Introduction
Pour en avoir terminé avec les réfutations de l'existence de Dieu, il nous reste à voir un cas particulier qui est celui du philosophe allemand Emmanuel Kant.
Kant est un des philosophes les plus brillants qu'est connu l'Europe. Auteur de nombreux ouvrages dont notamment, Critique de la Raison Pure, dans lequel il développera sa théorie de la connaissance, c'est-à-dire, une théorie qui distingue ce qui peut être connu réellement par l'homme, et de manière justifiée et objective. Kant va être un des premiers en Europe à remettre en cause la métaphysique, et ainsi la mettre au rang de croyance, dissociée de toutes sciences. Ce qui va entrainer une transformation fondamentale de la civilisation européenne et de sa relation à la religion.
Ce que nous pouvons reprocher, à titre personnel, au monde occidental est d'avoir accepté le rationalisme de Kant, sous couvert de complexité. En effet, même pour un philosophe chevronné, la pensée de Kant est loin d'être intuitive, en raison de nombreux concepts qu'il introduira lui-même, et qu'il maîtrisera parfaitement dans son raisonnement.
Les ouvrages de Kant sont extrêmement conceptuels et rigides, si bien qu'une introduction aux notions kantiennes semble nécessaire dans un premier temps. Nous continuerons par exposer ses arguments contestants les preuves classiques de l'existence de Dieu, grâces aux outils que nous aurons définis préalablement. La pensée de Kant est sûrement la plus sérieuse, et la plus pertinente dans la critique d'un Être originel existentiel, raison pour laquelle il faut s'y attarder. Nous terminerons par une remise en cause du rationalisme kantien, quant à la métaphysique et à sa nécessité, pour concevoir la religion.
Introduction à la Critique de la Raison Pure ?
Critique de la Raison Pure , est l'ouvrage incontournable de Kant. Seulement pour comprendre cette œuvre rigoureuse, et ce qui amène Kant à réfuter les arguments classiques de l'existence de Dieu (Ontologique, Téléologique et Cosmologique), nous sommes obligés de recourir à une brève introduction aux notions techniques utilisées par le philosophe. Définir ces concepts est incontournable si l'on veut comprendre la suite de ce chapitre, puisque même Kant lui-même, le fait dans son propre ouvrage.
La question principale de son œuvre est : Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Mais si nous n'avons pas lu Kant, il est impossible de comprendre cette question, qui semble inaudible. Pour le dire d'une autre façon, l'objectif principal de Kant est de montrer en quoi la métaphysique échoue à devenir une science, et comment cela pourrait être possible qu'elle puisse en devenir une, en prenant exemple sur les fondements mathématiques pures ? D'une autre manière encore, il cherche à savoir, comment à partir de l'expérience sensible pouvons-nous concevoir des objets non-sensibles de manière certaine.
Pour comprendre le raisonnement de Kant, nous devons tout d'abord définir quelques conceptions de sa méthode.
Commençons par la différence entre un jugement synthétique et un jugement analytique, que Kant oppose l'un à l'autre.
Jugement analytique : Jugement dans lequel l'attribut est contenu dans le sujet.
Un jugement analytique, est une proposition qui n'apporte rien de nouveau, dans la compréhension d'un concept, mais ne fait que le décomposer.
« [...] car les premiers (jugements analytiques) n'ajoutent rien au concept du sujet par le moyen du prédicat, mais ne font que le décomposer par l'analyse en ses concepts partiels qui ont été déjà (bien que confusément) pensés en lui; »
Par exemple, la proposition : « Tous les frères sont des hommes », dans le concept « frères », il y a dans son idée même celle de « homme ». Car un frère ne peut être femme. Par conséquent cela n'apporte rien de nouveau au concept « frère ». Kant nomme ce jugement analytique ou explicatif. C'est une simple décomposition d'un mot.
Jugement synthétique : Qui introduit dans un prédicat une notion qui n'est pas comprise dans le sujet et qui ne peut se vérifier que par les faits. [Kant] appelle synthétiques les jugements qui affirment d'un sujet un attribut qui n'y est pas contenu logiquement.
À l'inverse, un jugement synthétique est une proposition qui apporte une nouvelle connaissance non-comprise dans l'essence d'un sujet précis. C'est-à-dire que le prédicat n'est pas contenu dans le concept avec lequel on l'associe.
