Tome II - La Philosophie

Chapitre 6 - De la Philosophie en Islam

par Anthony Ghelfo 2014

Introduction


De la Philosophie en Islam

Pour continuer notre réflexion, nous devons développer les différentes composantes de la philosophie islamique. À ne surtout pas confondre avec les grands courants théologiques, que sont le Sunnisme et le Chiisme, même si la philosophie islamique est très fortement imprégnée de théologie dès ces débuts. À ne pas confondre également avec les quatre grandes écoles de jurisprudence, qui ne se préoccupe que des versets de la Loi de Dieu.

La discussion philosophique en islam naîtra de la nécessité d'introduire de la rationalité dans le discours théologique, dans le but de pouvoir argumenter logiquement, et de construire un système théologique cohérent. Nous ne retracerons pas toute l'histoire de la philosophie islamique, mais nous exposerons uniquement ses fondements, de la même manière que nous n'irons pas en détails dans les différents courants, et écoles de pensées que nous présenterons, qui ont toute leur légitimité, mais aussi leur déviance.

Ces philosophies ont pour but de construire des méthodologies afin d'interpréter le Coran de manière la plus véridique possible, de façon à ce que le discours reflète le plus fidèlement la réalité de notre monde.

Certains savants musulmans de renom, comme Ibn Taymiyya ont rejeté la philosophie, et la logique aristotélicienne. Pourtant, le Coran nous demande clairement, à plusieurs reprises de faire appel à ce type d’intelligence. Un verset retiendra notre intention.

Ne méditent-ils donc pas sur le Coran ? S'il provenait d'un autre qu'Allah, ils y trouveraient certes maintes contradictions !
— Coran 4:82

Parmi les défis du Coran, Dieu nous dit que Sa Parole est dénuée de contradictions. Par quel moyen autre que la logique pouvons-nous passer pour réussir ce test ? Il n'en existe aucun autre. Et c'est pour cette raison que, malgré le grand savant musulman qu'est pu être Ibn Taymiyya, on peut trouver des éléments contradictoires dans ses écrits . Or, La Parole de Dieu étant dénué d'illogisme, les meilleurs commentaires et compréhension de la Révélation devraient également présenter le plus de cohérences possibles. Raison pour laquelle construire un système philosophique sans contradictions est loin d'être une tâche aisée.

Beaucoup de musulmans rejettent de plus en plus la philosophie. Nous pensons, que cela est dû à un manque de foi et de confiance dans leur religion à pouvoir apporter des réponses rationnelles. Si le musulman est en conflit par rapport à une question, et qu'il ignore la réponse, il paraît alors se retrouver en contradiction, et parfois fuit la discussion. Conséquence d'une méconnaissance de sa religion, mais également traduction d'un mauvais comportement, celui du renoncement et du déni.

Le juriste Ibn Kathir rapporte dans son Tafsir (commentaire du Coran), que le prophète était mécontent lorsque l'on opposait les versets les uns aux autres. N'est-ce pas une preuve d'un manque de foi évident, que de vouloir abroger des versets du Coran, sous prétexte que nous pensions qu'ils se contredisent ? N'est-ce pas une véritable preuve de foi que de vouloir rendre cohérent l'ensemble du Coran, sans vouloir omettre ou laisser de côté ne serait-ce qu'un seul verset ? Nous pensons que cela est possible, et qu'il ne peut en être autrement pour le vrai croyant.

{ 'Abdullah ibn 'Umar a rapporté: Je suis allé voir le Messager d'Allah (ﷺ) le matin et il entendu la voix de deux personnes qui argumenter différemment sur un verset. L’Envoyé d'Allah (ﷺ) est venu à nous et les traits de la colère pouvait être vu sur son visage. Il a dit : En vérité, les peuples avant vous ont été ruinés en raison de leur dispute concernant le Livre. }

Ibn Sîna, Farâbi ou Ibn Rushd, trois philosophes musulmans qui vont plus loin, que le simple fait d'accepter la logique. Pour eux, certains dogmes de l'islam peuvent être retrouvés par la raison . Il ne pourrait y avoir de contradiction entre la foi et la raison. Dieu n'aurait jamais demandé à l'humanité de croire en quelque chose d'irrationnel, soit une chose qui soit incompatible avec l'intelligence humaine.

