est Dieu, car il aura une image à se représenter. L'absence d'image de Dieu dans l'islam est toute la difficulté pour transmettre cette notion à ses enfants. D'ailleurs, on peut dire clairement que l'expérience de Dieu ne se transmet pas, seulement son concept. Mais, si l'on y réfléchit plus longuement, les enfants, dans leur état d’innocence, n'ont pas besoin de Dieu, ils n'ont pas besoin de repentir ou de demander pardon, contrairement à l'adulte pécheur et responsable. C'est aussi la raison pour laquelle il est très injuste de penser qu'un enfant décédé dans une famille polythéiste, ou associatrice, est destiné pour l'enfer. Malheureusement, ce sont des fatwas incohérentes qui existent dans le monde musulman. En quoi l'enfant d'un polythéiste serait plus responsable, et donc, moins innocent, que l'enfant d'un croyant ?

L'athéisme est la conséquence des trois points que nous avons cité. Nous allons pouvoir mettre en évidence quelques facteurs que le monde moderne occidentale présente, et qui facilite cette absence de foi.

Divertissement, infantilisation et culte de l’ego ?


Si dans l'idéale, l'homme doit être capable de retrouver Dieu par lui-même, il existe néanmoins une somme d'obstacles, et particulièrement dans le monde moderne occidentale, où le faux n'a jamais eu autant l'apparence du vrai. Et ce sont les adolescents qui risqueront dans faire le plus les frais. On va évoquer des faits que l'on retrouve dans les sociétés modernes qui n'existaient pas il y a quelques siècles, et participent à l'illusion cognitive de l'absence d'existence de Dieu.

L'adolescence devrait être l'entrée dans la phase de maturité. Or, il y a tout un système qui n'a pas intérêt à faire en sorte que la maturité de l'homme se déclenche. Et pour cela, l'occident moderne est doué pour jouer avec le Nafs des hommes.

Divertissement : (1) Action de divertir, de détourner à son profit. (2) Élément qui détourne des choses sérieuses.

Les jeunes sont beaucoup trop soumis aux différents divertissements, et cela, dès leur plus jeune âge. Leur éveil politique et spirituel est inhibé par toutes les pertes de temps passées devant les jeux du spectacle marchand, et c'est ce qui explique, en partie, pourquoi certains ne réussissent pas leur processus d'individuation. Ce qui est dramatique, car leur dualité avec leur monde imaginaire risque de ne pas s'établir, et c'est ce qui arrive à certains psychotiques. Par exemple, dans les psychoses, il y a la schizophrénie, qui est une maladie qui se déclenche parfois chez les jeunes adultes consommateurs réguliers de cannabis. Ou encore certaines formes d'autisme, qui peuvent se déclencher même à l'âge adulte, enfermant l'individu dans un monisme total sans dualité, où l'imaginaire fait office de sécurité psychique.

Psychose : PATHOL. Affection psychique grave, dont le malade n'a pas conscience, caractérisée par une désintégration de la personnalité accompagnée de troubles de la perception, du jugement et du raisonnement.

Le divertissement est à bien distinguer du loisir. Le divertissement est forcément idéologique, et aujourd'hui mercantile. En revanche, le loisir, même s'il peut avoir la même fonction que le divertissement chez l'homme, comme se détendre après une journée de travail par exemple, ou encore se vider la tête de temps en temps, ce dernier n'a pas la dimension du détournement d'attention, il est sans motivation idéologique, ni mercantiliste.

La télévision, dont nous consacrerons un chapitre entier sur ses effets, est un facteur d'inhibition spirituel important, et nous évoquerons ici son incroyable puissance de propagande et surtout de formatage des esprits (du Nafs en réalité) sur les jeunes. La télévision fait en sorte que les jeunes ne puissent pas penser une réalité cohérente du monde, et nous aurons l'occasion de développer nos propos.

Le principal inhibiteur, que l'on trouve dans les médias, est l'infantilisation. Il faut savoir que tout le système politique français actuel reposent en grande partie sur le fonctionnement des médias officiels, financés par des groupes privés127. Pour la majorité des questions politiques et des lois qui passent en France, le « citoyen » n'a pas son mot à dire. Les médias pensent à sa place et choisissent les candidats à la présidentielle. Toute la politique et le système médiatique visent à vous faire croire que les affaires de la cité seraient trop compliqués pour le citoyen lambda, et que cela serait réservé à des professionnels ou des experts. Experts qui d'ailleurs jouissent d'une autre illusion cognitive aux yeux du public, qui consiste à croire que, parce qu'ils passent sur les plateaux télé, cravatés, avec un langage soigné très robotisé, ils seraient alors forcément des gens sérieux, respectables et compétents. Beaucoup de gens tombent dans ce piège, si bien que certains ne cherchent plus à comprendre le fonctionnement économique et social de leur pays, pensant que cela est trop compliqué, ou se suffisant de l'avis émis par ses pseudo-experts. Si la population savait comment fonctionne réellement l'économie du monde moderne, et le conscientiserait, alors il y aurait certainement un sursaut immédiat.

« Si la population comprenait le système bancaire, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin. » — Henry Ford128

Infantilisation également dans les publicités, dans la culture, dans les jeux télévisés. Il n'y a aucun sérieux sur la scène médiatique, tout n'est que spectacle, y compris les politiciens appartenant aux parties politiques les plus influents, ce qui fait du tort à ceux qui aimeraient apporter du sérieux. La culture promue par les médias vise les jeunes avant tout.

On diffuse uniquement ce qui fait vendre, et la récupération mercantile est énorme, ce qui créer l'idéologie consumériste. Donnons un exemple avec le rap, qui a été utilisé à des fins d'une instrumentalisation des masses, en particulier des banlieues pour faire d'eux des consommateurs. Lorsque vous regardez un clip de rap, 80 % des cas, reflètent le modèle américain, avec une promotion d'une certaine violence (fictive, mais qui reflète l'extériorisation de la violence sociale, plus ou moins réelle selon les rappeurs). On appelle ça le Rap Game. Mais, aimer le rap, cela revient à adopter le mode de vie qui va avec, et consommer les produits de ce mode de vie. Par exemple s'habiller avec les vêtements de son rappeur préféré, vouloir un iPod dernier cris pour écouter cette musique, etc. Michel Clouscard, dans son livre La Bête Sauvage, nous explique la nouveauté dans cette culture spectacle marchande, c'est l'incroyable réciprocité promotionnelle. Réciprocité entre le modèle culturelle et le produit mercantile129. Les vêtements street wear font la promo du rap, et ce dernier fait la promotion des vêtements street wear. On conditionne les adolescents pour les inciter à porter ses vêtements de marque pour se sentir appartenir à ce modèle culturel américain capitaliste et consumériste. Le monde du spectacle marchand donne l'illusion de créer des besoins nouveaux pour l'homme.

On voit aujourd'hui, dans des œuvres culturelles américaines des techniques publicitaires telles que les placements de produits qui fonctionnent de manière identique130. On voit cela aussi dans les événements sportifs, avec les sponsors, les marques de vêtements, qui, comme le rap, celui qui veut « vivre football », veut s'habiller avec l'équipement de ses footballeurs préférés, avec les mêmes accessoires, etc. Tout est fait pour faire naître en vous le désir de posséder, c'est le rôle du marketing que nous avons déjà évoqué, pour faire taire votre foi naturelle, et vous diriger vers l'attache à des objets accessoires, donc, sans valeurs.131

« Le capitalisme veut que nous restions jeunes et que nous soyons comme des enfants ! » — Michel Clouscard132

En principe, l'école, mais pas seulement, la société dans son ensemble, devrait faire en sorte à préparer les jeunes en vue qu'ils acquièrent de la maturité. Or, sur le champ culturel, il y a une énorme confusion entre les concepts d'immaturité et de jeunesse. Un homme sage aura toujours l'esprit plus jeune, plus affûté, que le jeune immature. C'est la maturité qui vous permet de vivre dans votre temps, et d'avoir un certain recul pour ne pas tomber dans les pièges que l'on vous tend. La culture capitaliste souhaiterait que nous restions dans l'immaturité infantile et dans une posture d'irresponsabilité.

Il faut savoir que plus une personne est dans une période conflictuelle, plus elle est influençable et manipulable. L'infantilisation qui est à l'origine des effets de mode a pour cible principale les jeunes et les femmes. Le système médiatique flatte l’égocentrisme, de l'adolescent d'une part, en lui faisant croire qu'il est spécial (pas seulement unique), qu'il n'est pas comme les autres. Sentiment renforcer par tous les films à la culture hollywoodienne de super-héros, type Marvel, etc133. Et l'ego de la femme d'autre part, en lui accordant des programmes qui lui sont réservés, pour insister afin qu'elle se sente plus femme qu'être humaine, alors qu'un programme réservé aux hommes seraient perçu comme machiste134. On la pousse à faire en sorte à ce que son identité de femme prenne le dessus sur toutes les autres composantes de son identité. Or nous avions dit que l'identité ne devez pas se construire uniquement sur des éléments physiques, et que seul le corps était sexué. Ce qui créer des comportements de mode chez les femmes de type occidentale, uniquement diriger vers l'apparence physique, comme faire attention à son poids, faire des régimes, pour « garder la ligne », se faire des couleurs de cheveux, mettre en valeur certaine partie du corps, chercher à ressembler à un modèle, pratiquer la chirurgie plastique, etc. Tout cela en délaissant l'aspect intérieur. Ce qui n'est pas sans lien avec les maladies types anorexies, boulimies, etc, particulièrement présentes chez les femmes. Quant au père de famille, qui lui aussi regarde la télé, l'infantilisation se passe surtout sur le plan politique, et se traduit par une perte d'autorité, et une dévirilisation, un manque total d'investissement sur le champ social, ce qui devrait être son rôle. Cela est renforcé aussi par le sport retransmis, avec toutes ces nouvelles chaînes câblées qui les diffusent 24h/24. L'homme reste dans son canapé devant la télé et a tous les divertissements qu'il souhaite à portée de main. Aujourd'hui, chaque personne de la famille à son programme à lui, et tous ces programmes sont étudiés pour fragmenter la famille.

Tous ces processus aussi bien chez la femme que chez l'homme, ont en vue de les déresponsabiliser, les déculpabiliser de toute leur faute. Pour qu'ils ne ressentent pas le besoin de se repentir ou de se racheter de leurs erreurs. Il existe donc un vrai culte de l'ego dans cette culture hégémonique américaine destinée aux masses, subventionnée et promue par le système gouvernemental. Le message principal est : « Profite de la vie, on en a qu'une seule ». Au final, les jeunes qui vont entendre ce discours sans recul vont croire qu'ils sont des anges évoluant dans un monde sans limites, et dans lequel ils doivent vivre un maximum de sensation, sans se soucier des autres.

Spécial : Qui constitue une exception; qui répond à des circonstances qui sortent de l'ordinaire.

Ce sentiment d'être spécial, de ne pas être comme tout le monde, insufflé par la culture chez l'adolescent, risque de lui faire croire également qu'il ne pourra jamais être compris, et qu'il est le seul à souffrir dans ce monde injuste. Un sentiment d'exclusivité face aux autres qui peut le mener vers plusieurs déviances psychologiques, qui vont dépendre du vécu et des prédispositions de l'individu concerné. Et ce sentiment d'exclusivité va faire de lui quelqu'un d'encore plus manipulable que jamais, car se sentir différents des autres correspond à une énorme fracture psychologique sur le plan humain, et cela pourrait le conduire également aux sentiments de supériorité, que l'on constate chez certains occidentaux par rapport au tiers-monde.

( Ne dites pas au gré de vos caprices : « Ceci est licite, et cela est illicite ! », en attribuant ainsi à Dieu des mensonges. En vérité, ceux qui attribuent des mensonges à Dieu ne connaîtront jamais le bonheur ! )135

Toujours concernant la télévision, c'est par elle que ce sont déversées dans les masses les mauvaises mœurs, qui n'étaient auparavant que marginales. La consommation de drogue et d'alcool, et toute autre conduite à risque ne sont nullement diabolisées, à part quelques campagnes publicitaires de sensibilisation à certains moment dans l'année, pour faire croire que l'on agit politiquement, mais toute la culture produit le discours inverse et en fait la promotion (dans le cinéma, la musique, la littérature, etc..). Et les jeunes vont se conformer à la réalité qu'ils perçoivent à la télévision, pensant être transgressif, alors qu'ils sont dans le conformisme le plus pur. Le plus triste n'est pas la consommation en elle-même, mais l'excès et la déviance, conduisant à l'addiction, qui se déclare de plus en plus jeunes chez les adolescents.136

Quant à la consommation d'alcool, régulière, sans aller dans l'excès, aura des répercussions plus tard sur votre comportement, et en particulier sur la pudeur.

Pudeur : Disposition, propension à se retenir de montrer, d'observer, de faire état de ce qui met en jeu (ou d'agir lorsque cela met en jeu) quelque chose qui touche de près à la personnalité, à la vie intime de quelqu'un, ou à l'essence de quelque chose; attitude de quelqu'un qui manifeste une telle disposition.

La pudeur, entendons-nous bien, ne concerne pas la pudeur physique, qui, elle aussi est attaquée par la mode et la culture, mais nous parlons là de la pudeur morale. Le fait d'avoir une certaine retenue comportementale dans sa relation avec les autres, et de savoir rester à sa place.