« [...] tandis qu'au contraire les autres (jugements synthétiques) ajoutent au concept du sujet un prédicat qui n'avait pas été pensé en lui et qu'on n'aurait pu en tirer par aucun démembrement. »
Par exemple : « Tous les hommes sont frères », le prédicat « Frère » ne fait pas partie intégrante du concept « Homme ». Par conséquent, pour Kant il s’agit d’un jugement synthétique, dit aussi extensifs, car il apporte une nouvelle connaissance qui n'était pas pensée dans le concept « Homme ».
Ensuite, Kant fait la distinction entre les connaissances a priori (dont certaines sont dites pures) et celles a posteriori.
Les connaissances a priori, sont antérieures à l'expérience, elles peuvent être connues sans l'expérience. Kant les différencie des connaissances a priori pures qui sont celles complètement indépendantes de l'expérience. Les connaissances pures sont les concepts métaphysiques (Dieu, la Liberté, l'Amour, la Justice, la Vérité, la Vertu), lesquelles sont situées au-dessus du monde sensible. Ce que reproche Kant à ces concepts métaphysiques, est qu'ils sont dogmatiques, sans aucun fondement, mais sont pourtant présent à l'esprit. Ce qui serait une des causes, selon lui, pour laquelle la métaphysique échoue en tant que Science, contrairement aux mathématiques ou encore à la physique.
Les connaissances a priori simples, comme par exemple, la proposition : « Tout changement a une cause », n'est pas une proposition pure, car le changement est un concept qui ne peut découler que de l'expérience. C'est-à-dire que dans une proposition a priori simple, l'un des éléments est connu par l'expérience.
Les connaissances a posteriori, sont les connaissances connues qui découlent essentiellement de l'expérience, et sont donc empiriques et factuelles.
Pour finir, savoir faire la distinction entre la nécessité et la contingence .
- Nécessité :
- Caractère de ce qui ne peut pas ne pas être ou ne peut pas être autrement.
- Contingence :
- Manière d'être d'une réalité (être ou chose) susceptible de ne pas être.
Si l'on essaye de tout regrouper, Kant pense qu'il existe globalement deux types de connaissances :
- D'un côté, des connaissances a priori, plus ou moins indépendantes de l'expérience, nécessaires et universelles, résultant de jugement analytique.
- De l'autre, des connaissances a posteriori, se révélant par l'expérience, empiriques, particulières et contingentes, émanant de jugement synthétique.
Voilà pour l'introduction. Ces notions bien comprises, vous permettront de comprendre en détails comment Kant réfuta les arguments de l'existence du Dieu originel. Nous aimerions précisez que nous ne les réutiliserons pas en dehors de ce chapitre, en raison de leur grande complexité, mais aussi, simplement parce que nous ne les cautionnons pas.
Kant et les Preuves Classiques de l'Existence de Dieu ?
Selon Emmanuel Kant, il ne peut exister que trois arguments de l'existence de Dieu, fondés sur la raison.
« Il n'y a donc, par la raison spéculative, que trois preuves possibles de l'existence de Dieu. [...] La première preuve est la preuve physico-théologique, la deuxième, la preuve cosmologique, et la troisième, la preuve ontologique. Il n'y en a pas et il ne peut pas y en avoir d'autres. »
Le philosophe consacre un chapitre à la déconstruction de ces trois arguments afin de démontrer leur valeur spéculative, c'est-à-dire, leur manque de fondement réel. Il considère que l'idée d'un Dieu nécessaire, est une idée qui ne repose que sur du vide.
Kant va réfuter les arguments classiques de l'existence de Dieu, principalement l'argument ontologique, entraînant alors l'invalidité des deux autres, physico-téléologique et cosmologique. Nous avons déjà développé ces arguments dans les parties précédentes .
Rappelons la preuve ontologique :
- Dieu est un être parfait.
- Une perfection qui ne comprendrait pas l'existence ne serait évidemment pas complète.
- Donc, Dieu est aussi doté de l'existence.
Que Kant transformera selon sa méthodologie :
- Quelque chose de nécessaire ne peut pas ne pas exister (sinon, il serait contingent);
- or Dieu est un être nécessaire (c'est une propriété comprise dans son concept);
- donc Dieu existe.