Cela n'enlève rien au fait, qu'il reste de l'inconnaissable, au sujet de Dieu, mais l'être humain est capable de dépasser les limites de la raison, et de percevoir les limites du visible et de l'invisible, sans pour autant tomber dans la spéculation, mais simplement par contemplation.

Les Fondements de la Philosophie Islamique ?


Avant l’apparition de l’islam, les peuples de la péninsule arabique possédaient très peu de connaissances en matière de philosophie. C’était à l'époque le rôle du poète qui, par ses paroles et à travers ses poèmes, répandait les sagesses au sein de la société, traitant de tous les sujets, allant des problèmes sociétaux, aux phénomènes naturels observés, en passant par la morale.

Mais si l'on parle de philosophie en Islam, elle ne peut évidemment que commencer après la révélation du Coran et de la Sunna (corpus des textes traditionnels, témoignages des premiers fidèles et compagnons de Muhammad), qui correspondent bien évidemment au premier objet d'étude. L’ijtihâd, qui signifie effort de réflexion en arabe, désigne cet effort intellectuel qu'effectuent les savants musulmans dans le but d'interpréter les textes fondateurs de l'islam, et d'en déduire le droit musulman, ou encore pour construire un discours théologique cohérent.

La particularité de la philosophie de l'islam, c'est qu'elle prend pour racine les écrits révélés comme vérité, et à partir de là, doit venir se greffer le discours philosophique rationnel et logique, qui ne doit pas rentrer en contradiction avec ces derniers.

Les premières influences, sont clairement, d'une part les écrits des philosophes grecs antiques, ainsi que les premières exégèses du texte coranique.

Exégèse : Analyse interprétative d'un texte sacré et, p. méton., discipline dont cette analyse constitue l'objet.

Peu de temps après la période de vie de Muhammad, à la fin du VIème siècle, soit à partir du califat omeyyade, commença un mouvement de traduction des ouvrages littéraires, scientifiques et philosophiques des civilisations conquises par l'islam . Les écrits grecs furent traduits en arabes, et constituèrent une première influence pour la philosophie islamique. Ils serviront alors d'outils à l'interprétation conceptuelle du texte coranique. Les textes d'Aristote, de Platon et de bien d'autres, seront retranscrits dans la langue officielle de l'islam, et permettront ainsi de renforcer la crédibilité et la cohérence de la foi musulmane. La philosophie hellénistique de l’islam, dite falsafa, constitue donc une première influence fondamentale.

On soulève souvent le fait que le Coran aurait des antécédents avec les écrits grecs. En vérité, la philosophie helléniste antique n'a servi que dans l'interprétation, mais aucunement dans la rédaction du Coran. Le Coran est unique en style et en sens. Par conséquent, il ne faut pas s'étonner si certains mots ont des significations proches de la traduction de certains écrits grecques, puisque la formation de la compréhension de concept s'est réalisée à partir des manuscrits hellénistes. Si le Coran était réellement inspiré des écrits grecs, et principalement de ceux dénoncés par les détracteurs, pourquoi alors, ne commet-il pas les mêmes erreurs que les œuvres antérieurs ?

Les autres fondements de la philosophie islamiques concernent les paroles rapportées faites par les compagnons de Muhammad. En islam, on appelle compagnons (sahaba en arabe) du prophète, tous les hommes et toutes les femmes qui ont rencontré Muhammad, qui ont embrassé l'islam et qui sont morts avec la foi musulmane. Les compagnons du prophète, et leurs descendants, ont commenté le Coran, et certains d'entre eux se sont distingués par des courants de pensées différentes.

Parmi l'ensemble du corpus prophétique, on trouve un ensemble de contradictions et de divergences, même au sein de paroles authentiques . Raison pour laquelle tout ce qui a été rapporté ne peut être pris comme vérité absolue, et doit faire l'objet d'analyse méthodique.

Rappelons que seul le Coran est dépourvu d'incohérence, et qu'à ce juste titre, seul Dieu connait l'interprétation exacte de Sa Parole.