Cette perte de pudeur renforce la recherche des plaisirs du monde terrestre, et flatte le côté sombre de votre Nafs. Dans cette culture hégémonique américaine diffusée à travers le monde par la mondialisation (ou l'américanisation), un inversement du comportement normal se produit par le culte de l'ego. Lorsque nous parlons du culte de l'ego, nous entendons par là, le culte de l'individu, et en dernière instance de l'individualisme, du chacun pour soi. Dans un développement psychique idéal, l'égocentrisme infantile doit se dissoudre par le processus de décentration. Or, pour se décentrer, il faut investir la dualité, tendre vers l'humilité, et penser la complexité du monde par la résolution de conflits et de problèmes. Rien dans l'exposition au culte de l'ego ne vous permet de fournir de tels efforts, ce qui a pour conséquence de vous retenir dans votre égocentrisme infantile, et ce qui peut, selon notre article précédent, faire que vous ne développerez absolument aucune morale, et risquerez de rester dans une immaturité psychique.

Ce culte nous pousse également à ce que nous regardions et que nous envions ceux qui sont au-dessus de nous, que ce soit en terme de position sociale, de dispositions naturelles physiques ou d'accumulation de biens. Ce qui a pour conséquence mécanique de dénigrer ou mépriser ceux qui sont en-dessous, perçus comme d'éventuels parasites, ou alors, rivaux dans une sorte de lutte pour la survie, soit de lutte de classe, qui a une forme hiérarchique depuis la prise de pouvoir en 1789 en France, par la « bourgeoisie révolutionnaire de l'égalitarisme abstrait et formel »137.

{ Abu Huraira a rapporté que le Messager d'Alla (P  ) a dit : « Regardez ceux qui sont plus bas que vous et ne regardez pas ce qui sont plus haut. Cela est plus à même de vous éviter de sous-estimer les bienfaits de Dieu à votre égard. » }138

Cet individualisme est quasi-institutionnel en Occident, sur le modèle capitaliste, ce qui fait qu'on a beaucoup de difficulté à y échapper. Normalement, toujours dans une perspective idéale, l'adulte arrivant dans sa totale maturité, devrait se tourner vers le principe de générativité, consistant à s'engager socialement au-delà de son propre intérêt, et en particulier pour les générations futures. Mais aujourd’hui, cela demande beaucoup de connaissance sur le fonctionnement du monde, et suscite beaucoup de ressources cognitives, lorsque la presse ne nous aide pas à comprendre le monde et se contredit à longueur de temps. C'est la raison pour laquelle l'individualisme va être fréquent en occident, qui n'est pas forcément un état esprit choisi par certain, mais simplement parce que les difficultés du monde, nous sont présentés comme impensables, ingérables, et l'individualisme nous apparaît alors comme une solution plus simple, car finalement, cela demande très peu de ressources cognitives.

Et un individu cognitivement peu développé, aura une identité très pauvre. Ce n'est pas parce que leur apparence diffère que leur Moi intérieur ne sera pas similaire. Cela renforce l'uniformisation des hommes et la standardisation de leur esprit. Plus un esprit est développé, plus il est autonome et moins il sera manipulable et influençable. Donc l'individualisme conduit d'une certaine façon à la standardisation des hommes que l'on peut mettre en lien avec la notion « d'illusion de la vie ordinaire » chez l'homme moderne de René Guénon.139

Pour revenir sur cette quête de grandeur, qui se profile avant tout dans ce que l'homme possède de plus matériel, nous le retrouvons symboliquement dans l'expression architecturale des villes sur le modèle américain. Les fameux gratte-ciels reflétant la toute-puissance de la matière sur l'humain et la nature. On peut mettre cela en relation avec le transhumanisme, avec la machine qui remplace l'homme, ou encore l'homme qui s'attache et dépend de la machine, et non plus des mécanismes de la nature comme cela l'a été dans toute l'histoire. La machine (créée par l'homme) s'interpose entre la nature et l'humain, ce qui créé un voile sur la création divine.

{ Abu Huraira a rapporté que le Messager d'Alla (P  ) a dit : […] « Et quand tu verras les va-nu-pieds, indigents et autres gardiens de chèvres se concurrencer dans l'élévation des constructions - ceci est l'un des signes du Jugement. » }140

Un voile que l'on retrouve au travers des grandes métropoles, dans lequel toute la nature est masquée par ces grandes tours et autres buildings. Lorsque vous vous retrouvez dans les centres-villes, ou les centres d'affaires, vous n'avez aucun visuel sur la terre naturelle. Cela a un impact sur le développement cognitif des enfants et des adolescents qui passent la majorité de leur temps dans ces villes, et qui ont très peu de contact avec la nature. L'enfant a l'impression de vivre dans un monde totalement artificiel, construit entièrement par l'homme, un urbanisme acharné contre la nature, alors qu'en vérité, l'être humain n'a conçu aucun « atome » dans ce monde, et il s'est contenté seulement d'utiliser la matière déjà à sa disposition. Ce manque de distinction entre le monde naturel et le monde artificiel peut entraîner des heuristiques de jugement chez l'adolescent, notamment penser que le Monde (la Terre, l'Univers) est injuste. Or, ce qui est injuste ne peut être qu'artificiel, et non jamais naturel141. Et si vous pensez que le monde est injuste, alors il sera difficile pour vous de penser Dieu, et d'accepter Sa définition traditionnelle.

( Dis : « Que pensez-vous de ceux que vous invoquez en dehors d'Allah ? Montrez-moi donc ce qu'ils ont créé de la terre ! Ou ont-ils dans les cieux une participation avec Dieu ? Apportez-moi un Livre antérieur à celui-ci (le Coran) ou même un vestige d'une science, si vous êtes véridiques ». )

Partie 3 - L’Homme irrationnel


On aurait tendance à penser que l'homme raisonne toujours juste, et que ce sont ses associations d'idées fausses uniquement qui le conduisent à des conclusions erronées. Or, l'homme n'est pas une simple machine qui exécuterait des lignes de codes. Il ressent également des émotions. Contrairement à la résolution de problèmes de type cognitif, les émotions ne peuvent pas se traduire mathématiquement. Par exemple, la peur ne reproduit pas de schèmes particuliers, au contraire, elle échappe totalement à la rationalité. Vous ne pouvez pas systématiser, ou prédire dans quelles conditions se manifeste la peur. Cette absence de systématisation des émotions fait qu'une machine ne pourra jamais comprendre les affectes. Elle pourra au maximum donner l'illusion des émotions en retranscrivant les comportements externes qui accompagnent le plus souvent ces dernières, comme les expressions faciales ou verbales.

Schème : PSYCHOLOGIE “ Forme générale ayant non seulement une organisation interne mais une action organisatrice et structurante ”.

L'homme garde tout de même une innéité à penser juste dans les situations simples, et quand les énoncés lui sont présentés clairement. Il est capable d'être logique malgré son absence de connaissances des règles de cette dernière, et cela, simplement parce que la logique et les mathématiques sont inscrits dans l'Ordre de l'univers, et que le raisonnement, permettant de résoudre les conflits, ou les contradictions, sont bénéfiques pour l'homme. Mais encore faut-il que celui-ci ne se construise pas en opposition à la création de Dieu, et qu'au contraire, il s'inscrive dans une harmonie avec celle-ci.

Au cours de notre vie, nous acquérons des stratégies cognitives de plus en plus complexes, qui se traduisent en schèmes d'action que nous reproduisons face à certains problèmes. Mais plus nous grandissons, plus nous nous retrouvons également face à des situations de plus en plus complexes, et nos schèmes peuvent être insuffisants et inadaptés.

Plus l'homme va se retrouver face à des situations complexes, plus ces stratégies cognitives doivent être élaborées. Or, nous sommes tous limités, que ce soit intellectuellement, ou face à certaines situations encore inexpérimentées. Et ne pas savoir comment répondre à certaines situations, simplement par absence de stratégies cognitives ou de schèmes adéquats pour y répondre, l'homme risque alors de se faire submerger par ses émotions, qui vont prendre le dessus sur la rationalité naturelle.

Cette perte de rationalité, si elle est prolongée et fréquente, peut avoir des conséquences sur la foi. Les plus connus étant l’idolâtrie et la superstition, venant substituer les angoisses et les craintes des événements futurs. Une superstition est le fait de rationaliser et de corréler ce qui n'a pourtant aucun lien de cause à effet. Par exemple, « toucher du bois » pour éviter qu'il nous arrive quelque chose de grave dans l'avenir, est une superstition répandue. Il n'y a aucun rapport entre le fait de toucher du bois, et éviter une catastrophe, une maladie ou un accident future.

Les superstitions viennent généralement calmer les angoisses du futur, émanant d'un conflit intérieur, qui lui-même est né de cette incapacité cognitive à résoudre ce conflit.

( Allah a promis à ceux d'entre vous qui ont cru et fait les bonnes œuvres qu'Il leur donnerait la succession sur terre comme Il l'a donnée à ceux qui les ont précédés. Il donnerait force et suprématie à leur religion qu'il a agréée pour eux. Il leur changerait leur ancienne peur en sécurité. Ils M'adorent et ne M'associent rien et celui qui mécroit par la suite, ce sont ceux-là les pervers. )143

Dans l'islam, nous n'avons pas de superstitions, elles sont prohibées, car considérées comme une forme d'association. Seul Dieu peut calmer les angoisses, et les musulmans ont des expressions toutes simples comme « Si Dieu le veut » (Incha'Allah) ou « Toutes les louanges en reviennent à Dieu » (Al-Hamdoulillah). Ces expressions permettent d’alléger les ressources cognitives, sans pertes de rationalité, sur des situations qui, de toute façon, surpassent la réalité humaine. Des problèmes avec des facteurs infinis que l'homme ne peut pas contrôler144. Une fois que l'on comprend que tout ne dépend pas de nous, toute forme d'angoisse disparaît.

Toutes les superstitions proviennent justement d'une forme d'égocentrisme chez l'homme, à vouloir absolument posséder le contrôle total de sa vie, à penser que l'on peut résoudre tout par soi-même, d'être capable de tout gérer, au point d'avoir une incidence sur l'avenir. Lorsque l'homme dit qu'il « touche du bois », il se donne l'illusion de croire qu'il agit de lui-même pour modifier son futur. C'est une forme d'égocentrisme, contrastant avec les expressions musulmanes que nous avons cités, qui, au contraire, marque l'humilité de l'homme, et son acceptation de la réalité complexe qui le dépasse. Il arrivera ce qu'il arrivera, et seul Dieu le sait.

Pareil pour les arguments réfutant l'existence de Dieu, que nous avons exposé dans notre second ouvrage, la plupart sont typiquement égocentristes. Un rejet de Dieu, tout simplement, « parce que le monde n'est pas comme JE voudrais qu'il soit » ou « parce que Dieu n'est pas tel que JE le conçois ». Comme si la réalité devait se plier à l'exigence des hommes.

L’irrationalité ayant donc un impact certain sur la foi de l'homme, elle a été étudiée dans plusieurs branches de la psychologie. Nous verrons trois approches. Tout d'abord, l'approche cognitiviste, avec ce qu'on appelle les heuristiques de jugements. Puis nous nous pencherons sur la démarche psycho-sociale, avec ces mêmes heuristiques qui se manifestent souvent dans certaines conditions d'interactions entre les hommes. Enfin, le modèle psychanalytique, où l'irrationalité est souvent expliquée par des mécanismes de défense, souvent liés aux émotions et aux affects.

Le Modèle Cognitif - Les heuristiques de jugement ?


La psychologie cognitive s'accorde pour dire que l'homme est irrationnel. En faisant ce constat, les psychologues cognitivistes renforcent, malgré eux, l'idée qu'il n'y a bien qu'une seule rationalité, inscrite dans l'univers, et donc une seule Vérité.

L'homme serait très mauvais pour sélectionner les bonnes informations. Il commet ce qu'on appelle des heuristiques (Cf. les travaux de Kahneman et Tversky145), qui sont des raccourcis de raisonnement, permettant d'alléger les ressources cognitives. C'est donc plus économique, mais le problème est que cela ne donne pas forcément la solution la plus efficace, et peut donner lieu à des erreurs d'inférences ou de logique. Par exemple, lorsque vous faites vos courses dans un supermarché, lorsque vous avez fini vos achats, vous vous dirigez généralement vers la caisse qui possède la plus petite file d'attente, car vous raisonnez, en pensant que vous passerez plus rapidement dans cette file. Ceci est une heuristique, car la réalité, c'est que vous faites obstacle de tout un tas d'autres paramètres qui peuvent influencer la rapidité de la file d'attente. Et avec l'expérience, vous savez très bien, que la file de trois personnes n'est pas forcément plus rapide que celle de quatre ou de cinq. En omettant les informations susceptibles d'être pertinents (le nombre d'articles de chaque personne de la file d'attente, la rapidité de la caissière, etc.), vous allégez vos ressources cognitives.

Pour éviter de commettre ces heuristiques, qui nous gêneraient dans l'accès à la vérité, nous avons recours à ce qu'on appelle des algorithmes. Ce sont des stratégies cognitives, purement mathématiques et logiques, qui donnent toujours la bonne solution. À l'image d'une équation, selon sa configuration, la méthode de résolution est toujours la même, et bien appliquée, elle vous donne automatiquement la bonne solution, voir même, toutes les solutions possibles.

Or, appliqué des algorithmes dans la vie de tous les jours, demande énormément de ressources cognitives, et très peu de personnes, voir quasiment personne, ne peut toujours être dans le raisonnement pur. Seules les personnes les plus sages (pas forcément les plus savantes), sont au plus proche de la Vérité, car l'usage de leur capacité cognitive est non seulement optimum, mais elles sont capables de gérer totalement une situation en prenant en compte un maximum de paramètres.

Les syllogismes sont des algorithmes. Bien appliqués, ils donnent toujours la bonne réponse. Et si nous avons pu démontrer que Dieu existe par la démonstration d'un syllogisme, donc d'un algorithme, alors, il est quasiment certain que cela soit la bonne réponse.