La preuve semble implacable : de par sa définition, Dieu semble exister. Or, c'est justement ce que Kant va reprocher à cette argumentation. Il soulève le fait, que le premier postulat de l'argument ontologique contient déjà nécessairement la conclusion. En effet, en évoquant la perfection, on sous-entendrait déjà l'existence, ce qui, selon Kant, serait un problème, il parle alors de tautologie. C'est-à-dire que la démonstration est inutile, puisqu'en vérité, la réponse est déjà contenue dans la première prémisse. Ainsi, dire : Dieu existe, est en réalité un jugement analytique, si l'on attribut, d'ores et déjà, la perfection à Dieu. Par conséquent, nous n'avons pas de nouvelle connaissance.
Tautologie : Proposition identique, dont le sujet et le prédicat sont un seul même concept (exprimé ou non par un même mot).
Enfin, par la suite il démontre que les deux autres preuves, téléologique et cosmologique, peuvent se réduire à l'argument ontologique, puisqu'elles font appel à un être nécessaire. Ainsi, si l'argument ontologique n'est pas une preuve, mais juste un développement explicatif du concept de Dieu, alors les deux autres arguments ne constituent également aucunement des preuves. Nous y reviendrons.
Il y a deux choses fondamentales à comprendre, d'une part Kant classera l'idée de Dieu comme un concept a posteriori pur, selon sa terminologie, ce qui revient à dire qu'il s'agit d'une idée qui s'impose à la raison, mais pour lui, qui n'a pas de lien réel avec le monde sensible. En réalité pour Kant, toute idée pure est spéculative, et tout ce qui n'a pas de forme et de représentation ne pourrait être objet de connaissance objective.
Or, la puissance de la raison est justement d'avoir conscience de ses limites, mais aussi d'être capable de concevoir une partie de ce qu'il y a derrière la nature des choses. C'est ce qu'on appelle la métaphysique. Or, Kant effleure la métaphysique, dans le sens où il formule qu'il existe des idées a posteriori simple, notamment lorsqu'il classe le concept de Changement dans cette catégorie, puisque la manifestation du Changement s'observe, mais sa nature est inobservable. C'est ici que Kant reste philosophe et ne s'aventurera pas en métaphysicien. Car la nature du Changement peut être analysée et mise en cohérence par la raison, bien qu'elle soit au-delà du monde sensible.
Un autre exemple métaphysique, plus simple, est celui de l'Infini. Nous l'observons empiriquement, c'est-à-dire que si nous vous demandions d'imaginer le nombre le plus grand, vous allez vous rendre compte qu'il n'y en a pas, ce qui signifie que l'infini est réel, mais pourtant inconcevable pour l'esprit humain. Puisque l'infini est le terme qui désigne cette incapacité de l'esprit à concevoir la quantité du monde dans sa totalité.
La deuxième chose, que nous pouvons reprocher à Kant, est de ne pas s'être interrogé plus profondément sur la nature du dogmatisme de l'idée de Dieu. Nous entendons ici par dogmatisme, ce qui s'impose à la raison. Car l'être humain est en réalité submergé par le dogme, de la naissance à la mort, il se retrouve dans un monde dont il ignore tout, dans lequel il va devoir s'adapter. La réalité est toujours dogmatique, elle s'impose à votre raison, malgré votre volonté.
Dogmatisme : Disposition d'esprit d'une personne à affirmer de façon péremptoire ou à admettre comme vraies certaines idées sans discussion.
Si l'on vous frappe le visage, la raison n'aura d'autre choix que d'admettre sans discussion possible que l'on vous a frappé. C'est donc dogmatique, puisque cela s'impose à votre esprit. Toute sa vie, l'homme est plongé dans le dogmatisme, et la soumission d'un ensemble de propriétés propres au monde. 1+1=2 est une autre forme du dogme naturelle, car ceci s'impose à la raison, sous toutes ses formes de manière universelle. Toute vérité est dogmatique.
L'existence de notre monde s'érige en dogme, il est, pour ainsi dire, nécessaire (il ne peut pas ne pas être). Évoquer l'inverse serait proche de la folie. Puisqu'en effet, l'homme n'a, en réalité, aucun contrôle sur l'existence du monde. L'univers est constitué principalement de vide, et vouloir annihiler le vide, est un projet qui n'a pas beaucoup de sens pour l'homme ! Le vide existe, et l'homme ne peut en soustraire l'existence. L'homme ne peut ni créer ni annihiler. Ce qui a pour conséquence que notre monde est nécessaire, et il ne peut provenir que d'une cause nécessaire.