C'est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre : il s'y trouve des versets sans équivoque, qui sont la base du Livre, et d'autres versets qui peuvent prêter à d'interprétations diverses. Les gens, donc, qui ont au cœur une inclinaison vers l'égarement, mettent l'accent sur les versets à équivoque, cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation, alors que nul n'en connaît l'interprétation, à part Allah. Mais ceux qui sont bien enracinés dans la science disent : « Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur ! » Mais, seuls les doués d'intelligence s'en rappellent.
— Coran 3:7

Les commentaires des compagnons doivent être remis dans leur contexte et être des pistes sur lesquelles nous devons travailler et développer leur prolongement. Les écoles de pensées différentes ne sont que des tentatives d'approches méthodiques d'interprétation. La vérité peut être approchée par des méthodes distinctes. On peut arriver aux mêmes résultats par différent chemin. Le droit chemin n'est pas le même pour tous, simplement parce que nous ne naissons pas tous avec les mêmes acquis, mais sa finalité est la même et nous est tous accessible. Si la pyramide est le meilleur symbole de stabilité d'acquisition de la connaissance, chacune de ses faces correspondent à un droit chemin, convergeant en son sommet qui mène à la Vérité. Il y a donc plusieurs manières d'appréhender la Vérité.

De notre point de vue, un musulman ne devrait pas se qualifier appartenant à tel ou tel courant de pensée. Tout cela ne fait que créer des divisions au sein de l'islam, que ceux soit en philosophie, théologie, ou même en politique. Le choix de la méthode d'interprétation nous est propre, mais le résultat se devrait d'en être toujours le même, ce qui n'est pas forcément le cas.

Et cramponnez-vous tous ensemble au “Habl” (câble) d'Allah et ne soyez pas divisés; et rappelez-vous le bienfait d'Allah sur vous : lorsque vous étiez ennemis, c'est Lui qui réconcilia vos cœurs. Puis, pas Son bienfait, vous êtes devenus frères. Et alors que vous étiez au bord d'un abîme de Feu, c'est Lui qui vous en a sauvés. Ainsi, Allah vous montre Ses signes afin que vous soyez bien guidés.
— Coran 3:103

Le Coran rappelle aux musulmans de ne former qu'un seul corps, dont le but est le rapprochement spirituel vers Dieu. Qu'il y ait des divergences sur des questions mineures n'est pas très grave en soit, et n'a pas de répercussion sur la communauté. L'erreur est humaine, et il ne peut en être autrement. Chacune des écoles de pensées contiennent une part de vérité, et le musulman doit pouvoir piocher dans tel ou tel courant de pensée ce qui lui permet de comprendre et de se rapprocher de Dieu. Cela est possible simplement parce que ces écoles et ces courants philosophiques ont un socle commun :

  • Elles croient fermement dans l’unité de la Vérité : pour eux, la Vérité est une. Rappelez-vous de ce que disait à ce propos Gandhi : la Vérité et Dieu sont deux concepts interchangeables. Ainsi, si la Vérité est une, Dieu est par conséquent un et unique. Cette méthode de pensée permet d'établir le fait qu'il ne peut y avoir de contradiction entre des vérités, quelles viennent d'une école ou d'une autre. De la même manière, des vérités philosophiques ne peuvent rentrer en opposition avec les connaissances des textes révélés. La religion et la philosophie font toutes les deux partie de la Vérité, ainsi le Coran est vrai comme la logique aristotélicienne est vraie. Cela n'empêche évidemment pas à l'homme de commettre des erreurs d'interprétation, le but étant toujours d'harmoniser la foi avec la raison.
  • Elles s'inspirent toutes des philosophies grecques et hellénistiques telles qu’elles furent enseignées aux Vème et VIème siècles. En conséquence de cela, elles souhaitent toutes construire un système philosophique cohérent, en conciliant la philosophie d'Aristote avec le néoplatonisme de Plotin.
  • Elles accordent toutes une place importante à la théorie de la connaissance, qui consiste à mettre en évidence la nature, les origines, les contenus, les moyens et les limites mises à la disposition dans l'acquisition de connaissances chez l'homme, bien avant Locke, Hume et Kant. Dans ces théories ont été mis particulièrement en avant les préceptes métaphysiques et psychologiques.
  • Enfin toutes les écoles de pensée rejettent l'allégation selon laquelle l’univers n’a pas de créateur, et qu’il serait éternel. Pour la philosophie islamique, le monde a un commencement, qui est la création d’une cause première, et ainsi comme tout ce qui existe dans le temps, détient forcément une fin. Toutes les écoles philosophiques nient l’existence ex nihilo du monde (cette maxime latine Ex Nihilo Nihil fit signifiant « Rien ne vient du néant », fait partie des vérités métaphysiques fondamentales, et nous verrons dans le livre suivant sur la science, que cette vérité servira un bon nombre de théories scientifiques, au XIXème et XXème siècle, acceptées par tous, notamment en biologie et en physique thermodynamique).