Vous comprenez donc que la rationalité, a un impact important sur la foi. Car, nous ne croyons pas seulement ce que nous voyons, mais ce qui nous semble cohérent. Or, comme nous l'avons excessivement répété, et qui constitue tout le sujet de notre ouvrage, si nous avons du mal à relier l'idée de Dieu avec la rationalité, alors nous aurons du mal, de fait, à croire en Dieu.

« Quiconque ne reconnaît que ce qui est perceptible a certes oubliés Dieu, car l'essence de Dieu n'est pas perceptible par les cinq sens. » — Imam Al-Ghazali

La plupart des débats stériles entre croyants et athées, sont des échanges d'arguments à forme heuristiques. Les croyants ont parfois pour habitude de se reposer sur des heuristiques, car elles peuvent effectivement conclure sur une réponse juste, mais elles ne sont pas assez consistantes et rigoureuses pour convaincre l'homme rationnel. Par exemple, dire que l'univers est harmonieux, et qu'il est soutenu par un Ordre, est une bonne heuristique. C'est-à-dire qu'elle fonctionne, mais n'est pas suffisante pour convaincre, car le monde pourrait être ordonné, et sans Dieu. Si une heuristique fonctionne, cela signifie que l'on est proche d'un algorithme, mais qu'il est seulement incomplet. Et en effet, cette heuristique de l'univers ordonné, devient complète par l'argument téléologique sur l'existence de Dieu, apportant une autre information, permettant de créer un syllogisme, et donc un algorithme.146

Lorsque vous résolvez un algorithme, vous n'avez plus besoin d'arguments. Chaque résolution transcende le problème. Si l'on prend l'exemple du syllogisme, si les deux premières prémisses sont véridiques, vous ne pouvez plus vous opposez à la conclusion, car elle transcende les deux arguments avancés. C'est cela, que l'on appelle la Vérité. La Vérité est faite d'algorithme.

( Ou bien ils disent il a inventé un mensonge contre Allah. Or, si Allah voulait, Il scellerait ton cœur. Par Ses Paroles cependant, Allah efface le faux et confirme le vrai. Il connaît parfaitement le contenu des poitrines. )147

Est-ce que le Coran a besoin d'arguments pour se justifier, d'exemples ou de statistiques ? Dire la Vérité est infiniment plus persuasif que le mensonge ou même ne serait-ce qu'un début de vérité. Certaines vérités nécessitent de résoudre plusieurs algorithmes pour les atteindre, ce qui faits qu'elles ne peuvent pas tout le temps être comprises directement par ceux qui n'ont pas résolu les algorithmes initiaux et nécessaires pour les atteindre. Par exemple, pour comprendre que Dieu a créé le monde en six jours, il faut inhiber l'heuristique « 1 jour = 24h », pour résoudre le véritable algorithme, « 1 jour = une période de temps, correspondant à une révolution, qui dépend de l'objet mesuré ».148

On va maintenant exposé trois facteurs de psychologie interne à l'homme qui favorisent les heuristiques, soit l'irrationalité :

  • Le manque d'information. C'est le plus important, sans science, sans connaissance, nous n'avons pas assez de matière pour aller plus loin dans nos raisonnements. Ainsi, nous nous satisfaisons et nous nous reposons très souvent sur des démonstrations incomplètes. Il est, par exemple, très difficile de retrouver Dieu par soi-même, simplement par le raisonnement. Même si des personnages comme Aristote y sont parvenus, nous n'avons aucune preuve qu'il fut le premier a exposé ce raisonnement, car il aurait très bien pu l'apprendre par d'autres. D'ailleurs, toutes les extrapolations historiques, comme « Aristote fut le premier à théoriser la logique », ou encore « le premier homme est apparu en Afrique parce que le plus vieux squelette d'homme que l'on ait trouvé, a été découvert sur ce continent », sont de parfaites heuristiques par manque d'informations, et que l'on retrouve étrangement dans le domaine scientifique.

  • On sait aussi que l'adolescence est également la période où l'on refait le monde, on théorise un monde idéal ou utopique, mais qui doit avoir une certaine cohérence. Or, si celui-ci n'a pas assez de connaissances pour être intellectuellement autonome, s'il n'a pas assez d'outils logiques, alors il risque de se conformer au fatalisme. Or, les livres saints sont des facilitateurs de représentation cohérente du monde, en particulier le Coran, car il met en perspective, non seulement la complexité du monde de façon simple, mais surtout la coexistence possible des dualités opposées, en confrontant des états d'esprit différents. Le Coran renferme des stratégies cognitives très élaborées qui permettent à son lecteur de les expérimenter. S'il existe différentes manières de penser, c'est aussi parce qu'il existe des informations fausses qui circulent dans le monde. On le voit aujourd'hui sur des sujets sensibles comme la Syrie, où la diabolisation du gouvernement d'un seul pays au niveau internationale, peut s'effectuer rapidement, grâce aux organes de propagande médiatique, uniquement pour déstabiliser une région.
    ( Et sur toi (Muhammad) Nous avons fait descendre le Livre avec la vérité, pour confirmer le Livre qui était là avant lui et pour prévaloir sur lui. Juge donc parmi eux d'après ce qu'Allah a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, loin de la vérité qui t'est venue. A chacun de vous Nous avons assigné une législation et un plan à suivre. Si Allah avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu'Il vous donne. Concurrencez donc dans les bonnes œuvres. C'est vers Allah qu'est votre retour à tous ; alors Il vous informera de ce en quoi vous divergiez. )149
  • L'émotion est le deuxième facteur le plus important et le plus conséquent. Nous savons que par l'intermédiaire des médias, il est plus facile de faire véhiculer une idée, et de l'ancrer comme vérité dans l'esprit des gens, lorsque celle-ci est accompagnée d'émotions. L'exemple le plus frappant du début du siècle étant l'attentat du 11 septembre, où l'idée principale véhiculée était que les musulmans, et les Arabes en particulier, étaient les ennemis du monde entier, et tout le monde a commencé, de manière injustifiée, à se méfier des musulmans, comme si avant ces événements, ils n'avaient jamais existé. Pour prouver que cet événement était fortement étayé par des émotions, même si certains pensent que cela n'a pas influencé leur vie, cela se démontre par le fait que la plupart des gens se souviennent parfaitement de ce qu'ils ont fait, le jour où les tours jumelles sont tombées. Avec l'émotion, vous pouvez ancrer une idée toute faite dans la tête d'une personne. Mais le plus grave, est que l'homme cherchant toujours à tendre vers la rationalité, par confort psychique, va devoir tricoter un raisonnement qui lie cette idée nouvelle avec la réalité. C'est la porte ouverte aux biais de raisonnement en tout genre, et c'est comme ça que l'on peut créer des psychoses collectives, car tout est quasiment inconscient. Pour revenir sur la Syrie, on a vu des vidéos de petites filles syriennes en pleur dans un décor de décombres, partagées sur les réseaux sociaux, en vue de diaboliser Bachar el-Assad. Comment une petite fille d'à peine 7 ans peut-elle être une référence géostratégique pour les élites arabo-musulmanes ? Simplement par l'émotion. Pareil pour toutes les vidéos chocs sur la Palestine, et les agressions faites par des colons israéliens, tout cela fait surgir en nous la colère, certes légitimes, mais cela inhibe notre rationalisation des faits, et nous empêche de penser la solution sur le long terme, et d'être stratégiquement efficace. Les émotions ont un but important, qui est celui de nous guider et de nous alerter sur nos états présents. Elles nous indiquent que nous nous éloignons de la rationalité, et cela peut être une bonne chose comme une mauvaise, car l'homme n'est pas destiné à être qu'une simple machine rationnelle sans émotions.
  • Le dernier facteur est le manque de motivation. Les névrosés par exemple, font preuve d'un manque de motivation important, au point que dans certaines pathologies comme la dépression cela peut se traduire dans les cas extrêmes par une absence de raison de continuer à vivre. Si d'un point de vue cognitif, nous ne trouvons aucune satisfaction à réfléchir et trouver des stratégies élaborées pour résoudre nos conflits, alors nous restons sur des heuristiques, et qui peuvent donner les mauvaises réponses. Par exemple, arriver à penser que le monde est injuste, est le résultat d'une heuristique courante à notre époque, et qui, de plus, est fausse. Il est aussi très fréquent que par manque de motivation, l'homme mente pour se sortir d'affaire rapidement. Il est d'ailleurs très surprenant de constater que donner une fausse réponse, créée en quelques secondes, demande parfois moins de ressources cognitives que de donner la vraie réponse. Les heuristiques sont très fréquentes chez les enfants, ce qui fait partie de leur développement normal, mais aussi de leur manque d'information, rejoignant notre premier point. Leurs stratégies cognitives sont parfois encore immatures et peu élaborées pour résoudre des problèmes trop complexes. Qu'un enfant possèdent des stéréotypes ne représentent rien de grave, cela montre qu'il commence à catégoriser son monde. Piaget avait démontré une heuristique souvent commise par les enfants jusqu'à 6-7ans, consistant à confondre la longueur et le nombre. Les enfants pensent généralement que la ligne la plus grande est celle forcément où il y a le plus de jetons. C'est-à-dire que si l'on étale 10 jetons sur une longueur de 30 cm, et 20 jetons sur seulement 15 cm, avant 6 ans, ils vont généralement penser qu'il y a plus de jetons sur la ligne de 30 cm. Cependant, l'expérience a été refaite avec des bonbons, à la place des jetons. À ce moment-là, les enfants ne commettent plus l'heuristique « longueur = nombre » à partir de 2 ans150. Ce qui montre que lorsqu'ils sont motivés, ils se sentent impliqués dans la tâche et font beaucoup plus d'efforts cognitifs.

Les heuristiques peuvent prendre des formes plus ou moins graves, comme les extrapolations, les sophismes ou encore les jugements sur l'apparence. Nous en sommes toujours responsables, même si l'environnement peut jouer le rôle de facilitateur, comme on l'a montré dans l'article précédent.

Un des enseignements du Coran les plus importants concerne justement ces formes de jugement trop hâtif et leurs conséquences. Cela nous est enseigné au travers de l'histoire des prophètes Al-Khidr et Moïse, que l'on trouve au milieu de la sourate Al-Kahf (La Caverne). Le contexte et le début de cette histoire se trouvent dans un hadith151 du Prophète Muhammad (P  ), que nous ne retransmettrons pas ici.

Pour le résumer, on a demandé à Moise s'il existait quelqu'un de plus savant que lui. Or il répondit que non, alors Allah (Dieu) lui reprocha de ne pas L'avoir évoqué dans sa réponse, car la chose que devrait reconnaître tout croyant, c'est que toute science vient d'Allah. Alors, Il révéla à Moise l'existence d'un homme plus savant que lui qui se situerait au confluent de deux mers. Il s'agit du prophète nommé Al-Khidr. Selon un hadith rapporté par al-Boukhari, Al-Khidr signifiant « l'Homme Vert » a été ainsi nommé parce qu'il s’était assis un jour, sur une terre blanche et stérile, qui par la suite devint luxueusement verte grâce à la végétation152.

Allah informe Moïse qu'il trouvera cet homme en prenant un poisson dans un panier, et là où il le perdra, se sera là que sera Al-Khidr. Et l'histoire continue dans le Coran :

( (60) (Rappelle-toi) quand Moïse dit à son valet : « Je n'arrêterai pas avant d'avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années ». (61) Puis, lorsque tous deux eurent atteint le confluent, ils oublièrent leur poisson qui prit alors librement son chemin dans la mer. (62) Puis, lorsque tous deux eurent dépassé [cet endroit,] il dit son valet : « Apporte-nous notre déjeuner : nous avons rencontré de la fatigue dans notre présent voyage ». (63) [Le valet lui] dit : « Quand nous avons pris refuge près du rocher, vois-tu, j'ai oublié le poisson - le Diable seul m'a fait oublier de (te) le rappeler - et il a curieusement pris son chemin dans la mer » (64) [Moïse] dit : « Voilà ce que nous cherchions ». Puis, ils retournèrent sur leurs pas, suivant leurs traces. (65) Ils trouvèrent l'un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous. (66) Moïse lui dit : « Puis-je suivre, à la condition que tu m'apprennes de ce qu'on t'a appris concernant une bonne direction ? ». (67) [L'autre] dit : « Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi. (68) Comment endurerais-tu sur des choses que tu n'embrasses pas par ta connaissance ? ». (69) [Moïse] lui dit : « Si Allah veut, tu me trouvera patient ; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres ». (70) « Si tu me suis, dit [l'autre,] ne m'interroge sur rien tant que je ne t'en aurai pas fait mention ». (71) Alors les deux partirent. Et après qu'ils furent montés sur un bateau, l'homme y fit une brèche. [Moïse] lui dit : « Est-ce pour noyer ses occupants que tu l'as ébréché ? Tu as commis, certes, une chose monstrueuse ! ». (72) [L'autre] répondit : « N'ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ? ». (73) « Ne t'en prend pas à moi, dit [Moïse,] pour un oubli de ma part ; et ne m'impose pas de grande difficulté dans mon affaire”. (74) Puis ils partirent tous deux; et quand ils eurent rencontré un enfant, [l'homme] le tua. Alors [Moïse] lui dit : « As-tu tué un être innocent, qui n'a tué personne ? Tu as commis certes, une chose affreuse ! » (75) [L'autre] lui dit : « Ne t'ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ? » (76) « Si, après cela, je t'interroge sur quoi que ce soit, dit [Moïse,] alors ne m'accompagne plus. Tu seras alors excusé de te séparer de moi ». (77) Ils partirent donc tous deux ; et quand ils furent arrivés à un village habité, ils demandèrent à manger à ses habitants; mais ceux-ci refusèrent de leur donner l'hospitalité. Ensuite, ils y trouvèrent un mur sur le point de s'écrouler. L'homme le redressa. Alors [Moïse] lui dit : « Si tu voulais, tu aurais bien pu réclamer pour cela un salaire ». (78) « Ceci [marque] la séparation entre toi et moi, dit [l'homme,] Je vais t'apprendre l'interprétation de ce que tu n'as pu supporter avec patience. (79) Pour ce qui est du bateau, il appartenait à des pauvres gens qui travaillaient en mer. Je voulais donc le rendre défectueux, car il y avait derrière eux un roi qui saisissait de force tout bateau. (80) Quant au garçon, ses père et mère étaient des croyants ; nous avons craint qu'il ne leur imposât la rébellion et la mécréance. (81) Nous avons donc voulu que leur Seigneur leur accordât en échange un autre plus pur et plus affectueux. (82) Et quant au mur, il appartenait à deux garçons orphelins de la ville, et il y avait dessous un trésor à eux; et leur père était un homme vertueux. Ton Seigneur a donc voulu que tous deux atteignent leur maturité et qu'ils extraient, [eux-mêmes] leur trésor, par une miséricorde de ton Seigneur. Je ne l'ai d'ailleurs pas fait de mon propre chef. Voilà l'interprétation de ce que tu n'as pas pu endurer avec patience ». )153

En oubliant de mentionner Le Créateur des Cieux et de la Terre comme étant Le plus Savant, Moïse est éprouvé par Allah à travers al-Khidr, qui lui démontre son empressement dans ses raisonnements. Moïse échoua à trois reprises à garder son calme et à éviter de juger les situations et les actes du prophète Al-Khidr. Al-Khidr n'est pas seulement plus savant que Moïse, il est aussi plus sage, et cette supériorité va se manifester dans la prédiction du comportement de Moïse (Versets 67-68).