Et c'est ici que nous divergeons avec Kant, qui ne s'interrogera pas sur le dogmatisme du monde et de la nécessité de Dieu. En réalité, Dieu est nécessaire parce qu'il est la cause d'un monde nécessaire, si l'on reprend le raisonnement de la preuve cosmologique. La nécessité de Dieu déduite par la preuve cosmologique, n'est pas la même nécessité que celle de la preuve ontologique. Dieu n'est pas seulement nécessaire, conceptuellement parlant, Il est La Nécessité même de toute chose, toujours selon la preuve cosmologique. Et si Dieu est La Nécessité, notre monde ne pourrait existait sans Lui.
Kant fait la même erreur que nous avions relevé chez Sébastien Faure, à savoir que Dieu n'est pas seulement éternel, Il est L’Éternel. C'est d'ailleurs pour cette raison que Dieu possède les plus beaux noms en Islam.
Il y a une différence de degrés, lorsque le philosophe soulève que le concept d'un triangle ne nous renseigne pas sur son existence (faisant allusion à la preuve ontologique), et qu'il souhaite faire une analogie avec le concept de Dieu, étant un concept pur. Cette analogie ne peut pas fonctionner, car la comparaison se fait sur des objets de deux mondes différents. Dieu appartient au monde céleste alors que le triangle appartient au monde terrestre, or nous verrons que la raison logique ne peut pas lier directement ces deux mondes, il existe un intermédiaire entre les deux.
Pour en revenir à l'argument principal qui nous fait diverger des positions de Kant, enlever la nécessité de Dieu revient à enlever la nécessité du monde. Or, nous avions dit que ceci était proche de la folie. Dire que le monde est contingent, conduit au déni de toute réalité, et à la possibilité d'idées spéculatives, et c'est pourtant bien cela qui ressortira de la Critique de la Raison Pure. C'est l'application pratique de la fameuse maxime : « avec des « si » on refait le monde ». C'est ce qui va conduire à la formulation de la théorie des mondes possibles, qui est une absurdité sans nom.
C'est ici une réponse difficile que nous avons formulée, qui n'est pas forcément à la porter de toute compréhension. Pour résumer, l'objectif de notre argumentation était de réfuter la réduction de l'argument cosmologique à l'argument ontologique, comme l'a fait Kant. La preuve cosmologique est ce qui lie l'idée de Dieu avec le monde sensible. Notre avis personnel sur ce philosophe, pourtant illustre, est qu'il ne connait que peu de choses sur la métaphysique réelle. Il discute de cette science sans pour autant la pratiquer dans son œuvre, ce qui est déroutant, et anormal.
« L'aveugle-né est incapable de se faire la moindre représentation de l'obscurité, parce qu'il n'en a aucune de la lumière; le sauvage ne peut pas concevoir la pauvreté, parce qu'il ne connaît pas l'opulence. L'ignorant n'a aucune idée de son ignorance, parce qu'il n'en a aucune de la science, etc. »
Kant n'a pas conscience qu'il n'a aucune idée de ce qu'est la véritable métaphysique, parce qu'il n'en a aucune expérience. Il reste spectateur de la métaphysique tout en la commentant.
La Métaphysique, Rempart à la Religion ?
Comme nous le disions dans l’introduction générale de ce chapitre, il est possible d'exercer la philosophie sans pour autant pratiquer la spiritualité. Kant en est le parfait exemple, dans sa Critique de la Raison Pure, en ayant une approche purement rationaliste de la métaphysique. Rationaliste dans le sens d'un excès de rationalisation du monde, qui contient pourtant, une part d'irrationalité avérée.
« On se sera suffisamment convaincu dans tout le cours de notre Critique que, si la métaphysique ne peut pas être le fondement de la religion, elle doit cependant en rester toujours comme le rempart, et que la raison humaine, déjà dialectique par la tendance de sa nature, ne peut jamais se passer d'une telle science qui lui met un frein et qui, par une connaissance scientifique et pleinement lumineuse de soi-même, empêche les dévastations qu'une raison spéculative affranchie de toute contrainte ne manquerait pas sans cela de produire dans la morale aussi bien que dans la religion. »
Nous ne définirons pas tout de suite ce qu'est exactement la métaphysique, car c'est une discipline assez difficile qui demande énormément de sagesse et d'expérience. Mais il faut savoir faire la distinction entre l'ontologie, l'étude des propriétés de l'être, de ce qui se manifeste, et la métaphysique, qui est souvent décrite comme l'étude des causes premières, mais qui en réalité, englobe bien plus que cela. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus en détails.