Cette philosophie islamique fera naître les grands noms du monde musulman, notamment pour le rôle que certain ont joué dans l'introduction de la raison en Islam. Al-Kindi, Al-Fârâbi, Avicenne (Ibn Sina), Al-Ghazzâli, Averroès (Ibn Rushd), qui proposent des pensées bien entendu différentes et originales, mais dont la plus part s'inspirent et font appel aux concepts des grands écrits grecs. Fârâbi fut le premier à introduire de la philosophie en Islam ; Al-Kindi, le premier philosophe arabe, comme il fut nommé, édifia le premier système philosophique islamique ; quant à Avicenne, le premier système philosophique cohérent. Le but ultime a toujours été de lier le logos grec avec la Révélation, à part pour Al-Ghazzâli peut être, qui avait une vision plus mystique, et critiquait la philosophie, qu'il maîtrisait particulièrement bien, en prétendant qu'elle ne permettait pas, à elle seule, l'accès à la connaissance de Dieu. Nous pensons que Al-Ghazzâli, oublie que sa mysticité provient en premier lieu de sa bonne construction de l'esprit, équilibré grâce à la philosophie, même si nous entendons très bien qu'elle ne suffise pas. C'est Averroès qui viendra plus tard, redonner de la légitimité à la raison dans l'interprétation divine, notamment par son traité intitulé Discours Décisif. Il faut savoir que la plupart des auteurs cités ne sont pas seulement philosophes, certains sont aussi, des érudits, des théologiens, des juristes, médecins, mathématiciens, etc…

La philosophie islamique aura toujours cette particularité de ne pas être détachée entièrement de la théologie. Tout simplement parce que la Métaphysique n'a pas été fragilisée, contrairement à la théologie occidentale, qui subira ce processus de sécularisation.

Les Principales Influences de la Philosophie Islamique ?


Après avoir exposé les raisons de l'introduction de la philosophie en islam, nous allons présenter les différents courants qui ont influencé la philosophie islamique, au-delà de la pensée helléniste.

Les premiers discours sur l'islam étaient principalement basés sur la rhétorique. L'Asharisme est une école théologique de l'islam, fondé sur le kalâm, qui est une méthodologie dialectique . Par exemple, sur la question des attributs de Dieu, cette dialectique, a permis aux savants de cette école de dégager des attributs divins :

« Selon les Ash'arites, Allâh est Un, Unique, Éternel et est un Être existant. Il n'est pas une substance, ni un corps, ni un accident, ni limité par une quelconque direction et ni contenu par un quelconque espace. Il possède des Attributs tels que l'omniscience, la toute-puissance, la vie et la volonté. Il est entendant, voyant et est doué de la parole. »
— 'Abd al-Hayy Ar-Rajshahil

On retrouve les treize attributs divins que nous avions évoqués dans la présentation du concept du Dieu Unique . Ces attributs, n'ont été obtenus que par discutions entre savants et théologiens en s'appuyant sur le Coran. Ils ont été considérés comme les treize attributs les plus importants bien que Dieu possèdent bien plus de noms que ceux-là.

Le problème du kalâm est qu'il peut très vite amener l'individu à la dérivation du droit chemin et à la spéculation intellectuel. C'est un art qu'il faut savoir maitriser, car il est facile d'entretenir des raisonnements trompeurs et incorrects, notamment par l'utilisation de sophismes.