On voit dans cette histoire que Moïse commet heuristiques sur heuristiques à trois reprises, c'est-à-dire qu'il juge les actes d'Al-Khidr avec des stratégies cognitives faibles. Et si ses stratégies cognitives sont si faibles, c'est simplement parce qu'il manque de connaissances, qu'il ne fait pas d'effort pour comprendre et prendre en considération plus que l'apparence des faits, et aussi parce qu'il ne sait pas faire preuve de patience pour analyser la situation, et donne une interprétation dans l'immédiat sous le joug de l'émotion.

Al-Khidr, investi d'une science qu'Allah lui a accordée pour donner une leçon à Moïse, finit par donner la bonne interprétation des faits (Versets 78 à 82). Et on se rend compte ainsi, que ce qui semblait mauvais en apparence, était en fait une bonne chose.

Cette histoire montre également que ce n'est pas parce que nous voyageons, que nous faisons des efforts. Marcher pour aller d'un endroit à un autre, tout le monde peut le faire. Le plus important est l'effort cognitif, intellectuel, d'être capable de tirer des enseignements de ce que nous vivons, soit de tirer des stratégies cognitives nouvelles, permettant ainsi de développer et de complexifier notre intellect.

Ce passage coranique possède aussi de nombreux symboles en lien avec la fin des temps, mais nous les tairons simplement parce qu'ils ne sont pas le sujet de notre article. La sourate Al-Kahf est la sourate par excellence de l'eschatologie musulmane. Elle nous apprend donc que les heuristiques seront courantes dans la fin des temps, et que les gens jugeront avant tous sur l'aspect extérieur des choses, dans un monde où le faux aura l'apparence du vrai et le vrai l'apparence du faux.

Psychologie sociale, ou l'homme et ses croyances naïves ?


La psychologie sociale s'intéresse aux processus cognitifs qui interviennent lors des interactions entre les hommes et les groupes d'hommes. S'il y a bien une discipline qui met en évidence notre irrationalité quotidienne, c'est bien celle-ci.

La formation des normes sociales, des stéréotypes et des préjugés, nos théories implicites naïves sur la psychologie d'autrui, les influences réciproques comportementales, les manipulations des attitudes et des comportements, tout cela, sont autant de mécanismes qui surviennent lors d'interactions humaines dont les chercheurs en psychologie sociale s'attachent à mettre en évidence, à décrire et à donner des explications.

Que nous soyons musulmans, croyants ou non, non-diplômés ou détenteurs d'un doctorat d'une quelconque discipline, nous sommes tous soumis à l'irrationalité. Personne ne peut y échapper. Tous les mécanismes que nous allons citer dans cet article, n'ont aucun rapport avec les pathologies mentales, mais sont des processus psychologiques qui traversent notre quotidien. Nous mettrons de côté les stratégies de manipulation, même si, bien connaître tous les mécanismes irrationnels de l'homme, permet déjà d'en éviter quelques unes.

À chaque instant de notre vie, nous sommes submergés par les informations de notre environnement, y compris lors des interactions sociales. La psychologie sociale nous apprend que les hommes ne raisonnent et n'utilisent pas leurs processus cognitifs (perception, mémorisation, sélection, transformation et organisation d'information, raisonnement, théorisation et construction de représentation de la réalité, élaboration de savoir, communication) de la même façon selon la situation. En d'autres termes, peu importe nos facultés cognitives (perception, mémoire, pensée, langage), leur performance varieront en fonction des conditions de la situation présente, et la simple présence d'une personne à nos côtés peut avoir une influence. Qui n'a jamais été stressé ou perdu sa concentration à l'école pendant un examen écrit lorsque le professeur passait derrière lui. Alors qu'il n'y a pourtant aucune interaction directe (verbale ou autre), juste le fait de savoir qu'une personne surveille nos actes peut perturber nos processus psychologiques. Et la présence d'un individu peut tout aussi bien augmenter les performances cognitives. Les musulmans ne sont-ils pas mieux concentrés lorsqu'ils font la prière en groupe à la mosquée, que seul à la maison ? C'est ce qu'on appelle le phénomène de facilitation sociale. Dans le premier cas, la détérioration des processus cognitifs peut s'expliquer par l'asymétrie d’interaction, c'est-à-dire, qu'il n'y aurait pas le même effet si nous sommes sous le regard d'un « expert » (le professeur), que sous celui d'un paire. L'irrationalité se trouve donc dans le fait que pour une même situation, la simple présence d'autrui peut influencer notre comportement. La facilitation sociale est un des premiers mécanismes démontrés dans l'histoire de la psychologie sociale (cf. les travaux de Triplett, (1898) et Zajonc (1965)154).

Nous avons vu à plusieurs reprises que l'un des premiers mécanismes de construction de notre monde interne est la catégorisation. En catégorisant, on regroupe sous une même étiquette des objets, ou des personnes, ayant un caractère saillant similaire. Catégorisation typique chez les enfants : « Les garçons ont les cheveux courts et portent des pantalons, les filles portent des robes et ont les cheveux longs ». La catégorisation entraîne les stéréotypes. Ils ne sont ni positifs ni négatifs, mais naïfs. Un stéréotype n'est pas forcément négatif contrairement à un préjugé. Les stéréotypes sont des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais souvent aussi des comportements, d'un groupe de personnes (Leyens, Yzerbyt & Schadron, 1996155). Nos premières catégorisations se font sur les objets et les apparences physiques, soit la matière ou le coté le plus extérieur des choses. C'est le degré le plus bas du monde, il est donc normal que nous commencions tous par là.

Avec l'expérience de vie, nos catégories évoluent, se modifient, se complexifient ou tout simplement s'effacent. Il existe des petits garçons avec des cheveux longs, et des petites filles avec les cheveux court, alors nous devons revoir le contenu de nos catégories. La longueur de cheveux n'est plus un critère valide pour discriminer ces deux catégories (garçon/fille). Une catégorie est donc une étiquette, une case dans laquelle se rangent des critères, qui sont, au début, physiques, mais qui peuvent devenir plus abstraits par la suite, comme les traits de personnalités. Si ces stéréotypes peuvent se modifier, c'est bien parce qu'il s'agit de croyances, et donc, d'associations d'idées partiellement fausses. Partiellement, car ils peuvent être parfois véritablement représentatifs d'un groupe de personnes. Car si les stéréotypes existent, c'est bien parce qu'ils peuvent décrire une partie saillante de la réalité. Le danger consisterait à considérer ces croyances fausses dans une perspective essentialiste156. C'est ce qui conduit à la logique raciste, en justifiant un trait de caractère d'un individu pour son appartenance à un groupe. Cela peut également conduire aux préjugés, qui renferment un véritable sentiment négatif à l'égard d'une personne uniquement pour son appartenance à un groupe. Ce n'est pas pareil de dire « il existe des terroristes parmi les musulmans », que de dire, « il est terroriste parce qu'il est musulman ». La première représente une partie de la réalité pour les non-musulmans, la deuxième conduit à l'amalgame, à l'erreur et donc à croire l’irréel.

« Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. » — Albert Eisntein

Il n'existe aucun lien possible entre l'islam honnête, peu importe la forme qu'il peut prendre, et le terrorisme, et pourtant, l'illusion cognitive consistant à croire qu'il puisse exister une connexion entre ces deux concepts persiste à notre époque, et s'impose aux esprits les plus faibles. Bien que les médias aient eu une responsabilité, notamment sur la confusion de la terminologie des termes, on expliquera, plus loin dans cet article, pourquoi la tentation reste grande.

Les esprits les plus faibles, sont ceux qui sont les plus avares en ressources cognitives, ils font donc moins d'efforts pour utiliser des algorithmes, et utilisent plus souvent des heuristiques par rapport à la majorité des gens. Ils sont objectivement plus irrationnels que les autres.

Le racisme est une forme d'irrationalité. Les racistes sont, pour la plupart, tout simplement des avares cognitifs, et il n'y a pas besoin de les haïr pour les contrer, mais seulement les mettre face à leur contradiction. Et il suffit qu'ils fassent un petit effort de réflexion et d'auto-critique pour cesser de l'être. En revanche, nous parlons là du raciste que nous qualifierions d'ignorants, qu'il faudrait distinguer du raciste « sachant », qui lui, peut-être très cultivé, très conscient de son propre racisme, et pourtant ne pas trouver cela dérangeant. Ils sont moins détectables, car ils s’abstiennent de discriminer en public, sachant que cela reste mal vu par la société, mais s'ils devaient se retrouver majoritaires, ou en situation de pouvoir, ils n'hésiteraient pas à se dévoiler. Les idéologues de la génétique pensant que nos comportements sont déterminés par notre ADN, appartiennent à cette catégorie de racistes « sachant ». Tout comme les idéologues de la théorie du genre sont des sexistes « sachant », que l'on pourrait distinguer des sexistes « ignorants ».

Discrimination : Souvent péj. Traitement différencié, inégalitaire, appliqué à des personnes sur la base de critères variables.

Notre irrationalité est en réalité souvent la conséquence d'un traitement superficiel de l'information, dont nous avons vu les causes dans l'article précédent. On va ici exposer trois heuristiques fréquentes que les psychologues ont bien identifié (Kahneman et Tversky, 1973) :

  • L'heuristique de représentativité
    C'est la tendance à prendre en compte les informations sur les probabilités d’événements. Les informations stéréotypiques seront privilégiées. C'est l'heuristique que Moïse a commise pour sa première épreuve dans le passage du Coran de la Sourate Al-Kahf (Coran 18:74/75) que l'on a exposé dans notre article précédent. N'est-ce pas fort évident que le meurtre d'enfant est dans cent pour cent des cas une chose ignominieuse ? C'est en réalité un stéréotype, et le Coran démontre ici toutes nos limites humaines. L'exemple choisi est fort, mais reste une croyance partagée, car l'homme ne connaît pas l'avenir et les conséquences de ses actes. Al-Khidr avait prévenu Moïse de son futur échec, et en effet, il n'a pu s'abstenir de juger la situation. Retirer la vie d'un enfant, dans ce cas exceptionnel, a rendu le monde meilleur, mais cela n'a été possible uniquement parce qu'Allah avait informé Al-Khidr sur l'avenir. Al-Khidr avait un algorithme que le prophète Moïse n'avait pas, et il l'avait pourtant averti. Et cela fut possible également, parce qu'un mal n'engendre pas toujours un mal. Un mal pour un bien peut parfois s'imposer à nous. Dans ce passage du Coran (18:60-82), Moïse représente le point de vue humain oubliant son monde intérieur (on y reviendra), quant à Al-Khidr, il représente une partie de l'Omniscience de Dieu, que l'homme ne peut atteindre sans la Révélation.
  • L'heuristique de disponibilité
    Cette heuristique caractérise la facilité avec laquelle des exemples ou des cas identiques aux situations à prendre en considération, peuvent venir à l'esprit. En règle générale, nous l'utilisons automatiquement dans les moments de précipitation, ce qui peut induire des biais de jugement. Cela favorise en particulier les illusions de corrélation, et c'est ce qui explique en partie la persévérance des stéréotypes négatifs chez les groupes minoritaires d'une population. Il est plus facile de se rappeler les attentats perpétrés par les groupes qui se réclament de l'islam, alors qu'ils sont minoritaires par rapport aux attentats purement politiques (sans compter que la confusion règne entre le religieux et le politique dans certains cas). Ainsi, on aura tendance à penser que la religion favoriserait plus le terrorisme, que ne le ferait la politique, alors que c'est contraire aux chiffres officiels.
  • L'heuristique d’ancrage et d’ajustement
    Elle caractérise l'attitude des hommes à ajuster ou comparer leur point de vue en fonction d'une référence (d'une ancre) qui peut être plus ou moins pertinente. Par exemple, si une personne pense que l'islam créé des terroristes, selon son ancre de référence, son opinion risque d'être confirmée ou infirmée. Si son ancre de référence se constitue des médias, et qu'elle compare son opinion sur celle-ci, l'idée que l'islam créé des terroristes, tendra à se confirmer. En revanche, si elle change sa référence, en passant par le prisme du Coran pour juger du degré de terrorisme de l'islam, alors, son hypothèse sera infirmée, puisqu'on trouve objectivement des éléments dans le livre saint des musulmans qui montrent clairement que le terrorisme est prohibé en islam.157
    L'heuristique d'ancrage correspond également au fameux « si c'était vrai, tout le monde le saurait ». Or, dans cet exemple, le « tout le monde » renvoie en réalité aux gens de l'environnement, de l'entourage, constituant la référence, et non pas « tout le monde » réellement. Dans ce cas, on met une partie de la réalité de côté, soit par ignorance, soit par généralisation des opinions de son vécu.