Dans son ouvrage capital, Kant scinde le lien entre Dieu (la religion), et la connaissance, (la réalité). Contrairement à un croyant qui prend Dieu comme fait établit, simplement, parce qu'il sait qu'il entretient une relation avec Lui, Kant, lui, remet en cause la certitude et l'objectivité de l'idée de Dieu. Ce qui revient à dire, que Kant n'est pas un véritable croyant, comme il aimerait pourtant s'en revendiquer. Pour lui, Dieu n'est pas Vérité. La métaphysique détient ce rôle de connexion entre la religion et la philosophie, nous avions déjà vu que nous ne pouvions confirmer les écritures saintes qu'à la lumière de la science, sous-entendue la philosophie, dans le sens de la recherche de la connaissance, pour la vérité. Or, pour Kant, la métaphysique doit rester le rempart de la religion.
Par cette approche, nous pouvons comprendre l'absence de spiritualité chez nos philosophes contemporains occidentaux qui se sont constitués en continuité à la pensée de Kant. Le philosophe allemand a enlevé toute la spiritualité de la métaphysique, ce qui explique pourquoi aujourd'hui, nous ne désignons par métaphysique, seulement l'étude des causes premières. Remettre en cause la légitimité de la rationalité religieuse était subversive à l'époque des Lumières, et seulement dans ce contexte l'œuvre de Kant a du sens.
Pourtant, c'est à partir de cette réflexion que naîtra une nette fracture en Occident avec la religion, chrétienne principalement. Ce qui est surprenant, est que Kant désigne la métaphysique comme un rempart à la religion, sans pour autant pratiquer une véritable métaphysique, et sans fournir une véritable étude des textes sacrés. Les outils, dont il se sert dans sa critique, ne sont pas adaptés pour discuter légitimement de la métaphysique et de son lien avec la religion.
Kant est donc à l'origine de l'idée de la séparation entre le spirituel et le matériel dans la pensée occidentale, à la fin du XVIIIème, et bien plus encore, il affirme que le spirituel n'est pas objet de connaissance certaine. En réalité, bien que les ouvrages de Kant semblent très abstraits, ils sont également très matérialistes, ce qui peut paraître paradoxal à première vue.
Séparer le matériel du spirituel, le temporel du spirituel, le terrestre du céleste, ne peut avoir que des conséquences néfastes sur une société. Ce sont deux notions complémentaires qui s'harmonisent. D'ailleurs, une notion comme la Paix, est fondamentalement métaphysique et spirituelle au plus haut point.
Séparer le spirituel du matériel revient en réalité indirectement à opposer la foi et la raison. Or, c'est bien l'image de ce que l'on nous a donné, ces derniers siècles, de la chrétienté, si bien qu'une partie des chrétiens vont commencer à vivre leur religion comme une croyance, une superstition aux yeux du monde, jusqu'à ce que certaines de leurs écritures en viendront à être abandonnées dans la pratique. En islam, il n'existe pas cette séparation entre la foi et la raison. Lorsque nous parlons de foi (al-imane), nous évoquons la certitude, ce qui ne fait aucun doute. Cette approche de la foi permet au musulman de se renforcer dans la pratique de son culte. Quant à toutes superstitions, elles sont entièrement bannies du dogme religieux. Nous avions déjà mentionné qu'il ne peut y avoir de foi sans une connaissance approfondie du monde.
« J'ai dû par conséquent supprimer le savoir pour y substituer la croyance. »
Pour Kant, il existerait dans son esprit, des idées qui ne seraient que croyances. La question qui se pose maintenant est qu'entend Kant par croyance. Il la définit lui-même, dans son œuvre comme une opinion subjectivement suffisante et objectivement insuffisante.
« L’opinion est une créance (Fürwahrhalten) consciente d’être insuffisante subjectivement tout autant qu’objectivement. Si la créance n’est suffisante que subjectivement et est en même temps tenue pour objectivement insuffisante, elle s’appelle croyance. Enfin, la créance qui est suffisante aussi bien subjectivement qu’objectivement s’appelle le savoir. La suffisance subjective s’appelle conviction (pour moi-même), la suffisance objective s’appelle certitude (pour chacun). Je ne m’arrêterai pas à clarifier des concepts aussi aisément compréhensibles. »
Or, cette définition s'oppose à la foi musulmane, la certitude, sans aucun doute possible, qui n'est pas une simple croyance comme celle d'une supposition, une possibilité, comme le présenterait le pari Pascalien, mais plutôt, comme une confiance, une espérance, et même un dogme.