Sophisme : Argument, raisonnement ayant l'apparence de la validité, de la vérité, mais en réalité faux et non concluant, avancé généralement avec mauvaise foi, pour tromper ou faire illusion.

La dialectique religieuse est souvent assez scolastique et dogmatique, ce qui empêche parfois l’effort de réflexion dans la transmission du savoir. L'effort est fait par les savants, et non par les fidèles, si bien que ces derniers répètent sans forcément comprendre.

Un autre type d'influence de la philosophie musulmane est le soufisme . Le tasawwuf, comme il se traduit en arabe, est un courant ésotérique et initiatique, qui professe un dogme affirmant que toute réalité comporte un aspect extérieur apparent (exotérique) et un aspect intérieur caché (ésotérique). Il se caractérise par la recherche d'un état spirituel qui permet d'accéder à certaines connaissances cachées. Elle consiste à dégager les plus profondes sagesses cachées dans le Coran, pour se rapprocher de Dieu, dans Sa nature la plus intime. C'est la véritable branche spirituelle de l'islam, une quête interne du divin, visant la réalisation de soi totale, par la suffisance de l'Amour de Dieu.

Une des difficultés de cette pratique est qu'elle peut nécessiter une initiation. Souvent critiqué, le soufisme déviant peut demander également un ascétisme exagéré. Or l'islam est une religion qui ne fait pas appel à l'isolement, le lien social est un des premiers principes de la spiritualité.

Pour mieux comprendre ce courant, il faut penser le soufisme comme le concept d'ihsan tel que le décrivait le prophète de l’islam.

{ [...] Le messager d’Allah () répliqua : Le Ihsân consiste à adorer Dieu comme si tu Le voyais, car même si tu ne Le vois pas, Lui te voit.} 

Cette philosophie, contrairement à celle des Asharites, permet un véritable effort intellectuel de la part du musulman. Le premier à l'avoir mis en pratique selon les soufis, a été Muhammad, et il faut apprécier cette manière de voir les choses. Lorsque le kalâm était encore trop imprégner de théologie, pour le soufisme on parlera alors plutôt de théosophie.

Théosophie : Description des mystères de la vie cachée de Dieu dans sa relation avec celle de l'homme et de la création tout entière.

L'asharisme traite des sujets théologiques les plus abstraits de la religion, alors que le soufisme développe des procédés afin que l'homme sache entretenir sa relation avec Dieu.

Une dernière influence, est la théologie littéraliste, qu'on appelle aussi le salafisme. Par le mot salaf, les théologiens musulmans désignent Muhammad et ses compagnons, ainsi que les deux générations qui les suivirent. Elle propose un retour au mode de vie tel qu'il pouvait être à l'époque du prophète. Elle étudie le Coran et la Sunna dans une interprétation littérale. De ce fait, elle pose de nombreux problèmes, mais peut compléter du moins certains aspects de la connaissance, puisque après tout le Coran à l’apparence d’un texte, donc une forme exotérique. Le Coran utilise de nombreuses figures de style, et qui ne peuvent aucunement être prise au pied de la lettre.

Bien que certain passage du Coran peuvent nous surprendre parfois, en témoigne le verset 4 de la Sourate Al-Ahzab, qui évoque le fait que Dieu n'a pas mis en l'homme deux cœurs, laissant entendre que ce n'est pas le cas pour la femme, ce qui se confirme puisqu'en effet une femme enceinte peut avoir deux cœurs en elle.

Allah n'a pas placé à l'homme deux cœurs dans sa poitrine. Il n'a point assimilé à vos mères vos épouses [à qui vous dites en les répudiant]: “Tu es [aussi illicite] pour moi que le dos de ma mère”. Il n'a point fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants. Ce sont des propos [qui sortent] de votre bouche. Mais Allah dit la vérité et c'est Lui qui met [l'homme] dans la bonne direction.
— Coran 33:4

Mais même ce genre de littéralisme, très poétique et très rare dans le Coran, fait appel à des ressources déductives et à des connaissances non inscrites directement dans la Parole de Dieu.