Des raccourcis de raisonnements, nous en avons tous, et pour tout. En psychologie sociale, ces heuristiques simples sont étudiées dans le cadre de ce que l'on peut appeler la formation d'impression. Elle repose sur nos catégorisations des sujets sociaux, pour simplifier notre compréhension du monde et inférer des théories implicites de personnalités (TIP)158. Les TIP sont les croyances systématiques que nous avons sur les liens supposés entre les traits de personnalité et les caractéristiques perceptibles d'une personne. Par exemple, nous allons avoir tendance à penser que les personnes physiquement agréables, seraient plus intelligentes159. L'intelligence est inférée implicitement dans ce cas précis, et n'a aucune valeur objective. Les êtres humains sont infiniment plus complexes et différents en terme de personnalité. La physiognomonie est une supercherie.

Physiognomonie : Étude du tempérament et du caractère d'une personne à partir de la forme, des traits et des expressions du visage.

Une heuristique assez amusante, concerne le phénomène de l'ignorance plurielle, qui rejoint les TIP.

« Cette ignorance plurielle est beaucoup plus fréquente qu'on ne le pense. On la retrouve dans les classes d'école ou les amphithéâtres d'université. Combien de fois des étudiants n'interprètent-ils pas le silence de leurs condisciples comme le signe que ces derniers n'ont pas de difficultés à comprendre la matière ? Une expérience réalisée par Miller et McFarland (1987) s'inspire directement de cette situation. Les participants étaient chargés de lire un texte incompréhensible et de demander de l'aide s'ils éprouvaient « de très sérieux problèmes de compréhension ». Non seulement aucun des sujets de l'expérience ne prit la peine de se faire expliquer le texte mais ils présumèrent en outre que les autres devaient avoir compris. » — Leyens et Yzerbyt160

Dans cette expérience, à partir du silence (perceptible) des autres, tous les sujets ont inféré l'idée fausse que les autres avaient compris le texte. On appelle ce phénomène l'ignorance plurielle, parce que lorsque nous nous retrouvons dans des situations dont nous ignorons comment il faut agir, nous avons tendance à prendre exemple sur les autres. Sauf, que l'on oublie que les autres risquent de faire la même chose que nous ! Les études sur ce phénomène appartiennent au thème de la formation de norme en société, et montrent comment une situation ambiguë, peut engendrer une uniformité des comportements. C'est amusant, mais en même temps, cela peut servir de manipulation. Imaginez un imam qui vient dans une mosquée, et qui, à l'aide de paroles prophétiques et de versets coraniques sortis de leur contexte, vient prêcher l'ignorance. Il est possible que, par ignorance plurielle, voyant que les autres fidèles ne réagissent pas, on se mette à penser que cet imam à raison. Ce sont des choses qui peuvent arriver dans les petites mosquées, où des groupes de jeunes ignorants, peuvent être endoctrinés de cette manière.

On a déjà évoqué, dans un de nos précédents articles, le biais d’auto-complaisance161 qui est la tendance des individus à expliquer leur propre succès par des causes internes et leur échec avec des causes externes (Miller et Ross, 1975)162. Bien que cela soit déjà en soit une forme d'irrationalité, le pire reste à venir, car nous avons tendance à faire l'inverse lorsqu'il s'agit de juger les comportements d'autrui. Nous surestimons les facteurs internes au détriment des facteurs externes. C'est ce qu'on appelle l'erreur fondamentale d'attribution. Pour donner un exemple, si une personne inconnu vous vole un objet, vous aurez tendance à penser immédiatement qu'elle est une mauvaise personne (cause interne), au lieu d'essayer de comprendre les causes externes de son vécu personnel qui aurait pu la pousser ou la contraindre à faire cela. Se mettre à la place d'une personne demande plus de ressources cognitives que de juger à l'aide de nos théories naïves du monde (ex : voler n'est pas bien, donc les voleurs sont forcément de méchantes personnes). Pour défendre le prophète Moïse, dans le passage coranique de la Sourate Al-Kahf, on remarque qu'il ne juge pas Al-Khidr en tant que personne, mais il juge seulement ses actes (Coran 18:71 « Tu as commis, certes, une chose monstrueuse ! »). Il ne commet donc pas l'erreur fondamentale d'attribution, et prouve qu'il avait une certaine sagesse.

Pour rester dans les biais de raisonnement, un que nous avons vaguement évoqué dans notre article précédent, est le biais de confirmation d'hypothèse, consistant à rechercher prioritairement des informations qui viennent confirmer nos idées et nos attentes (Snyder, 1984). C'est une sorte de cercle vicieux, car, par exemple, les personnes auront tendance à lire les journaux appartenant à leur ligne politique, et ne pas essayer de chercher à comprendre l'altérité ou la divergence. Mieux vaux ne pas avoir une hypothèse fausse dès le départ, car c'est bien comme cela que les gens s'égarent le plus souvent. Des constructions de raisonnement inconsciemment fallacieux pour justifier leurs idéaux. Un peu comme le musulman, qui interprète le Coran à sa façon sans méthode, en ne cherchant que les versets qui l'intéressent, en mettant de côté les autres, pour confirmer et justifier sa vision totalitaire de l'islam. Le meilleur moyen de se préserver de cela, c'est de ne pas avoir d'attente ou d'idées toute faites, ce qui n'est pas toujours forcément sous notre contrôle. Ce besoin de confirmer son propre système de croyances, on peut l'apercevoir chez ceux qui font l’amalgame. En délaissant, certaines informations par exemple, dans le derniers attentats commis à Paris en 2015, les avares cognitifs ne vont prendre en considération qu'une partie des propos des ravisseurs pour confirmer leurs hypothèses. Ainsi, ils s'attacheront plus sur le discours religieux (« Allahu akbar ») des criminels, que sur le discours politique (« Syrie, Daesh, l'ingérence politique française »), car cela mettrait certainement à mal les hypothèses géostratégiques et une certaine idée de ce que l'on se fait de la France. Mais aussi parce que cela demande moins d'efforts de compréhension de penser que ce sont de simples musulmans, plutôt que des terroristes avec des revendications politiques.

Les médias ont un rôle de responsabilité important dans les processus psycho-sociaux et peuvent donc influer sur la cohérence d'une société. Tout comme ils peuvent renforcer les corrélations illusoires, nous l'avions vu avec les couvertures de journaux sur l'islam avec des titres cherchant à faire peur au lecteur, en connectant le terrorisme sémantiquement au religieux. Les actes de terrorisme commis par des musulmans présumés sont souvent discutés et exposés plus longuement dans les médias. Une sur-exposition prolongée, ce qui créer une information ancrée par l'émotion des événements, il sera donc plus facile de s'en rappeler. Ce qui peut activer l'heuristique de disponibilité, ainsi le terrorisme islamique nous parait plus fréquent, donc confirme nos hypothèses, et tout cela peut conduire donc à l'irrationalité de penser que l'islam est une religion qui fabrique des terroristes. Vous voyez dans cet exemple, que les processus cognitifs peuvent se succéder et s’enchevêtrer.

L'imitation sociale est un autre phénomène psychologique pour lequel les médias ont un impact. En raison de ce phénomène, certaines municipalités comme Montréal ont arrêté de communiquer les suicides dans la presse. Par imitation sociale, des chercheurs ont remarqué que pour chaque suicide relayé dans les journaux entre 1947 et 1968, a entraîné une augmentation moyenne de 58 suicides dans les deux mois qui suivent la publication (Phillips (1979,1980)163). Cela s'explique, par la similitude, nous acceptons simplement les heuristiques des autres lorsque nous sommes incapables de les résoudre par nous-mêmes. Comme pour le principe de la preuve sociale (Latané, 1981164), excepté que pour l'imitation, l'individu ne recherche pas le grand nombre, mais simplement l'identification. Et cela peut aller très loin comme cet exemple sur les suicides nous le montre, puisque l'on constatera que si ce sont des jeunes qui se suicident, ce seront également les plus jeunes qui reproduiront ces actes, dans les deux mois qui suivent. C'est ce qui se passe également dans les sectes, ou chez les fans, lorsque le gourou ou la star idolâtrée met fin à ses jours. On observe des vagues de suicides plus importantes dans les mois qui suivent, simplement par phénomène d'imitation, qui renferme le processus d'identification165.

Les politiciens se servent de toutes ces irrationalités, ou plutôt de ces failles chez l'homme pour obtenir le pouvoir, ou tout simplement donner l'illusion que leurs idéaux sont majoritaires. Que reprocher à un discours politique de François Hollande, Nicolas Sarkozy, ou même de Marine Le Pen et de Mélenchon, devant une foule pleine de connivence ? Les politiciens ont compris que le discours avait peu d'importance. La majorité des gens conditionnée par leur milieu ou leur classe sociale souvent affiliée à un parti politique, n'investiront jamais un travail rigoureux d'analyses des arguments de leur parti politique et se conformeront aux idéaux de celui-ci, par de multiples mécanismes que la psychologie sociale à identifier. Le conformisme, l'imitation, l'influence, favorisent les heuristiques, et tout cela contribue à la manipulation et la soumission des masses, en ajoutant la volonté politico-médiatique consciente, à s'efforcer de rendre les sujets politiques incompréhensibles et clivants aux citoyens lambdas. Ce qui fait que la grande majorité des gens ne connaissent pas le contenu d'une loi votée dans leur pays, ne l'auront jamais lu, tout comme ils n'ont jamais lu leur constitution, et auront pourtant un avis sur la question, tout en croyant vivre dans une démocratie. Avis qu'ils penseront détenir d'eux-mêmes, alors qu'ils l'auront certainement entendu dans les grands médias, ne présentant qu'une partie de l'argumentation et ostracisant l'autre partie, en la censurant parfois. Ils utilisent simplement le phénomène d'exposition166, consistant à présenter de manière prolongée un stimulus à un individu, celui-ci aura une préférence pour ce même stimulus, simplement parce que l'être humain aime ce qui lui est familier. En réalité, pas besoin de censure (ou très peu) parfois une exposition parfaitement contrôlée en terme de temps, suffit, comme nous l'indique une étude démontrant que l'élu présidentiel est corrélé positivement et significativement à son temps de parole à la télévision167.

Un autre phénomène télévisuel qui a eu une influence sur l'opinion du public, est le sourire de la présentatrice du journal télévisé. Si Claire Chazal, sur TF1 a interviewé certains politiciens avec le sourire, et celui d'autres membres politiques avec un sourire moins prononcé, et cela, pendant plus d'une dizaine d'années, elle a contribué à influencer les téléspectateurs à avoir une préférence pour les partis politiques « traditionnels » (Mullen 1986168).

Bien que ces partis n'aient pas la même vision politique, les études de psychologie montrent que finalement, dans le système actuel en France, le contenu du discours n'a donc aucun impact, et la quête du pouvoir passe par d'autres moyens moins classiques qu'ils n'y paraissent, comme le marketing. Pourquoi croyez-vous que les médias ont proposé à Marine Le Pen de changer le nom de son parti ? Pourquoi l'ex-UMP s'appelle-t-il aujourd'hui Les Républicains ? Est-ce qu'un parti politique qui a une véritable histoire, peut-être traiter comme un simple produit, avec un nom qui ferait office de marque déposé ?

« Peu d'être sont capables d'exprimer posément une opinion différente des préjugés de leur milieu. La plupart des êtres sont mêmes incapables d'arriver à formuler de telles opinions. » — Albert Einstein

Solomon E. Asch, pionnier de la psychologie, a mis en évidence l'influence du groupe sur l'individu pour qu'il se conforme aux idées majoritaires. Cela s'appelle simplement la pression sociale vers l'uniformité. Cela a été démontré à travers l'effet Asch (Asch 1955, et 1956169), si nous nous retrouvons dans un groupe qui, à l'unanimité, affirme une chose qui va à l'encontre de la raison, ou de l'évidence, nous avons plus d'une chance sur trois de nous conformer. Vous comprenez maintenant le pouvoir que peuvent exercer les médias, et la célèbre citation d'Hitler : « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois il devient une vérité ». Ce conformisme extrême peut s'expliquer de plusieurs façons. Tout d’abord par l'heuristique : « s'il y a unanimité alors c'est que ça doit être la vérité ». Pour d'autres, c'est simplement parce qu'ils ne veulent pas être mal vus, et avaient peur des réactions négatives des autres. C'est ce qu'on appelle la dépendance normative, consistant à chercher l'approbation d'un groupe social, soit préserver une bonne image de soi envers les autres. Il existe des personnes qui résistent aux pressions de groupe et sont décrites comme plus indépendante et plus confiantes, elles ne se soucient pas de leur image aux yeux des individus du groupe, mais cela ne les empêche pas d'avoir une dépendance informationnelle, c'est-à-dire de comparer tout de même leurs opinions avec les autres pour les prendre en considération.