L'islam est la religion de la soumission à la volonté divine, qui passe donc par la soumission du dogme céleste (Dieu, le paradis, l'enfer, les anges, les djinns, etc.), qui est la foi musulmane. On parle également de « 'aqida » en arabe, ceux sont tous les fondements qui sont accessibles uniquement par la révélation, et non simplement par la raison, mais que l'on peut tout de même mettre en cohérence à l'aide de la raison par la théologie. Cette soumission au dogme céleste ne peut se faire sans la soumission aux dogmes de la réalité du monde terrestre, le monde pratique. Plus nous connaissons ces dogmes, plus nous nous rapprochons de Dieu et de la compréhension de Son message.
En islam, nous ne remettons jamais la parole de Dieu en cause, non pas par entêtement, ou par caprice, ou encore aveuglement, mais parce que nous considérons la Révélation comme fait établit, et nous avons foi en cette dernière comme parole de Vérité. La Révélation étant considérée par les croyants comme les mots directs de Dieu, qu'il s'agisse de la Bible ou du Coran, ils existent et leur existence ne peut être déniée. De ce fait, ces écritures, appartenant au monde céleste, se doivent de concorder et de s'harmoniser avec la raison, le monde terrestre. Leur statut d'écriture sacrée n'est pas une question de mythe, nous le démontrerons à maintes reprises.
Si ces textes ne s'harmonisent pas avec la réalité, ce que nous remettons en cause, ce sont nos interprétations et nos compréhensions erronées ; l'homme fait des erreurs, mais Dieu n'en commet pas, c'est un principe incontournable en islam, car la Vérité ne peut se contredire. Dans ce cas, nous réinterprétons les textes à la lumière de la science. Il ne faut surtout pas inverser les rôles, c'est-à-dire, que si un fait scientifique ne concorde pas avec votre compréhension du Coran, il y a deux possibilités : soit vous avez commis une erreur dans votre interprétation des écritures saintes, soit vous avez la bonne interprétation, et le fait scientifique est une erreur. Dans le second cas, on ne peut évoquer le Coran légitimement comme une preuve, il faut faire l'inverse, c'est-à-dire, démontrer où scientifiquement est l'erreur du phénomène évoqué, pour qu'ils puissent concorder avec les écritures.
La première erreur à ne pas commettre, est de prendre votre interprétation comme vérité, surtout si les faits scientifiques sont contradictoires. On pourrait citer l'exemple du Cheikh ibn Baz, nous sommes au XXème siècle, président de l'université islamique d'Arabie Saoudite, nous parle sereinement d'une terre plate et immobile ! Bien qu'il soit revenu sur ses propos, par un subterfuge habile, en usant de la polysémie du mot « terre », le fait d'avoir suivi ses passions sans connaissances scientifiques, l'a entrainé à interpréter une première fois le Coran hâtivement. Puis il a continué à affirmer que le soleil tourné autour de la terre. Alors que pourtant, nous pourrions citer une multitude d'autres savants musulmans, dès le VIIIème siècle, comme Abou Hanifa, fondateur d'une des écoles de jurisprudence, formulait déjà la sphéricité de la Terre bien avant la preuve empirique moderne, simplement en faisant confiance au Coran et à l'observation . Plus la science avance, et plus notre compréhension du Coran s'améliore.
Car le Coran nous dit clairement, que ce sont les doués d'intelligences qui reconnaissent l'exactitude du Coran, et non l'inverse. Ce n'est pas au Coran de dire si une théorie scientifique est vraie ou non. Mais plutôt une bonne compréhension de la réalité du monde qui nous fait accepter le message de la Révélation.
La seconde erreur à éviter, est de dire qu'une théorie scientifique est fausse parce que le Coran affirme l'inverse. Le message du Coran n'a de valeur que pour le musulman, donc s'il pense, par exemple que la théorie de l'évolution selon Darwin est fausse, il doit pouvoir argumenter sur le plan scientifique, et non sur le plan religieux. Car le message religieux, s'il est véridique, doit pouvoir se lier à la réalité. Ainsi, dans toutes théories fausses, il y a forcément les traces de leurs erreurs logiques.