Pour donner un autre exemple de problème rencontré par le littéralisme, le Coran, utilisant des figures de style, pour décrire l'endroit où « siège » Dieu, évoque un « trône » dans lequel Il « s'établirait » (Istawa, en arabe). Est-ce pour cela que Dieu possède un corps, et s'assoit sur son trône ? Bien évidemment que non, il y a donc ici une personnification de Dieu, qui est une nécessité du fait de l'incapacité du langage humain à décrire ce qui le transcende. D’ailleurs le terme istawa, est un concept ne pouvant être utilisé que sur Dieu. Or le littéralisme peut conduire à l'anthropomorphisme et considéré que Dieu a des mains ou encore qu'il aurait une position en terme d'espace/temps.

Anthropomorphisme : Croyance, doctrine attribuant à la divinité une nature semblable à celle de l'homme.

Un autre exemple de problème, toujours lié au Coran, est la non-distinction entre les versets principiels et les versets contextuels, de la part des littéralistes. La plupart des versets de guerre sont contextuels, c'est-à-dire qu'ils se réfèrent à un évènement précis de la vie du prophète. Ces versets ne doivent aucunement être pris au premier degré, il faut changer ce qu'on pourrait appeler des variables. Par exemple, si les évènements de guerre évoqués dans le Coran parlent des polythéistes, il ne faut pas retenir le terme de « polythéiste » qui n'est ici qu'une variable changeante. Ce qu'il faut retenir est que les associateurs ont attaqué les musulmans dans un contexte précis, donc ces passages se réfèrent à tous ceux qui portent atteinte à la vie des musulmans, et non pas aux polythéistes en général. Dans les versets contextuels, on doit décontextualiser seulement le principe, ou la sagesse cachée ésotérique, ce qu'est incapable de faire le littéralisme.

Cette méthode de lecture ne permet donc pas le soufisme. C'est une méthodologie très matérialiste puisqu'elle s'appuye uniquement sur l'aspect extérieur des choses.

La philosophie de l'islam cherche une vision cohérente dans l'interprétation des textes. S'il y a incohérence, il y a déséquilibre, et cela se traduira dans la relation entre les hommes et dans leur relation avec Dieu.

L'Éthique de la Philosophie Islamique ?


Pour comprendre la conception de l'humain en Islam, et ses problématiques, il faut comprendre la relation qu'il entretient avec Dieu. Comprendre Dieu, c'est comprendre le sens de l'homme, et ce vers quoi il doit tendre.

L'Humanisme est une philosophie qui a permis aux chrétiens de faire évoluer leur compréhension de l'homme en relation avec Dieu et dans ce même temps améliorer leur éthique. Les musulmans n'ont pas eu besoin d'une telle chose, car toute l'éthique se situe dans la Sunna (Tradition Prophétique), du fait que la biographie du prophète Muhammad est la plus étayée du monde. Le dernier messager de Dieu a laissé derrière lui tout un cadre éthique, largement inspiré par la Révélation, dans lequel chaque musulman devrait pouvoir se conformer . Le Christianisme, en prônant la vision humaniste, s'est rapproché des conceptions de l'éthique musulmane, qui elle, contenait déjà préalablement de son histoire naturelle, le courant humaniste.

La philosophie de l'islam se démarque également de celle des Lumières, par sa vision non-élitiste, non-suprématiste, et comme toutes les religions, avec une véritable définition respectueuse de ce qu'est l'universel. Elle se manifeste tout d'abord dans sa perception optimiste et positive de l'homme, en commençant par l'absence du péché originel, présenté dans certaines conceptions du Christianisme.