Cette tendance au conformisme, nous l'avions vu également dans l'expérience de Milgram (1974)170. Une conformité prenant plus ici une forme de soumission, face à l'autorité. Ce n'est plus le groupe exerçant une pression dans cette expérience, mais l'identification au rôle social, déclenchant l'heuristique suivante : « Si un expert le dit, c'est qu'il doit avoir raison ». Et nous écrasons nos opinions face à l'autorité. Par exemple, nous sommes plus impressionnés par les gens en uniforme, qui renvoie à leur autorité. Combien de musulmans se taisent ou boivent les paroles des savants auto-proclamés de l'islam, parce qu'ils ont « l'uniforme du savant », même quand elles vont contre le bon sens ?

Mais si le groupe majoritaire exerce toujours les mêmes idées, alors l'opinion d'un groupe ne devrait pas changer. Or, tous les pays du monde ont subi des évolutions, ce qui prouve que l'on peut renverser une idée majoritaire. Ceux qui ont toujours raison avant les autres sont souvent rejetés en première instance, ce qui prouve que le groupe majoritaire peut être dans l'irrationalité. L'influence minoritaire dans un groupe, peut avoir lieu grâce à un leader, mais pas n'importe lequel. Il faut qu'il se soit d'abord plié aux idées du groupe, qui par la suite y introduit des modifications mineures. Mais pour que cela fonctionne, il faut aussi qu'il ait un crédit idiosyncrasique, c'est-à-dire, que la majorité du groupe puisse s'identifier en lui, et que lui ait une sensibilité réciproque pour la majorité des individus constituant le groupe.

« Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton. » — Albert Einstein

Une sorte d'unificateur qui pour exercer son influence devra également rester cohérent et fidèle à ses convictions. C'est cette persistance dans ses convictions, validant les faits réels, qui aura un impact et convertira le groupe. Pour se défendre de l'influence minoritaire, les dictatures, par exemple, utilisent de faux sondages pour maintenir l'illusion de rester majoritaire aux yeux du groupe, et ainsi, par imitation, les personnes ne sachant pas quoi penser, c'est-à-dire les dépendants normatifs et les nouvelles générations inexpérimentées, seront les populations plus à même d'adopter les idées dominantes de ses sondages. Ce qui fait beaucoup de monde.

Tous les mécanismes que nous venons de vous citer sont les plus connus, et pourtant, toujours opérationnels. Ce n'est pas parce que vous les connaissez que vous les éviterez. Il faut savoir que plus vous aurez conscience de votre monde intérieur, plus vous serez attentif à votre environnement, et vous serez capable de prendre conscience de certains de ces processus dans votre vie quotidienne, afin de les inhiber. Et en les inhibant, vous inhiberez également vos croyances et vos opinions erronées.

Pour terminer, nous émettrons une petite critique de la psychologie sociale. En tant qu'ancien étudiant en psychologie, nous avons servi de sujet à de nombreuses expériences de la part des chercheurs de cette discipline. Combien de fois nous sommes nous retrouver "forcer" de juger une situation. Le problème n'étant pas de nous forcer à juger, mais qu'en tant que sujet, nous nous en rendions compte, parce que cela nous demande de faire quelque chose qui n'est pas naturel chez nous. Ainsi, nous risquons de répondre aux attentes de l'hypothèse de l'étude, parfois trop évidente. Pour les futurs chercheurs, il serait intéressant que ce biais disparaisse, que le sujet puisse ne pas prendre conscience qu'il soit en train de juger une situation. Certaines expériences sont brillantes pour non seulement retirer les biais, mais faire en sorte que le sujet n'est plus l'impression d'être dans une expérience. C'est de ses études souvent sorties des sentiers battus qu'il faut s'inspirer.

Le Modèle Psychanalytique - Les mécanismes de « défense » ?


La psychanalyse est une branche controversée de la psychologie. Elle n'a pas le même statut qu'une science empirique, et pourtant, son modèle est enseigné dans les universités françaises et jouit d'une certaine réputation. Nombreux de ses concepts ne sont pas réfutables. Les explications seraient autant valables par des terminologies religieuses, mais dans un monde qui se voulait sécularisé, il a été préférable d'enlever toutes les connotations liées à la mystique. Pourtant, on sait que Sigmund Freud, inventeur de la psychanalyse, s'est bien inspiré des textes de la religion juive, et de sectes alentours171. Par exemple, l'interprétation des rêves que l'occident attribue à la psychanalyse est un art connu des religions abrahamiques, comme en témoigne le Coran à plusieurs reprises dans la Sourate Yusuf. Le rêve représente en soit une partie de l'irrationnel de l'homme, car rien ne semble cohérent dans l'apparence (le contenu manifeste) de celui-ci.

Mais ce qui nous intéresse dans le modèle psychanalytique est toute la théorisation des mécanismes de défense. Les mécanismes de défenses sont des processus psychiques inconscients, c'est-à-dire qui se mettent en place sans que la personne ne s'en rende compte, afin se défendre face à une situation menaçante pour l'équilibre et l'intégrité psychique de celle-ci. Et c'est dans la mise en place de ses mécanismes que peut se manifester des irrationalités importantes, plus ou moins spectaculaires.

Pour faire une mise au point conceptuelle, en psychanalyse, un Objet peut désigner, une personne, une partie d'une personne, l'image d'une personne idéalisée, fantasmée, ou un objet quelconque, en dehors du Moi.

Objet : PSYCHANAL. Ce qui est en dehors du moi et vers quoi tend la pulsion.

Le Moi, selon la seconde topique freudienne, pour faire simple, est la partie consciente du psychisme de l'individu, soumise au principe de réalité, c'est-à-dire cherchant avant tout à faire passer le raisonnable avant l'agréable.

Là encore, une controverse dans l'appellation de mécanisme de « défense », puisqu'il s'agit parfois de procédés psychiques consistant à attaquer, à corrompre, à distordre la réalité, plutôt que de se défendre soi-même. Doit-on se défendre contre la réalité ? La réalité est parfois dogmatique, comme nous l'avons souvent répété, et si nous ne sommes pas en harmonie avec celle-ci, alors, notre monde intérieur risque d'être en conflit avec le monde extérieur, et inversement. Et il sera donc souvent question de processus pouvant conduire à la psychopathologie, et donc à la passion de l'âme, et un éloignement manifeste de la raison.

( Si la vérité était conforme à leurs passions, les cieux et la terre et ceux qui s'y trouvent seraient, certes, corrompus. Au contraire, Nous leur avons donné leur rappel Mais ils s'en détournent. )172

En islam, on parle plutôt de maladie du cœur. Selon la théorie psychanalytique, pour certaines périodes de vie ou encore certaine situation, la présence de certains mécanismes de défense semble normale. Mais dans d'autres cas, s'ils persistent, et manifestent une psychorigidité, ces mécanismes seront inadaptés et peuvent se retrouver être symptômes de pathologies mentales. Par exemple, être dans le déni, lorsque l'on perd un être cher brusquement peut être une réaction considérée comme normale. Dans l'histoire de l'islam, Omar ibn al-Khattâb a mis un certain temps avant d'accepter la mort du Prophète173. Il était dans le déni. Ce n'est que lorsque Abu Bakr As-Siddiq l'annonça aux musulmans, et en récitant le verset 144 dans la sourate Al-Imran, qu'Omar ibn al-Khattâb pu prendre conscience de la mort du Messager de Dieu.

( Muhammad n'est qu'un messager - des messagers avant lui sont passés - S'il mourait, donc, ou s'il était tué, retourneriez-vous sur vos talons ? Quiconque retourne sur ses talons ne nuira en rien à Allah; et Allah récompensera bientôt les reconnaissants. )174

D'où vient cette angoisse face à la réalité ? Pourquoi la réalité serait angoissante pour certains et pas pour d'autres ? En réalité, cette angoisse vient de nos attentes, de nos désirs et de nos fausses croyances sur la réalité. Plus la réalité va contredire nos croyances fondatrices, plus le conflit sera important, et donc, plus l'angoisse, c'est-à-dire l'insécurité psychique sera importante. C'est la raison pour laquelle, plus une idée fausse sera un fondement de votre psychisme, plus le conflit sera fort, et moins il sera facile de le résoudre, donc il sera préférable d'utiliser un mécanisme de défense. Et en comprenant cela, on comprend que c'est la défense de la fausse croyance dont il est question, et non pas de la défense du Moi. Omar ibn al-Khattâb avait en lui la fausse croyance, ou plutôt le désir, que le Prophète ne quitte jamais ce monde. À l'écoute du verset coranique récité par Abu Bakr, Omar ibn al-Khattâb repris ses esprits, et ses désirs se sont effacés.175

Nous ne pourrons pas exposer tous les mécanismes de défense et nous ne pourrons pas rentrer dans les détails. Non seulement les explications psychanalytiques sont très spéculatives, mais les définitions et explications d'un psychanalyste à l'autre varient selon le cadre théorique, si bien qu'il est difficile de faire une liste consensuelle des mécanismes de défense. Nous donnerons parfois notre propre explication d'un mécanisme. On essaiera de donner des exemples concrets les illustrant, et que nous mettrons en parallèle avec des exemples présents dans le Coran.

« Salman al-Farisi a dit : Il y a deux facettes pour chaque être humain, l'aspect intérieur, et l'aspect extérieur. Celui qui corrige ses dispositions intérieurs, Allah corrigera sa vie extérieure en l’embellissant. Ainsi, lorsque les gens le verront, ils l'aimeront. Et celui qui terni son monde intérieur, Allah corrigera sa vie extérieure de sorte qu'elle soit méprisable. »176

Lorsqu'il y a conflit entre une réalité du monde interne et une réalité du monde externe, les mécanismes de défense se déclenchent inconsciemment si ce conflit est trop chargé émotionnellement pour être résolu. Ces mécanismes vont consister à corrompre ou éviter l'une des deux réalités. On distinguera donc ceux qui dénaturent la réalité intérieure de ceux qui altèrent la réalité extérieure. Par exemple, la fuite ou l’inhibition sont des mécanismes de défense simples permettant d'éviter une réalité extérieure qui serait conflictuelle. Par exemple, un islamophobe qui va éviter de discuter avec les musulmans, va fuir toute situation pouvant conduire à la rencontre ou à l'interaction de musulman, pour ne pas que ses arguments faux sur l'islam soit contredit. Ce qui lui permet de garder sa stabilité psychique, et ses fausses croyances.

Or, dans le cas inverse, lorsqu'il s'agit d'une réalité intérieure stressante ou angoissante, nous ne pouvons pas la fuir, puisqu'elle est en nous. Par exemple, si surgit en nous des idées ou des désirs de commettre des comportements inacceptables moralement dans une situation inadaptée, il risque de se produire un conflit (interne/externe), puisque le principe de réalité, va privilégiez ce qui est accepté socialement par rapport à l'agréable. Ce qui se passe alors, c'est la mise en place du mécanisme de refoulement. Cette réalité intérieure désagréable et inavouable va être enfouie en nous pour échapper à notre conscience. Mais elle sera toujours présente, et risque de se manifester soit au travers d'autres mécanismes de défense, soit par des manifestations somatiques.

( Certes, il vous est parvenu des preuves évidentes, de la part de votre Seigneur. Donc, quiconque voit clair, c'est en sa faveur; et quiconque reste aveugle, c'est à son détriment, car je ne suis nullement chargé de votre sauvegarde. )177

Pour la théorie psychanalytique freudienne, les représentations désagréables à l'origine de ce conflit intérieur, seront donc refoulées dans l'Inconscient. Or, d'un point de vue musulman, il n'y a pas d'inconscient, mais on parle plutôt d'aveuglement intérieur. Un refus de voir la réalité intérieure en raison des passions de son âme (Nafs).

Si l'âme est aveuglée, soit c'est en raison d'une immaturité psychique, c'est-à-dire, être confronté à des situations auxquelles notre esprit et notre corps ne sont pas préparés, comme pour les enfants par exemple, et dans ce cas, ils sont innocents ; soit cette âme est aveuglée par ses passions causées par un environnement peu recommandable qui procure à l'âme ces pulsions malsaines, et dans ce cas-là, la personne est coupable si elle se plaît à vivre dans ce milieu déconseillé. Autrement dit, plus la personne commettra de péchés malsains et fréquentera un environnement et des personnes malsaines, plus elle sera aveuglée intérieurement de ses propres péchés, autrement dit, elle sera responsable de ses propres refoulements inconscients. Et plus, elle usera du refoulement, plus cela se reflétera mécaniquement à l'extérieur de cette personne (« Allah corrigera sa vie extérieure de sorte qu'elle soit méprisable »).

Nous aimerions apporter une démarcation avec la théorie freudienne. Freud s'inscrit dans une logique darwinienne, où l'homme aurait une libido, une énergie sexuelle innée qui serait à l'origine de tout mouvement psychique. Autrement dit, pour Freud, tous nos actes et nos pensées sont dictés par nos pulsions libidinales. Nous pensons que Freud a voulu trouver des excuses pour justifier les passions de l'homme, car le discours darwiniste consistant à dire : « l'homme est ainsi fait » ou encore « l'homme est un animal comme les autres », permet de mettre la pulsion mauvaise directement à l'intérieur de l'être humain, et non pas à l'extérieur. Si la pulsion mauvaise était à l'intérieur, alors, l'être humain n'y pourrait rien, et le discours « l'homme est ainsi fait », vient justifier une certaine forme d'élitisme et de violence immorale inévitable.

Les bateaux ne coulent pas a cause de l'eau autour d'eux. Ils coulent à cause de l'eau qui rentre à l'intérieur.