La réinterprétation de notre compréhension du monde se fait dans les sciences, dans la philosophie, dans l'histoire, dans la théologie ; tous les domaines de la connaissance sont révisés. L'exemple est particulièrement percutant pour l'argument cosmologique, qui modifie les conceptions philosophiques déviantes antérieures.
Au XVIIIème siècle, Kant, et bien d'autres philosophes, se posaient la question suivante : y a-t-il une cause première ou la chaîne des causes et des effets va-t-elle à l’infini ? Pour Kant, ce genre de question n'avait pas de réponse, et semblait insoluble, parce qu'il considérait la métaphysique comme objet de connaissance non-certaine et subjective. Ce qui le fit douter de la pertinence de l'argument cosmologique sur l'existence de Dieu. Pourtant au début du XXème siècle, par la découverte des prémisses et de l'origine de l'univers, à travers la formulation de la théorie du Big Bang, le consensus scientifique devint que l'Univers a un commencement .
Ainsi, la Science vient conforter les idées de Saint Thomas d'Aquin. En effet, ce dernier avait déjà formulé dans son ouvrage, Somme Théologique, que l'Univers avait un commencement, uniquement par manipulation métaphysique de concept. Bien que le théologien du XIIIème siècle n'avait aucune connaissance expérimentale de cosmologie, sur ce phénomène en particulier, il eut foi envers la Révélation, car il savait que Dieu disait toujours Vrai. Ainsi, juste par un développement argumentaire métaphysique, Saint Thomas d'Aquin, manipulait des vérités présentent dans la Bible soigneusement interprétées, avec méthodologie, qui bien que n'ayant aucune donnée empirique, s'harmoniseront ainsi dans le futur avec le reste de la Raison et de la Science. Pareil pour Abou Hanifa et d'autres sur la sphéricité de la terre, qui n'était peut-être pas de l'ordre de la métaphysique, mais du moins, n'avaient pas l'expérience de la forme de la terre. L'Univers comme Création de Dieu, est un fondement métaphysique de l'islam essentiel depuis ses débuts, qui implique un début à notre monde.
En vérité, la métaphysique est la discipline qui permet à la science de traverser les époques, et surtout à un homme doué de raison d'être aussi intelligent que son ancêtre ou que sa descendance, sans avoir l'expérience empiriste et matérialiste. Les vérités métaphysiques ne sont pas soumises au temps. Par exemple, Saint Thomas d'Aquin prenait pour connaissance objective le début de l'univers, grâce à la pratique de la métaphysique, alors que les scientifiques, empiristes et matérialistes, ne l'acceptèrent comme tel seulement depuis le début du XXIème siècle. Par contre, Saint Thomas d'Aquin ne sera jamais, effectivement, ce qu'est une voiture ! Mais savoir ce qu'est une voiture n'interfère pas sur sa compréhension du monde et sur sa relation avec Dieu. Connaitre tous les modèles de voiture ne fait pas de vous quelqu'un d'intelligent, de même que connaître le Coran par cœur ne fait pas pour autant de vous un homme de science, et légitime à l'interprétation. D'ailleurs, on trouve dans les Tafsir (exégèse du Coran) les plus réputés du monde musulman, des commentaires qui rentrent en contradiction avec certaines réalités scientifiques unanimement admises de nos jours. Les savants musulmans restent des hommes, aussi savants qu'ils puissent être, ils restent vulnérables à l'erreur. Il faut donc faire ce travail critique de réinterprétation des textes à la lumière de la science et du contexte.
« La plus grande et peut-être la seule utilité de la philosophie de la raison pure est donc purement négative, c'est-à-dire qu'elle n'est pas un organe servant à étendre nos connaissances, mais une discipline qui en détermine les limites et qui, au lieu de découvrir la vérité, n'a que le modeste mérite de prévenir l'erreur. »
Pour notre humble avis, Kant est le pionnier de ce que nous appellerons la philosophie négative, c'est-à-dire, d'une philosophie qui ne produira plus rien de réel, mais qui ne fait seulement que commenter les idées et les concepts du réel. Une philosophie analytique, pour employer les termes kantiens, quasiment ontologique, si bien que les spéculations qui pouvaient être seulement de l'ordre de la métaphysique, vont se retrouver dans les siècles à venir, à l'échelle de la philosophie classique.
Pour conclure sur ce chapitre, la raison qui a poussé Kant a récusé l'argument cosmologique a été son approche négative de la philosophie, et notamment son refus d'accepter des vérités métaphysique, comme connaissances objectives.