Et Nous dîmes : “Ô Adam, habite le Paradis toi et ton épouse, et nourrissez-vous-en de partout à votre guise; mais n'approchez pas de l'arbre que voici : sinon vous seriez du nombre des injustes”. Peu de temps après, Satan les fit glisser de là et les fit sortir du lieu où ils étaient. Et Nous dîmes : “Descendez (du Paradis); ennemis les uns des autres. Et pour vous il y aura une demeure sur la terre, et un usufruit pour un temps. Puis Adam reçut de son Seigneur des paroles, et Allah agréa son repentir car c'est Lui certes, le Repentant, le Miséricordieux. Nous dîmes : “Descendez d'ici, vous tous ! Toutes les fois que Je vous enverrai un guide, ceux qui [le] suivront n'auront rien à craindre et ne seront point affligés”.
— Coran 2:35-38

Adam vit son repentir accepter le premier, ce qui montre bien, qu'il fut pécheur autant que Ève. Ainsi, aucune personne ne doit porter le fardeau d'un autre, toute personne est responsable de ses propres actes. L'islam part du principe que nous naissons innocents, ni bons, ni mauvais. La perversion vers le mal n'est que le fruit, à l'âge de raison, d'un choix de la part de l'homme ayant succombé aux tentations de l'environnement. Cette innocence originelle permet d'expliquer par exemple, pourquoi les enfants ne peuvent être considérés comme pécheurs avant l'âge de conscience, avant l'âge de raison, le fait qu'ils ne doivent en aucun cas porter le fardeau de leur parent (ce qui pourrait nous amener à réfléchir sur le système de la dette en Occident), et le fait également qu'un enfant qui trouve la mort avant l'âge de raison, est destiné pour le paradis.

Tous les hommes sont égaux devant Dieu, car nous possédons tous, sans exception le souffle originel, appelé fitra, que l'on a déjà évoquée, présent dans le cœur de chaque être humain lui permettant le souvenir de Dieu, et l'élévation à l'état de conscience. C'est également la raison pour laquelle chaque homme peut être guidé par Dieu, c'est la marque du Créateur sur l'âme de chacune de Ses créatures.

Le rappel de Dieu par l'homme se fait, lorsque le Nour, lui est inspiré. Pour ainsi dire la rencontre entre le Nour et la fitra. Cela rejoint l'idée de la perception interne et de la perception externe, devant se rencontrer et se compléter mutuellement. Ainsi, si l'on néglige notre perception interne, on oublie qui on est, et en conséquence entraine l'oubli de Dieu. Notre environnement (perception externe), nous pousse à la tentation, et à l'oubli de soi, et trop s'en éloigner, fait devenir égocentré. Cultiver l'égo est néfaste à la fois pour soi et pour son environnement. L'être humain est alors sans cesse tiraillé dans sa vie, entre le rappel et l'oubli de Dieu.

Et ne soyez pas comme ceux qui ont oublié Allah; [Allah] leur a fait alors oublier leur propres personnes; ceux-là sont les pervers.
— Coran 59:19

L'homme, par sa liberté peut s'élever spirituellement ou au contraire se dégrader dans sa dignité. Ce rappel de Dieu, en islam, peut aller de l'acte quotidien, comme le salut, le sourire, l'acte religieux (la prière), ou l'acte moral (la justice), ainsi le mode de vie du musulman est codifié, et détient un caractère sacré, laissant très peu de place pour le profane. Dans son quotidien, il essaye de garder le souvenir de Dieu, aussi bien en public qu'en privé. Une certaine idéologie laïque musulmane, aimerait à faire croire, qu'en privé le musulman peut pécher sans que cela ait de conséquence. Il est vrai qu'il s'agit de péché moins grave en apparence, même si généralement, les péchés privés sont commis sur son propre corps, rien n'échappe à Dieu, et le véritable croyant, celui qui a la foi, doit pouvoir être le plus constant possible, que ce soit en privé ou en public.

Tu ne te trouveras dans aucune situation, tu ne réciteras aucun passage du Coran, vous n'accomplirez aucun acte sans que Nous soyons témoin au moment où vous l'entreprendrez. Il n'échappe à ton seigneur ni le poids d'un atome sur terre ou dans le ciel, ni un poids plus petit ou plus grand qui ne soit déjà inscrit dans un livre évident.
— Coran 10:61
Ô notre Seigneur, Tu sais, vraiment, ce que nous cachons et ce que nous divulguons : - et rien n'échappe à Allah, ni sur terre, ni au ciel !
— Coran 14:38

De ce fait, bien que Dieu nous ait créé pécheur, imparfait dans un certain sens, mais perfectible, du moins en partie, on peut se rapprocher de Dieu à travers Ses attributs, bien que l'on sait qu'on ne pourra jamais les atteindre dans leur complétude.