Or, dans la religion musulmane, ce qui meut l'homme, c'est l'Esprit (Rouh) parfaitement sain, à la lumière de l'âme (Nafs) qui, elle, peut être corruptible et entraver l'Esprit. L'âme est soumise au principe de réalité, elle est donc sous influence de l'environnement. Ce sont certaines configurations de l'environnement qui vont apporter l'énergie négative de la pulsion. Par exemple, on sait très bien qu'un homme face à une femme nue manifestera plus de pulsions inavouables et malsaines, que ce même homme face à cette même femme, mais cette fois-ci vêtue. Donc l'origine de la pulsion mauvaise vient de l'extérieur et non pas de l'intérieur. Car si elle venait directement de l'intérieur, que la femme soit vêtue ou non, la pulsion se manifesterait de manière identique chez l'homme. La neurologie a démontré que les courbes du corps d'une femme vues par un homme, activaient chez lui, les parties les plus archaïques de son cerveau, et qu'il risquait alors d'avoir de mauvaises pensées. C'est très utilisé dans le neuro-marketing pour les publicités178. Mais là encore, ces mauvaises pensées sont plus susceptibles de surgir si l'homme a initialement été dans un environnement peu recommandable. À l'image d'Adam et Ève, qui ont vu leur corps se dévoiler (ils ont donc reçu de nouveaux désirs, de nouvelles pulsions), parce qu'ils ont commis préalablement un acte que Dieu leur avait interdit, à savoir, s'approcher de l'arbre interdit.

( (14) Pas du tout, mais ce qu'ils ont accompli couvre leurs cœurs (15) Qu'ils prennent garde ! En vérité ce jour-là un voile les empêchera de voir leur Seigneur, )179

Le refoulement est un des premiers mécanismes mis en évidence par Freud. Or, le destin des idées refoulées, c'est d'émerger de nouveau à la conscience. On appelle ça le retour du refoulé, qui peut se traduire au travers des rêves et des actes manqués (comme les lapsus), mais aussi au travers de maladies psychosomatiques et d'autres mécanismes de défense. Notamment par le déplacement, la projection, la formation réactionnelle et la dénégation.

Dans la dénégation (qui n'est pas le déni), une personne va exprimer une pensée, un désir, ou un sentiment, tout en niant qu'ils lui appartiennent. Cette personne va nier être à l'origine de ses propos, mettant en évidence un conflit intérieur. Ce sont des personnes qui vont utiliser la négation, par exemple : « je ne suis pas raciste », et par cette négation, mettre l'accent sur une vérité intérieur qui leur est insupportable, à savoir que « j'ai des sentiments, des idées ou des désirs racistes inavouables au fond de moi ». Ses pulsions racistes étaient refoulés, et tout refoulement finit par revenir à la conscience. Par ce procédé de dénégation, le conflit intérieur émerge vers l'extérieur, pour que la personne puisse en prendre conscience, et essayer de le résoudre. Ce mécanisme de dénégation peut être accompagné du mécanisme de projection, consistant à accuser l'autre d'être à l'origine de l'idée qu'elle a soi-même émise.

Mécanisme de projection que l'on retrouve dans le Coran, lorsque Satan accuse Allah, d'être à l'origine de son égarement :

( (16) « Puisque Tu m'as mis en erreur, dit [Satan], je m'assoirai pour eux sur Ton droit chemin, (17) puis je les assaillirai de devant, de derrière, de leur droite et de leur gauche. Et, pour la plupart, Tu ne les trouveras pas reconnaissants. » )180

Or, Allah n'est pas responsable de l'égarement de Satan. Le Diable a refusé de se prosterner de lui-même alors qu'Allah lui avait demandé de se prosterner devant Adam.

La projection est un mécanisme de défense très banale aujourd'hui, que l'on retrouve beaucoup dans les analyses médiatiques grands publics. C'est une opération psychique inconsciente qui permet au sujet de localiser à l'extérieur, ce qui se situe en fait à l'intérieur de lui-même. Satan s'est égaré (à l'intérieur), mais accuse Allah (à l'extérieur) d'en être à l'origine. La vérité, c'est qu'Allah est à l'origine du conflit chez Satan, mais pas de son égarement. Il n'y aurait jamais eu conflit si Iblis n'avait pas de fausses croyances sur Adam. Il attribue donc ses désirs négatifs dont il ne peut se protéger à Allah tout en refusant de les reconnaître en lui-même. Dans la projection, l'autre est celui qui suscite ce désir intolérable.

Pour donner un exemple contemporain que nous avons remarqué, dans lequel la projection est assez fréquemment en jeu, concerne les spectacle de l'humoriste français Dieudonné. Si vous ne riez pas à ses spectacles, sous prétexte que ce serait raciste, il y a de grandes chances que vous projetiez sur lui votre propre racisme. Dans ses nombreux sketchs, Dieudonné met en scène des personnages avec des discours racistes et contradictoires, montrant toute la bêtise de la croyance des races humaines. L'individu sain rira parce qu'il se démarque des personnages incohérents et hilarants. Or, certains peuvent parfois s'identifier dans ses personnages, parce qu'ils se reconnaissent dans ce discours. De là, ils peuvent prendre conscience d'être eux-mêmes racistes, alors qu'ils l'ignoraient. Se savoir raciste devient intolérable à leur propre conscience, parce qu'ils savent qu'être raciste est mal vu par la société. Cela devient donc un danger pour leur intégrité psychique, et un conflit intérieur se forme alors. Le mécanisme de projection va donc consister à, d'une part, refouler leur propre racisme pour qu'il échappe à leur conscience, puis d'autre part, projeter cette pulsion raciste vers l'extérieure (sur Dieudonné en l’occurrence). Et c'est ainsi, que l'humoriste présentera tous les défauts de la terre.

Mais la projection est aussi présente dans le simple racisme brut. Si une personne pense que les Arabes lui sont hostiles, c'est souvent parce qu'elle refuse d'admettre que c'est elle-même qui est hostile aux arabes.

Prenons cette scène d'islamophobie classique181 : une femme musulmane est agressée verbalement dans le train par une personne qui lui reproche de porter le foulard islamique. Les mécanismes en jeu dans cette scène sont le refoulement, la projection, le déplacement et la fuite.

La personne islamophobe est elle-même à l'origine de la violence à l'égard de cette femme, et pourtant, elle se sent agressée par un simple tissu dans lequel elle y met de la symbolique subjective. Elle ne se rend pas compte que c'est elle-même qui est en train d'exprimer oralement de l'agressivité. Et à travers cet exemple, on comprend que la projection ne se fait pas seulement sur les personnes, mais peut se faire aussi sur les objets (ici, les vêtements). Car projeter ses sentiments sur une personne qui ne vous a objectivement rien fait, serait encore plus mal vu et intolérable pour leur propre conscience. On reviendra sur la projection dans notre livre sur la dialectique, car il y a des projections qui peuvent passer inaperçues.

Ce qu'il s'est passé dans ce dernier exemple, c'est un déplacement. Tout d'abord, la projection l'a protégée de l'expression de ses désirs inconscients islamophobes. Donc elle accuse la femme musulmane de l'agresser. Mais voyant que cette femme musulmane reste calme, le comportement agressif qu'elle déploie à son égard devient encore plus irraisonnable, et transgresse le principe de réalité. En conséquence, elle va déplacer son désir islamophobe sur le vêtement plutôt que sur la personne. Le déplacement est un mécanisme très proche de la projection. Mais, cette fois-ci, contrairement à la projection, dans laquelle le sentiment négatif était retournée vers celui qui nous l'avait suscité, dans le déplacement, ce sentiment négatif est déplacé vers un Objet extérieur moins dangereux. Dans l'exemple, il est moins dangereux de projeter son agressivité sur les vêtements "islamique", que sur la personne musulmane. En générale, les mauvaises pensées ou pulsions sont déversées sur une chose qui ont un lien avec l'origine du conflit.

Et, c'est de là que peut naître aussi le mécanisme de rationalisation. Il va falloir que la femme islamophobe justifie son agressivité envers ce vêtement « islamique ». La rationalisation est un procédé par lequel le sujet cherche à donner une explication acceptable sur les causes de son comportement, dont il ne perçoit pas les véritables motifs. Nous n'aimons pas ce terme de rationalisation, car tout ce qui est immanent est susceptible d'être rationalisé. Ici, rationalisation signifie plutôt, s'efforcer de mettre de la rationalité là où il ne devrait pas y en avoir. Mettre un semblant de cohérence là où il n'y en a objectivement pas, et on remarque que l'on est très proche de la superstition. Le terme d'intellectualisation est plus convenable. Pour continuer avec notre exemple, c'est de cette manière que l'on a entendu des personnes en occident justifier leur islamophobie refoulée, par l'argument selon lequel le foulard serait un symbole d'oppression de la femme par l'homme. Tout d'abord, un symbole est forcément subjectif, et sa signification peut varier d'une culture à l'autre, mais même dans ce cas de figure, dire que le foulard est une oppression de la femme, n'est justifié par aucune logique possible, si la femme le porte d'elle-même. On pourrait presque dire que le procédé de rationalisation est proche de l'utilisation d'heuristique, des raccourcis de raisonnement, faisant entorse à la logique pure, venant prétexter notre comportement injustifiable.

Le but premier de l'intellectualisation consiste souvent à mettre de côté tous les affects liés à ce comportement irrationnel. Dans le Coran, on retrouve la rationalisation, lorsque ceux qui, pour justifier le rejet de la religion, alors qu'ils sont séduit par elle, disent : « Ce ne sont que des légendes des anciens ». Ils se cherchent des excuses, qui, de plus, a un impact sur les autres, puisque cette justification laisse entendre que les textes saints ne sont que des mythes sans valeurs.

( (25) Il en est parmi eux qui viennent t'écouter, cependant que Nous avons entouré de voiles leurs cœurs, qui les empêchent de comprendre (le Coran), et dans leurs oreilles est une lourdeur. Quand même ils verraient toutes sortes de preuves, ils n'y croiraient pas. Et quand ils viennent disputer avec toi, ceux qui ne croient pas disent alors : « Ce ne sont que des légendes des anciens ». (26) Ils empêchent [les gens] de s'approcher de lui et s'en écartent eux-mêmes. Ils ne feront périr qu'eux-mêmes sans s'en rendre compte. )182

La régression, est une sorte de fuite intérieure comme le refoulement, où l'individu revient sur des croyances archaïques qui lui ont appartenu dans le passé. Il adopte des pensées et des comportements puérils en vue de paraître inadapté à une situation qui serait conflictuelle. Il se cache derrière un faux confort d'irresponsabilité. Par exemple, commencer à faire l'enfant pendant une dispute, c'est une régression, permettant de fuir la résolution du conflit.

( Ceux qui sont revenus sur leurs pas après que le droit chemin leur a été clairement exposé, le Diable les a séduits et trompés. )183

Ce sont les personnes qui n'arrivent pas à admettre leurs erreurs, et à régler leur conflit calmement. Commencer à élever la voix tout en insultant une personne, est aussi une forme de régression.

( (29) Ou bien est-ce que ceux qui ont une maladie au cœur escomptent qu'Allah ne saura jamais faire apparaître leur haine ? (30) Or, si Nous voulions Nous te les montrerions. ( Tu les reconnaîtrais certes à leurs traits ; et tu les reconnaîtrais très certainement au ton de leur parler. Et Allah connaît bien vos actions. )184

Désormais, nous allons parler de mécanismes utilisés pour modifier l'image que l'on a de soi.

L'identification, est un processus qui peut être normal. Cela permet d'accroître sa propre estime de soi, en s'identifiant à une personne ou une institution illustre. Par exemple, les musulmans peuvent s'identifier au Prophète de l'islam, qui, avec des comportements bons et humains, a accompli des choses extraordinaires. Le problème, nous l'avons déjà évoqué, c'est lorsque nous nous identifions à un personnage spécial, une exception dans l'humanité. Le Prophète était un être humain comme les autres, et un messager parmi tant d'autres. Il n'avait rien d'un super-héros, et ses miracles n'ont été accomplis que sous l’autorité de Dieu.

( En effet, vous avez dans le Messager d'Allah un excellent modèle [à suivre], pour quiconque espère en Allah et au Jour dernier et invoque Allah fréquemment. )185

Si vous vous identifiez à un personnage de comics américains, vous risquez de vous sentir supérieur aux autres, alors que ce ne serait pas le cas, si vous vous identifiez à un héros de manga japonais. Dans la culture du manga japonais, le héros part souvent à égalité avec les autres humains, et les surpassent grâce à ses efforts. Il est aussi souvent entouré de compagnons qui peuvent lui porter secours. Dans les bandes dessinées américaines de type Marvel, le héros, sans effort, obtient de super pouvoirs, et devient une exception immédiate par rapport aux autres humains. C'est un personnage souvent solitaire, il y a donc peu d'interactions en dehors de l'action, ce qui fait que la psychologie du personnage est peu développée, contrairement aux personnages de mangas. Ce sont deux cultures et mentalités différentes, que l'on pourrait presque opposée, Orient et Occident. Certains comportements de personnages de mangas sont très proches des enseignements du Prophète de l'islam, car nous rappelons qu'un comportement humain reste un comportement réalisable par n'importe qui, à condition de s'en donner les moyens. Autant, certaines histoires de mangas et l'Histoire des débuts de l'islam, permettent d'investir une dualité complexe, autant le comics Marvel est le plus souvent dans une dualité manichéenne et binaire. Donc, l'identification, à travers des personnages fictifs ou réels, est un mécanisme fréquent, mais l'effet ne sera pas le même en fonction de la référence sur laquelle s’appuie cette identification. Certaines œuvres culturelles peuvent mener à un aveuglement intérieur.

La formation réactionnelle, est un autre mécanisme dans lequel le refoulement a lieu, et qui est souvent utiliser pour améliorer son image face aux autres. Elle consiste à adopter un comportement inverse pour compenser une idée ou un désir refoulé. On parle aussi de contre-investissement. On le retrouve un peu dans la dénégation. Par exemple, le fait de voir que l'on manque de confiance en soi, peut être mal vu dans certaines communautés, et la personne dans ce cas de figure peut refouler sa représentation intérieure, et, par contre-investissement, se comporter de manière arrogante. Ou un autre exemple, un homme qui se met à sourire dans une situation difficile pour éviter de pleurer en public, car, selon lui, ce serait mal vu.

( (75) (Allah) lui dit : « Ô Iblis, qui t'a empêché de te prosterner devant ce que J'ai créé de Mes mains ? T'enfles-tu d'orgueil ou te considères-tu parmi les hauts placés ? » (76) « Je suis meilleur que lui, dit [Iblis,] Tu m'as créé de feu et tu l'as créé d'argile ». (77) (Allah) dit : « Sors d'ici, te voilà banni ; (78) et sur toi sera ma malédiction jusqu'au jour de la Rétribution ». (79) « Seigneur, dit [Iblis,] donne-moi donc un délai, jusqu'au jour où ils seront ressuscités ». (80) (Allah) dit : « Tu es de ceux à qui un délai est accordé, (81) jusqu'au jour de l'Instant bien Connu ». (82) « Par Ta puissance ! dit [Satan]. Je les séduirai assurément tous, (83) sauf Tes serviteurs élus parmi eux ». )186

Pour faire un lien avec le Coran, Iblis, avant de devenir Satan, était irréprochable. Il était humble, raison pour laquelle il vivait parmi les anges, malgré qu'il soit un djinn. Il ne connaissait pas la difficulté, jusqu'au jour où il refusa de se prosterner devant Adam, et se retrouva dans une situation d'échec. Par formation réactionnelle, Iblis, celui qui était humble, ne supportant pas cet échec, se mit à devenir arrogant, et il devient Satan (Coran 38:75-83).

Le problème est que, ce n'est pas parce qu'il existe des personnes qui adoptent l'arrogance pour cacher leur manque d'estime de soi, qu'il existe des gens qui ne sont pas véritablement arrogants. L'orgueil n'est pas un mécanisme de défense. Autrement dit, l'idée que l'arrogance soit forcément engendrée par mécanisme de défense est fausse. D'ailleurs, les personnes arrogantes par formation réactionnelle sont facilement détectables et différentiables des arrogants réels. Ce sont les arrogants « ignorants » ou « inconscients », qu'il faut distinguer des arrogants « sachants ». Donc, il ne faut surtout pas trouver des excuses à tout le mal du monde. Sachant aussi, qu'un arrogant peut adopter l'humilité en public par formation réactionnelle, parce qu'il sait que l'arrogance peut être mal perçue.

La fantasmatisation est un autre mécanisme qui permet de modifier l'image de soi. Elle consiste à satisfaire ses désirs frustrés en s’octroyant des accomplissements imaginaires. Lorsqu'on le fait lors de rêves éveillés, ce n'est pas tellement grave, tout le monde l'a déjà fait. Là où ça devient inquiétant, c'est lorsque des personnes extériorisent leurs fantasmes, et s'en glorifient pour être bien vu par les autres :

( Ne pense point que ceux-là qui exultent de ce qu'ils ont fait, et qui aiment qu'on les loue pour ce qu'ils n'ont pas fait, ne pense point donc, qu'ils trouvent une échappatoire au châtiment. Pour eux, il y aura un châtiment douloureux ! )187

La personne risque de croire à ses propres mensonges, et cela peut aller jusqu'à la mythomanie. Parfois, certaines personnes aiment raconter leur passé en le modifiant et en amplifiant leur bon rôle.

Le contraire de la projection est l'introjection. Autant la projection est une nuisance pour la société, autant l'introjection est tout l'inverse, puisqu'à l'origine, elle permet la construction psychique (subjective). Dans la projection, pour éviter le conflit avec notre réalité intérieure, on la retournait contre l'autre. Dans l'introjection, pour éviter le conflit avec une réalité extérieure, on la retourne contre soi. L'introjection peut être un mécanisme très noble, mais pousser à l'extrême peut conduire à l'auto-destruction, puisque contenir une violence à l'intérieur de soi n'est évidemment pas confortable, cela peut conduire à la dépression, au suicide, ou aux états mélancoliques. Pourtant, l'état mélancolique est souvent attribué aux sages, aux artistes et aux poètes, parce qu'avec la réalité violente objective du monde, ils la subliment et composent de belles œuvres. Cela demande un véritable travail d'annihilation intérieur de cette violence « introjectée », or ce n'est pas toujours évident. Beaucoup d'hommes et de femmes sont rongés silencieusement par la haine et la violence qu'ils ont subies dans leur vie, et qu'ils n'arrivent pas à sublimer.

( Et Nous savons certes que ta poitrine se serre, à cause de ce qu'ils disent. )188

L'introjection est plus un mécanisme de résistance que de défense. Dans une introjection, il y a souvent identification. Si l'on s'identifie humainement dans l'autre qui nous agresse verbalement, alors on ne retournera pas la violence contre lui. On va contenir cette violence, mais pas la refouler, sinon nous risquerions d'utiliser une projection, ou un déplacement. Pour éviter de se retrouver face à cette violence, qui est souvent humaine, le Coran prescrit de nous éloigner des hommes ignorants, car ils commettent des violences sans le savoir.

( éloigne-toi d'eux et attends. Eux aussi demeurent dans l'attente. )189
( (199) Accepte ce qu'on t'offre de raisonnable , commande ce qui est convenable et éloigne-toi des ignorants. (200) Et si jamais le Diable t'incite à faire le mal, cherche refuge auprès d'Allah. Car Il entend, et sais tout. (201) Ceux qui pratiquent la piété, lorsqu'une suggestion du Diable les touche se rappellent [du châtiment d'Allah]: et les voilà devenus clairvoyants. )190

S'éloigner, ce n'est pas pareil que fuir, sachant de plus, qu'ici, Dieu nous demande de nous éloigner en tout état de conscience. Ce sont les ignorants qui sont à l'origine des guerres et de la violence du monde.

Le déni est un mécanisme de défense que l'on a déjà évoqué. La personne va nier une partie de la réalité extérieure simplement en refusant de la percevoir parce que cette réalité serait susceptible de lui apporter de l'angoisse. Ce qu'il faut donc bien comprendre, c'est que ce déni ne vient pas d'un manque d'information, contrairement à celui qui nie parce qu'il ne sait pas. Dans le cas de la perte d'un être cher, on peut tous le manifester. Mais le déni peut être maladif, si celui-ci persiste. On trouve cela chez les personnes qui pensent être leur propre Dieu. Elles sont dans un fantasme de toute-puissance et d'omniscience. Elles ont souvent un ego démesuré et sont aveuglées par leur propre personne.

( Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre divinité ? Et Allah l'égare sciemment et scelle son ouïe et son cœur et étend un voile sur sa vue. Qui donc peut le guider après Allah ? Ne vous rappelez-vous donc pas ? )191
( Nous avons destiné beaucoup de djinns et d'hommes pour l'Enfer. Ils ont des cœurs, mais ne comprennent pas. Ils ont des yeux, mais ne voient pas. Ils ont des oreilles, mais n'entendent pas. Ceux-là sont comme les bestiaux, même plus égarés encore. Tels sont les insouciants. )192

Le refus de voir, d'entendre ou de comprendre. Ce mécanisme peut aller beaucoup plus loin, comme le refus de percevoir la présence physique d'une personne, ou tout autre information sensorielle.

Le mépris est un autre mécanisme qui peut être vu comme une forme de déni.

( [Allah] dit : « Qu'est-ce qui t'empêche de te prosterner quand Je te l'ai commandé ? » Il répondit : « Je suis meilleur que lui : Tu m'as créé de feu, alors que Tu l'as créé d'argile ». )193

Dans le Coran, Iblis méprise Adam, et nie la valeur que Dieu lui a donnée. C'est une forme de dépréciation d'une réalité extérieure difficilement acceptable. On le retrouve également chez les non-croyants qui se sentent supérieurs aux croyants.

( Quand les mécréants te voient, ils ne te prennent qu'en dérision (disant) : « Quoi ! Est-ce là celui qui médit de vos divinités ? » Et ils nient [tout] rappel du Tout Miséricordieux. )194
( (58) Et dans ce Coran, Nous avons certes cité, pour les gens, des exemples de toutes sortes. Et si tu leur apportes un prodige, ceux qui ne croient pas diront : « Certes, vous n'êtes que des imposteurs ». (59) C'est ainsi qu'Allah scelle les cœurs de ceux qui ne savent pas. (60) Sois donc patient, car la promesse d'Allah est vérité. Et que ceux qui ne croient pas fermement ne t'ébranlent pas ! )195

Le clivage est le dernier mécanisme que nous évoquerons. Cela consiste à séparer en deux parties distinctes et indépendantes, soit son propre Moi (son psychisme, son être, sa personnalité, son Nafs) ou soit un Objet. Une partie va être entièrement bonne et une partie entièrement mauvaise, mais seule la partie bonne sera consciente et exprimée, quant à la mauvaise partie, elle sera niée et inaccessible à la conscience. Donc en fait, le clivage renferme deux autres mécanismes de défense, que sont l'idéalisation de la partie bonne, et le déni ou le refoulement de la partie mauvaise. Difficile de donner des exemples, parce qu'il existe plusieurs types de clivage, mais on peut dire que ce mécanisme peut se retrouver chez les groupes violents et sectaires. Par exemple, l'idéologie du takfirisme est une forme du clivage, ses membres ne perçoivent qu'une vision bonne et idéalisée de l'islam, se disent être de bons musulmans pieux, mais nient le mal qu'ils peuvent faire, et rejettent et éprouvent de l'hostilité pour tous les musulmans qui ne pensent pas comme eux, et ne s'en rendent pas compte. On retrouve aussi ce phénomène dans des groupuscules violents d'extrême gauche, se définissant comme anti-fascistes, mais ne se rendent pas compte qu'ils se conduisent eux-mêmes comme des fascistes envers ceux qui, subjectivement, sont leur opposé politique.

( (11) Et quand on leur dit : « Ne semez pas la corruption sur la terre », ils disent : « Au contraire nous ne sommes que des réformateurs ! » (12) Certes, ce sont eux les véritables corrupteurs,mais ils ne s'en rendent pas compte. )196
( Et quoi ! Celui à qui on a enjolivé sa mauvaise action au point qu'il la voit belle… ? - Mais Allah égare qui Il veut, et guide qui Il veut - Que ton âme ne se répande donc pas en regrets pour eux : Allah est Parfaitement Savant de ce qu'ils fabriquent. )197

On remarque que le clivage du Moi est ce que l'on retrouve pour décrire les hypocrites dans le Coran. Prétendre faire le bien, et ne pas se rendre compte de faire le contraire de ce que l'on prétend. Il faut distinguer, ceux qui font du mal sans s'en rendre compte, une hypocrisie résultat d'un clivage du Moi, et ceux qui font sciemment l'hypocrisie, mais qui s'égarent sans s'en rendre compte.

( (8) Parmi les gens, il y a ceux qui disent : « Nous croyons en Allah et au Jour dernier ! » tandis qu'en fait, ils n'y croient pas. (9) Ils cherchent à tromper Allah et les croyants ; mais ils ne trompent qu'eux-mêmes, et ils ne s'en rendent pas compte. (10) Il y a dans leurs cœurs une maladie (de doute et d'hypocrisie), et Allah laisse croître leur maladie. Ils auront un châtiment douloureux, pour avoir menti. )198

Contenu du Coran, le clivage du Moi pourrait survenir en raison d'une persistance dans l'hypocrisie. Si l'hypocrite est démasqué, il a deux issus : soi l'admettre en faisant preuve d'humilité, soi s'enfoncer dans son hypocrisie, au risque de tomber dans l'aveuglement intérieur par orgueil.

Les psychologues ont remarqué que même dans les psychoses, qui sont les maladies mentales manifestant le plus souvent une perte de contact avec la réalité extérieure, même si cette dernière est clivée, il existe toujours une partie de la réalité qui reste consciente à la personne.

Des voies qui conduisent l'homme à l'aveuglement intérieur, il y en a énormément décrites dans le Coran. Sans compter, qu'il existe aussi les djinns et les anges dans la théologie islamique, qui sont à l'extérieur de l'homme, et qui peuvent inspirer les bonnes et les mauvaises idées, et donc, les bonnes et les mauvaises pulsions à l'âme, mais nous avons éviter de surcharger le monde invisible pour simplifier nos explications. Autant, nous reconnaissons l'existence de ces mécanismes, autant les explications freudiennes basées sur toute la théorie sexuelle infantile, ne nous conviennent pas. Nous avons ici essayé de faire notre propre analyse en liant une science occidentale avec l'islam. Même si les terminologies et les explications ne sont pas toujours les mêmes, la description des mécanismes passionnels sont identiques. Se protéger d'une réalité désagréable en refusant de la percevoir, revient à refuser la réalité. Et dans la religion, le refus de la réalité, peut renvoyer aux procédés sataniques, s'ils constituent une véritable inversion du réel.

Tome IV - La Psychologie | Chapitre 2 - Le Développement de la Foi chez l'Homme

Tome IV - La Psychologie | Chapitre 2 - Le Développement de la Foi chez l'Homme