C'est à travers cette dimension spirituelle que l'homme s'inscrit en islam, lui permettant par ailleurs, le respect de l'écoute de soi et des autres, l'accès à la méditation, permettant alors de déceler les sagesses inscrites dans notre environnement.

Cette bienveillance s'étend jusqu'au respect le plus profond de toutes les formes de vie. En commençant par la vie elle-même qui est sacralisée. La sacralisation est la conséquence de ce qui est irréplicable et unique, et en générale, liée à la vie. Si Dieu est sacralisé, c'est parce que son unicité doit être intouchable. La virginité, qu'il s’agisse de celle de l'homme ou de la femme reste unique, donc sacrée, c'est un point de non-retour. La famille biologique, nous n'en avons qu'une, elle est traditionnellement sacrée.

Nous descendons tous de ce même processus qu'est la vie, une forme de chaîne unique, car tous descendants d'Adam et Ève. Ceci constitue véritablement un miracle, ne serait-ce même jusqu'à l'origine de celle-ci, toujours énigmatique scientifiquement parlant.

La vie présente est comparable à une eau que Nous faisons descendre du ciel et qui se mélange à la végétation de la terre dont se nourrissent les hommes et les bêtes. Puis lorsque la terre prend sa parure et s'embellit, et que ses habitants pensent qu’elle est à leur entière disposition, Notre Ordre lui vient, de nuit ou de jour, c'est alors que Nous la rendrons toute moissonnée, comme si elle n'avait pas été florissante la veille. Ainsi exposons-Nous les preuves pour des gens qui réfléchissent.
— Coran 10:24

Mais nous avions vu que celui qui est le plus versé dans la science, se rend compte plus aisément du monde miraculeux dans lequel il évolue, ainsi que de tout ce qui le transcende. L'Univers devient alors un livre à décrypter, dont on peut distinguer les différentes lectures.

« Il n'y a que deux façons de vivre sa vie : l'une en faisant comme si rien n'était un miracle, l'autre en faisant comme si tout était un miracle. »
— Albert Einstein

Dieu a établi des signes dans la nature, les saisons par exemple, obéissantes à un cycle, nous montrant la vie renaissante chaque année. Comme pour nous dire que la vie ne meurt qu'en apparence, mais elle renaîtra l'an prochain, tout comme le corps meurt, mais l'âme demeure.

Toute l'éthique musulmane, se fonde sur ce respect de la vie, mais elle étend ces limites bien plus loin encore.

Ainsi un oiseau ou un papillon qui vole, une fourmi, une abeille, une plante ou un arbre fleurissant, un astre naturel satellisé, tout cela peut être défini comme muslim, du fait de leur soumission à l'Ordre naturel de la création. Cela n'est pas un hasard si Dieu dans le Coran cite en exemple différents types d'animaux ayant un caractère, une fonction, un comportement, bien défini sur lesquels nous devons méditer.

Il vous a assujetti de sa part tout ce que contiennent les cieux et la terre certes tout cela constitue des signes pour un peuple enclin à la réflexion.
— Coran 45:13

Cet assujettissement des astres, des animaux, de la végétation sont la manifestation même de l'Ordre du Créateur.

La spécificité de l'homme, dans cet univers, est son libre-arbitre qui lui confère un pouvoir de domination sans commune mesure sur la nature. Contrairement à la soumission presque "automatique" des autres espèces, l'homme doit effectuer un effort pour se rapprocher de son Créateur en se conformant à l'Ordre divin. Le but de ce rapprochement est l'harmonie avec soi-même et avec les autres, et l'évitement des tentations extérieures. L'homme n'est par essence ni bon ni mauvais, il est innocent, et détient des potentialités d'actes infinis autant vers le bien que vers le mal. C'est cette dimension du choix qui fait, que l'homme se détache de l'animal, et détient un état spirituel et politique.

Tome II - La Philosophie | Chapitre 6 - De la Philosophie en Islam

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